Journal REsistance SOciale n° 140
Septembre 2015
Mis en ligne le 23 septembre 2015

Au sommaire ce mois-ci :

p.1 et 2 : L’édito / p.2 : Les bras m’en tombent (Distribuez les points, vous ne vous interrogerez pas sur les coupes budgétaires) / p.3 à 6 : Place au débat (Laminage des salaires ou refondation progressiste de l’Europe) / p.7 : International (Royaume-Uni ; Chine) / p.8 : Humeur… (Grèce : débattons sereinement)

L’édito de Marinette Bache :

Il faudra qu’on m’explique pourquoi certains s’obstinent à se faire élire à gauche pour, ensuite, mener une politique des plus favorables au patronat… et, en conséquence, essuyer défaites sur défaites électorales, sanction bien méritée, lors des scrutins suivants !

Actuellement Hollande-Valls-Macron préparent avec application la perte des Régions par la gauche en décembre prochain. Et ce n’est réjouissant pour personne, car une Région gouvernée à gauche n’est pas comparable à une Région tenue par la droite, ou l’extrême-droite. Mais les électeurs ne jugeront pas sur les bilans, géné-ralement positifs, des Conseils régionaux sortants. Ils jugeront –et comment leur en vouloir ?- sur les consé-quences de cette politique d’austérité sur leur vie quotidienne.

C’est quoi la vie quotidienne sous un gouvernement élu pour faire une autre politique que celle subie sous Sarkozy ?

D’abord c’est la continuité des attaques contre les services publics et l’action publique. Ces services publics qui permettent (permettaient) à la France de mieux résister que les autres pays européens à la paupérisation générale et à la désagrégation du tissu social, restent prioritairement la cible du gouvernement.

9 milliards en moins pour la Sécurité sociale, c’est l’accélération du déremboursement des médicaments et des soins ; c’est la baisse de la possibilité d’accueil et de soins par les hôpitaux publics où 22 000 emplois sont supprimés, où, chaque jour, on programme fer-metures de services… ou d’hôpital. 9 milliards « d’économie » également dans la fonction publique, c’est la sécurité qui n’est plus assurée convenablement dans nos quartiers péri-urbains ou dans les zones rurales ; ce sont moins d’assistants sociaux, de personnels dans les centres d’impôts (des fois qu’ils se mêleraient de redresser les entreprises fraudeuses), dans les tribunaux (chacun sait que la justice est trop rapide !), dans les Pôle-emplois (pas de commentaires), dans les musées, les théâtres (depuis quand on veut une culture à la portée de tous ?) ; ne parlons pas de la poste ou de l’école ! 10 milliards en moins aussi pour les collectivités locales, c’est l’installation de la pénurie généralisée : en France il n’y avait plus que les communes et les Régions pour mener une politique d’investissement public et d’emploi ! Fi de tout cela ! Fi aussi de l’aide sociale à la charge des conseils généraux. Ensuite les salaires. Bloqués dans l’emploi public. La réalité est la même dans le privé. Pendant ce temps, le dirigeant d’Alcatel-Lucent reçoit 14 millions d’euros de prime en quittant son entreprise et autant pour entrer dans sa nouvelle, Numericable. Le gouvernement fait semblant de s’en émouvoir, mais, les salariés, eux, sont à la fois scandalisés et désabusés. Quant aux retraités, ils sont plus de 14 millions à vivre avec moins de 1 000 euros par mois. Le nombre de « travailleurs pauvres », notion anglo-saxonne il y a encore quelques années, explose et atteint les 9 millions.

Le droit et les conditions de travail ? Rabotés par les lois ANI, Rebsamen et Macron. Mais, et j’y reviendrai, on nous prépare plus et mieux. L’emploi enfin. Officiellement plus de 6 millions de chômeurs, mais surtout, pour un gouvernement qui s’était engagé à « inverser la courbe du chômage », une augmentation de 1,3 million ! (...)

On se disait : ils vont réaliser qu’ils sont en train de scier la branche sur laquelle nous les avons assis : 2017,quand même n’est pas si loin. Eh bien, voila la réponse de par la bouche même du Président : il faut « rendre lisible le code du travail » ! C’est la dernière grande innovation de ce gouvernement « de gauche » : les mots ont-ils encore un sens ?! Je ne sais pas vous, mais moi, je le lis très bien, le Code du travail ! Je sais qu’il est là, même plusieurs fois mis à mal, pour protéger les salariés face au patron dans un rapport inégalitaire. Et d’ailleurs les patrons le lisent très bien également, et c’est ce qui les conduit à vouloir s’en débarrasser.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : supprimer toutes règles :

  en matière de durée du travail : pas seulement la fin des 35h et la généralisation du travail du dimanche, mais aussi la remise en cause de la durée légale maximum et la question des heures supplémentaires,

  pour les conditions de travail : la remise en cause des CHSCT ou de la médecine du travail ne suffit pas, il faut déréglementer en matière d’hygiène et de normes,

  limiter les droits et possibilité de recours des salariés : changement des missions de l’inspection du travail et réduction des moyens, mais aussi remise en cause du syndicalisme. Ainsi ce qui s’est passé chez SMART avec l’organisation, sous la pression d’un pseudo-referendum pour imposer aux salariés de travailler 39h payées 37h contre l’avis des syndicats.

Imaginons là où il n’y a pas de syndicat, grande majorité des entreprises… Bref il s’agit d’évoluer d’un code du travail protecteur vers un code du travail au service du patronat. Il s’agit d’inverser ce qu’on appelle la « hiérarchie des normes ». Le contrat de travail pourra (si le salarié le veut bien sur… !) être inférieur à l’accord de branche, lui-même inférieur à la loi. Gageons que, la situation économique et sociale étant ce qu’elle est, beaucoup de salariés « voudront », accepteront n’importe quel salaire, n’importe quelles conditions de travail, n’importe quelle précarisation pour garder ou obtenir un emploi. Mais Jacques Attali ne propose-t-il pas d’appliquer le régime des intermittents du spectacle à tous les travailleurs ? Voici les belles perspectives du rapport Combrexelle, ce haut fonctionnaire mandaté par Hollande, connu pour sa connivence avec le MEDEF, qui a déjà à son actif son soutien au CPE ou son rapport sur le statut des intermittents, qui va inspirer notre Premier ministre…

Une rentrée difficile donc face à un gouvernement qui s’est auto-décrété adversaire des salariés. Une gauche politique émiettée qui a du mal à préparer la relève. Une gauche syndicale qui a du mal à mobiliser une base fragilisée et inquiète.

Et, malgré tout, quelques lumières qui brillent en Europe et portent l’espoir : le courage du peuple grec, l’émergence de Podemos en Espagne. Et l’élection, au 1er tour, avec 60% des voix de Jérémy Corbyn à la tête du Parti Travailliste… Non, la gauche n’est pas morte.