Après la casse de la SNCF, on prépare celle de la RATP
Un article de Marinette BACHE, présidente de Résistance Sociale, ex-membre du CA du Syndicat des Transports d’Ile-de-France (STIF) paru dans le n° 75 du journal de Résistance Sociale
Mis en ligne le 8 décembre 2009
En 1997, la SNCF a été littéralement cassée en deux avec la création de Réseau Ferré de France (RFF), chargé de la gestion, de la maintenance et éventuellement de l’extension des infrastructures appartenant auparavant à la SNCF.

L’argumentation, basée sur l’ouverture à la concurrence, était que cette nouvelle entité aurait pour fonction de gérer les droits d’utilisation du réseau ferré, d’en vendre les accès. Comme si la SNCF, elle-même, ne savait pas depuis toujours faire circuler des trains étrangers sur ses lignes ! Mais concurrence oblige ! Et puis l’entretien des voies ça coûte cher, il était bien que l’Etat en garde la charge. Tandis qu’on l’espérait, l’exploitation des trains pouvait engendrer de juteux bénéfices, qu’on concèderait aux entreprises privées. Et on prenait précaution de scinder les transports régionaux (TER et Transilien : les régions paieraient), des grandes lignes nationales et internationales qui rapportent ! Ah, oui, on est bien loin du merveilleux principe de la péréquation qui a été le fondement financier de tous nos services publics depuis la Libération. A l’époque le timbre valait tant sur tout le territoire métropolitain (ça ne va pas durer !), l’électricité avait un même prix pour son kw/h (EDF ou Direct-Energie ?) et le prix du km parcouru par le train était le même quelles que soient la région, la date, l’heure ou la distance. Cela s’appelait l’égalité territoriale, c’était l’aménagement du territoire.

Mais ça ne rapportait pas un sou aux financiers : cruel défaut en cette fin du 20ème siècle, en ce début du 21ème où tout est mesuré à l’aune du profit, sans souci du service à l’usager.

Alors peu importe que la création de RFF soit un échec patent ; peu importe que les relations entre les deux entreprises entraînent des procédures bureaucratiques lourdes ; peu importe que des incompréhensions, des retards ou des intérêts différents engendrent des dysfonctionnements. Tout cela doit céder le pas au dogme libéral.

Au prétexte que l’entreprise doit se recentrer sur son coeur de cible, on scinde la SNCF autour de deux missions prétendument différentes. On ne sait jamais où cette logique peut s’arrêter. Je me souviens de ma propre administration : l’AP-HP. A la fin des années 70, on a supprimé tous les postes « artisanaux » : boulangers, bouchers, puis peintres, plombiers, etc. ... au prétexte que ce n’était pas le métier de notre administration hospitalière ... et on a acheté à l’extérieur. Croyez-vous que les menus se soient améliorés ou que les bâtiments soient mieux entretenus ? Croyez-vous que les postes supprimés aient été réaffectés au lit du malade, comme promis ? Et on ne sait jamais où cette démarche s’arrête : aujourd’hui, l’informatique, les cuisines, l’entretien, la maintenance ont été concédés au privé. Bientôt l’AP HP ne traitera plus les dossiers administratifs des patients et on peut penser que l’accueil des malades pourrait aussi être confié à des sociétés privées. Déjà, on envoie les malades passer des examens médicaux dans des clinques et laboratoires privés, puisqu’on diminue les postes de paramédicaux ! Eh oui, il faut « se recentrer » ! Enfin, dans le public, car dans le privé c’est le contraire : une célèbre publicité ringardise les banques qui ne vendent pas de téléphones ; bonjour le cœur de cible...

Mais revenons au cœur de cible de nos sociétés publiques de transport. Puisqu’elles aussi ont évolué et qu’il ne s’agit plus d’organiser le déplacement des usagers dans des conditions correctes et au même prix pour tous mais de séparer les secteurs rentables, confiés au privé de ceux qui ne le sont pas gardés dans le giron public, l’idée est venue de faire à la RATP ce qui a si bien réussi à la SNCF.

Deux députés UMP, dont Gilles Carrez, membre du CA de la RATP, viennent de déposer un amendement au projet de loi sur le Grand Paris instituant la casse de la RATP sur le modèle de la casse (je tiens à ce mot, physiquement adapté) de la SNCF. Des deux entreprises ainsi créées, l’une gérerait les infrastructures du métro, l’autre l’exploitation du réseau. L’une, non rentable, coûteuse en investissements et en maintenance, resterait publique. L’autre rentable, ô combien, d’autant plus qu’elle serait libérée des contraintes du long terme, serait évidemment privatisée. Véolia a depuis quelques années pointé son nez. Mais d’autres sont sur les rangs et il n’est pas farfelu de penser que le réseau puisse être mis aux enchères par lots : à toi la ligne 1, à moi la ligne 2, à toi le RER A, à moi le D, etc.

On s’éloigne fort de la notion de service public qui permet par l’équilibre des coûts, la satisfaction des besoins. Jacques Eliez, secrétaire national du syndicat CGT de la RATP l’exprime parfaitement : « cloisonner l’entreprise, c’est fragiliser le service public ».

Entre le dépôt de cet amendement et les projets sarkozystes du « Grand Paris », on voit ce qui se dessine. Le métrophérique, le grand huit ont fort peu de chances d’avoir des exploitations publiques. D’ailleurs, la France est un des rares pays à ne pas avoir repoussé de dix ans l’obligation de concurrence pour les transports urbains. Au contraire, toute nouvelle ligne sera soumise à concurrence dès 2010.

Ce qui est le plus inquiétant c’est que cela se passe dans un contexte d’anonymat pratiquement total. Alors que se profilent à un proche horizon les élections régionales... Les élus franciliens de gauche vont-ils enfin s’exprimer ?