Journal REsistance SOciale n° 141
Octobre 2015
Mis en ligne le 26 octobre 2015

Au sommaire ce mois-ci :

p.1 et 2 : L’édito / p.2 : Solidarité internationale (Belgique, Angleterre) / p.3 à 5 : Place au débat (La Sécu de 1945 est-elle « soutenable » ?) / p.6 et 7 : Actualité sociale (Le projet Combrexelle (et le CPA, et le rapport Mettling), un seul but : pulvériser le droit du travail) / p.8 : Coup de gueule (Conférence sociale. « Sociale » ?)

L’édito de Marinette Bache :

Il m’en faut souvent beaucoup mais là, ça a dépassé les bornes Je n’en peux plus de cette hypocrisie bien pensante de la part d’une certaine gauche et de cette arrogance méprisante de la part de la droite. Vous l’avez compris : je parle d’Air-France et de l’affaire de la chemise déchirée.

Un Premier ministre qui a pris –il y a juste un an– plusieurs jours pour condamner la mort d’un jeune militant tué à Sivens –et quoi qu’on pense de ce barrage– par des tirs policiers et qui, de plus, le fait du bout des lèvres, ce même Premier ministre accuse, dans l’heure, les employés d’Air France, victimes de plans successifs de licenciements et d’économies au profit d’actionnaires et de dirigeants, de faire« œuvre de voyous » et demande (exige ?) des « sanctions lourdes » et apporte « tout son soutien à la direction » ! Ah, certes, jamais des salariés menacés de plan de restructuration de leur entreprise n’ont eu l’honneur de recevoir le soutien de Manuel Valls !

Quant à celui qui est à l’initiative de toutes les réformes rétrogrades depuis 2012, j’ai nommé Macron, ministre de l’économie, il n’hésite pas, depuis New-York, à twitter ( !) : « Soutien total aux personnes agressées. Ceux qui ont mené ces violences sont irresponsables, rien ne remplace le dialogue social. » Je vomis votre politique, M. Macron. Elle entraîne des drames économiques, humains, familiaux, mais je déteste encore plus la manière odieuse dont vous traitez des milliers de Français.

Si je confondais le PS avec quelques sbires libéraux-décomplexés du gouvernement, je dirais que le parti de JC Cambadélis se discrédite à travers cet épisode. Et ce n’est pas ses appréciations, mi-chèvre, mi-chou, sur la nécessité d’un dialogue social apaisé qui le réhabilite ! Il faut, lorsqu’on est de gauche, savoir nommer la violence. Pour être capable de la nommer, encore faut-il savoir la voir ! Eh bien, Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous la montrer : dans les 9000 emplois perdus par Air-France depuis 2012, dans le mépris du comité central d’entreprise, dans le refus de discussion… Et dans les dérégulations successives, et dans les lois rétrogrades sur le droit du travail, et dans la liberté de licencier, et dans les contrats précaires, et dans la suppression des tribunaux de prud’hommes, et dans la casse de la médecine du travail et de toutes les instances de protection des travail-leurs… Rien vu ? Rien su, Mesdames, Messieurs de la direction du PS ? La violence sociale n’est pas médiatique ? Elle n’en est que plus insidieuse et plus à combattre ! (...)

Que dire de la presse ? Du Parisien, du Figaro, du Monde, de Closer ? Je ne vais pas perdre mes dernières illusions à leur demander de consacrer un dixième de leur indignation pour une chemise déchirée à ceux qui ont perdu leur emploi pour cause de délocalisation : peuvent-ils être autre chose que le relais de leurs actionnaires… même s’ils sont tellement discrédités qu’ils ne pourraient vivre sans les subventions d’argent public !

Que dire de Sarkozy ? Que question « chienlit », il sait l’organiser et arrêtons-nous là. Quant au PDG d’Air-France, ses propos encensant le droit du travail au Qatar ou le travail des enfants sont tellement caricaturaux qu’il n’est pas utile de les commenter. Je me contenterai de souligner qu’il est grave et symptomatique que, patron d’une compagnie dite « nationale », il se sente autorisé à les tenir. Et c’est la perte de présence de la gauche dans le débat intellectuel mais aussi dans le mouvement social qui l’a rendu possible. Cela doit nous interroger collectivement.

N’y a-t-il plus aucune connexion entre la gauche institutionnelle (et gouvernementale) et sa base populaire pour que de telles réactions aient été possibles ? N’y-a-t-il plus un syndicaliste dans les organisations politiques ? N’y a-t-il plus un militant qui ait organisé une grève et qui sache combien les salariés souffrent ? Combien il est difficile financièrement de participer à un mouvement pour défendre un acquis social, pour essayer de décrocher quelques emplois, pour défendre le service public, pour empêcher une délocalisation, (je ne parle même pas d’augmentation de salaire !) ? N’y a-t-il plus personne pour rappeler comment les militants syndicaux s’impliquent pour canaliser la colère des travailleurs et essayer de la rendre positive, de la détourner de la seule violence ? Et n’y a-t-il plus personne pour expliquer le sentiment d’humiliation dans la condamnation au chômage, pour expliquer le désespoir de ne plus pouvoir faire vivre sa famille, pour montrer du doigt l’agression des patrons exprimée chaque jour dans le quotidien des travailleurs ?

Le problème, voyez-vous, c’est que les gens vont tellement mal à cause de la situation qu’ils vivent par faute de la politique menée par des gens élus à gauche, qu’ils se moquent totalement qu’on « tolère » ou pas leurs actions.

Ainsi naissent les révoltes. Quelquefois les révolutions. Ce n’est pas de la chemise déchirée que l’on parlera demain, c’est de l’aveuglement de la classe dirigeante. De toute la classe dirigeante.