Journal REsistance SOciale n° 142
Novembre 2015
Mis en ligne le 26 novembre 2015

Au sommaire ce mois-ci :

p.1 et 2 : L’édito / p.3 à 5 : Place au débat (L’accord Agirc et Arrco instaure la retraite à la carte) / p.6 : Actualité sociale (BHV : non au travail le dimanche ! / Suppressions d’emplois à la SNCM / Soutien aux syndicalistes d’Air France) / p.7 : Solidarité internationale (Etats-Unis / Portugal) / p.8 : Humeur… (L’heure de la dignité)

L’édito de Marinette BACHE :

Les attentats islamistes commandités par Daesh qui ont endeuillé Paris et notre pays tout entier le vendredi 13 novembre au soir, commandent d’abord que nous rendions hommage aux victimes et partagions la douleur des familles et des proches. Notre gratitude va aux militaires, policiers, sapeurs-pompiers de Paris, médecins et soignants et à tous les personnels des services publics qui sont intervenus et interviennent avec courage, compétence et humanité.

La France doit rester debout. Notre République doit rester elle-même, bras agissant de sa devise : Liberté, Égalité, Fraternité.

Par-delà une peur légitime (rappelons la phrase de Nelson Mandela : « Le courage, ce n’est pas de ne pas avoir peur, c’est d’avoir peur et de la surmonter »), c’est dans le calme et la détermination que notre démocratie doit prendre les moyens de combattre le terrorisme. Pour cela il faut savoir le nommer. Il faut le débusquer et le dénoncer. Il faut nous opposer, y compris judiciairement, aux prêches islamistes qui menacent certains jeunes de nos quartiers, cibles privilégiées de ces fanatiques. Nos compatriotes issus de l’immigration, dont beaucoup sont athées, n’ont pas à être assignés à résidence religieuse. Et nos compatriotes de confession musulmane n’ont pas besoin d’être protégés ; ils ont besoin d’être respectés quand ils sont laïcs et respectent les lois de la République : c’est la majorité d’entre eux.

Nous devons réaffirmer la France comme État de droit. Nous devons réaffirmer que notre République est celle des Droits de l’Homme, où la Laïcité fonde notre vivre ensemble. Nous devons réaffirmer, sans faiblesse, notre attachement à la liberté, à la liberté d’être et de dire, à la démocratie et à son exercice, à l’égalité, en particulier entre les Femmes et les Hommes.

Dans ce contexte, je suis complètement abasourdie par ces déclarations haineuses vis-à-vis des 7 députés qui n’ont pas pu voter le prolongement de l’état d’urgence. Tout aussi abasourdie par les mêmes déclarations tout aussi haineuses envers ceux qui l’ont voté. Ne peut-on plus échanger sur ce sujet avec calme, retenue, recul, véritable analyse et respect de l’autre ? Déjà une victoire des fanatiques ? Peut-on poser quelques faits et quelques questions ? Esquisser quelques réponses sans se faire insulter de traitre à la Patrie d’un côté, de social-traitre de l’autre ?

Concernant l’état d’urgence, calmons-nous ! Il ne s’agit ni de l’article 16 (pouvoirs exceptionnels confiés au président de la République) ni de l’article 36 (état de siège) de la constitution.

Oui, le ministre ou les préfets peuvent interdire les manifestations, les rassemblements mais ce n’est absolument PAS UNE OBLIGATION. Je regrette la décision du Préfet de Police de Paris d’interdire la manifestation sur les droits des femmes du samedi 21 novembre. L’affirmation de l’égalité Femmes-Hommes et la laïcité ne sont pas sans rapport avec ce qui nous occupe ! (...)

Et si maintenir les élections est une bonne décision, cela ne se peut sans AUTORISER LES CONDITIONS DU DEBAT PUBLIC, ce qui inclut la possibilité de manifestations publiques.

L’état d’urgence permet surtout d’assigner à résidence les personnes dangereuses pour la sécurité publique, d’ordonner la réquisition d’armes, de procéder à des perquisitions jour et nuit et éventuellement, le couvre-feu. Bref, on voit bien l’intérêt de cette mesure pour démanteler les réseaux terroristes et d’armes. Plus problématique était le contrôle de la presse et de la radio ; c’est terminé depuis le vote du 19 novembre comme de la possibilité de remplacer les cours d’assise par des tribunaux militaires. Je suis de celles et ceux qui pensent que le comportement des imams de Brest et de Villetaneuse (et non pas seulement leur « activité » comme précédemment) sont de nature à être une menace à la sécurité et à l’ordre publics. Donc que leur assignation à résidence soit désormais possible ne me gêne pas. Et si l’extension des procédures concernées par l’état d’urgence à la dissolution des groupes portant atteinte grave à l’ordre public vise les Frères Musulmans, je m’en réjouis.

Je ne mésestime cependant pas les glissements ou dérives possibles, ce pourquoi une durée limitée de l’état d’urgence et un contrôle parlementaire régulier me soucient au plus haut point. Je regrette que l’amendement déposé au Sénat par Pierre Laurent n’ait pas été pris en compte : il aurait permis un contrôle mensuel de la pertinence de maintenir l’état d’urgence mais également de son application.

La loi de 55 obligeait le vote d’une loi pour tout prolongement au-delà de 12 jours avec la MENTION D’UNE DATE DE FIN. Au vu de la prochaine COP21 comme de la proximité des fêtes de fin d’année, la question de la prolongation n’est pas inappropriée. Cependant pour voter en conscience il fallait posséder quelques informations… que, comme tous les citoyens ordinaires, je ne connais pas. Quel est le degré de la menace terroriste ? Où en est le démantèlement des réseaux ? Que pense vraiment la DGSE de la qualité de ses moyens pour agir ? Je n’en sais pas grand-chose, mais, plus grave, je n’ai pas l’impression qu’un rapport clair ait été fait par le gouvernement à l’Assemblée nationale. Alors 3 MOIS, C’EST LONG, C’EST TRÈS LONG. Le Président proposera une réforme constitutionnelle début janvier. La question de l’état d’urgence n’aurait-elle pas pu être reposée à cette occasion, après un nouveau rapport gouvernemental sur le démantèlement des réseaux terroristes ?

Et après qu’un bilan du fonctionnement de l’état d’urgence ait été fait en transparence ! Car il est évident (et ô combien légitime au vu d’autres choix sociaux économiques contraires aux promesses électorales !) que les militants du mouvement social, dont nous sommes, s’inquiètent fortement des répercussions de l’état d’urgence sur leurs actions.

Oui, je m’inquiète des conséquences de l’appel par certains à « l’unité nationale ». Oui, il est possible que cela serve aussi à faire passer des réformes rétrogrades au Parlement sans que ceux qui se battent contre puissent être entendus. Déjà Copé dit crûment qu’il faut rogner sur les dépenses sociales et un PLFSS scandaleux pour l’avenir des hôpitaux publics a été voté dans l’indifférence la plus totale !

Alors, non, l’état d’urgence n’installe pas la dictature. Sachons raison garder ! Mais oui, les acteurs sociaux ont quelques raisons de craindre qu’on en profite pour prolonger et amplifier en même temps les mesures d’austérité. Il ne suffit pas de faire part de notre gratitude aux agents des services publics, il faut aussi, concrètement, cesser de détruire ceux-ci. Et ceux qui le revendiquent ne doivent pas se voir bâillonnés.

Vive la République ! Vive la France ! Et VIVE LA SOCIALE !