Energie et régimes spéciaux : et maintenant ?
Par Eric ROULOT, militant communiste
Mis en ligne le 30 janvier 2008
Au travers cette « réforme » le gouvernement vise deux objectifs politiques : d’une part, démontrer que dans notre pays on peut imposer des réformes régressives, y compris dans les secteurs où la résistance est la plus forte, et, d’autre part, répondre aux exigences de rentabilité financière en permettant aux entreprises de se désengager de leurs responsabilités vis-à -vis du financement des acquis sociaux contenus dans les statuts.

Dans un contexte politique particulièrement défavorable,* les salariés, avec leurs organisations syndicales, sont parvenus à mettre sur la place publique les exigences sociales du monde du travail.

Début septembre, le premier ministre, François Fillon, annonçait sa volonté de publier rapidement les décrets pour entériner les 3 axes de la réforme des régimes spéciaux.

La forte mobilisation des salariés a permis de modifier l’ordre établi puisqu’à ce jour les négociations tripartites vont se poursuivre jusqu’à fin février sur l’ensemble des revendications exprimées et une nouvelle journée de mobilisation, de grève et de manifestation est proposée le 22 janvier pour permettre aux salariés des IEG (Industries Electriques et Gazières), aux cheminots et aux agents de la RATP, de s’opposer à l’arbitraire d’un gouvernement qui veut siffler la fin de la partie, en publiant les décrets, alors que les négociations ne sont pas terminées.

En effet, le gouvernement a transmis, fin décembre, à chaque caisse de retraite des régimes spéciaux un projet de décret pour avis portant sur la réforme du régime spécial. Ce projet de décret sera ensuite examiné par le Conseil d’Etat. Ces projets de décrets portent les principes définis par le gouvernement dans les deux documents d’orientation du 10 octobre et du 6 novembre, à savoir : • L’allongement de la durée de cotisation, • La mise en place d’un système de décote/surcote, • L’indexation des pensions sur les prix, • La suppression des bonifications pour les agents recrutés après le 1er janvier 2009. La mise en place d’un nouveau dispositif de prise en compte de la spécificité des métiers définis dans le cadre d’une négociation de branche ou d’entreprise durant l’année 2008. Cette volonté de passage en force du gouvernement est jugée inacceptable par les organisations syndicales, dans la mesure ou les négociations professionnelles ne sont pas achevées et, pour ce qui concerne les IEG, ces questions n’ont toujours pas été discutées. Ce formidable investissement humain est, à mon sens, le fait politique majeur depuis l’élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République !

Cela démontre que la droite n’est pas inébranlable et que nous avons, non seulement, la possibilité de résister, d’ouvrir des alternatives progressistes mais également de bousculer rapidement les rapports de force existants dans notre pays.

Des salariés ayant votés Sarkozy lors de la présidentielle se retrouvent, 4 mois plus tard, à battre le pavé avec leurs collègues de travail pour défendre leurs intérêts de salariés et dénoncer, ce qu’il faut bien appeler une rupture unilatérale du compromis social scellé entre les salariés, les entreprises de ces secteurs et la nation tout entière, il y a 60 ans.

« Pacte social » qui combine, dans le cadre d’un équilibre fragile, garanties sociales de haut niveau pour les salariés et contraintes de mobilité, de disponibilité et de formation professionnelle tout au long de sa vie professionnelle, liées à la finalité des entreprises et aux missions de service public qui leur sont conférées pour répondre, toujours mieux, aux besoins des populations.

Politique sociale et finalités économiques sont les deux faces d’un même projet de société façonné dans le mouvement et au gré des rapports de force pour répondre aux besoins de la nation en terme d’énergie.

Les communistes n’ont pas ménagé leur peine, dans chaque entreprise du secteur des industries électriques et gazières (IEG), pour favoriser l’intervention des salariés et générer le débat d’idées nécessaire à la compréhension des enjeux globaux de ce dossier.

Des efforts très importants ont été produits pour générer de vraies convergences de luttes entre le public et le privé car il est évident que « cette réforme » des régimes spéciaux participe de la volonté du MEDEF et du gouvernement d’affaiblir le régime général par répartition et de poursuivre son opération de dépeçage des entreprises de service public en s’attachant à modifier leurs finalités et le sens du travail pour les salariés.

Au travers cette « réforme » le gouvernement vise deux objectifs politiques : d’une part, démontrer que dans notre pays on peut imposer des réformes régressives, y compris dans les secteurs où la résistance est la plus forte, et, d’autre part, répondre aux exigences de rentabilité financière en permettant aux entreprises de se désengager de leurs responsabilités vis-à-vis du financement des acquis sociaux contenus dans les statuts.

Gadonneix, le PDG d’EDF, n’a-t-il pas annoncé que cette réforme des régimes spéciaux lui permettrait de provisionner 2 milliards € au bilan ?

Pour mettre en échec ces objectifs, les salariés ont cherché en permanence à déjouer les pièges tendus par le capital.

Entre l’acceptation de cette réforme, sous prétexte d’équité, et la focalisation autour de la question des 37,5 annuités, les salariés ont été capables d’ouvrir une voie liant contestation et propositions en luttant, au fond, pour faire bouger le curseur de la redistribution des richesses dans le sens de l’intérêt du monde du travail.

Le fait que toutes les revendications soient sur la table des négociations tripartites et que les salariés soient fortement mobilisés pour les faire aboutir peut permettre de faire bouger le curseur dans le bon sens.

Le desserrement du calendrier de négociations peut aider à cela, il résulte des luttes.

Ces négociations tripartites permettent aux OS de réaffirmer l’opposition des salariés au cadre de la réforme (l’allongement de la durée des cotisations, la surcôte/décôte, l’indexation des pensions sur les prix et le double statut) tout en exigeant la prise en compte des revendications sociales touchant aux salaires et aux rémunérations, à la validation des années d’étude et d’apprentissage, à la prise en compte des périodes de précarité, à l’intégration des primes dans le calcul de la retraite.

Au stade actuel des négociations, des avancées importantes ont été engrangées notamment sur les questions relatives aux salaires, aux rémunérations, au pouvoir d’achat, seules revendications traitées à ce jour :

- Augmentation du salaire national de base de 0,2% au 1/01/07, de 1,6% en masse en 2008 avec l’acceptation par le patronat d’une clause de revoyure au cas ou l’inflation serait supérieure aux prévisions.
- Augmentation de 2,85% du salaire au 1/01/2008 pour compenser l’augmentation de la cotisation retraite (de 7,85% à 12%) suite à la réforme de financement du régime intervenu il y a 4 ans.
- Hausse de 15% des avancements aux choix (récompensant l’investissement du salariés au travail) et création d’un contingent spécial pour les jeunes en exécution. 40 à 70% des salariés, suivant les collèges, pourront prétendre obtenir un avancement au choix représentant +2,5%, à minima, du salaire en 2008.
- Revalorisation de 5% du salaire de base pour les agents embauchés sans diplôme (1357€), avec un CAP/BEP(1410€) ou un bac pro (1467€).
- Augmentation des coefficients hiérarchiques dans une plage comprise entre 0,4% et 0,8% selon les niveaux de rémunération.
- Création d’échelons d’ancienneté supplé-mentaires permettant de mieux reconnaître, au cours d’une carrière, l’apport de productivité inhérent à l’expérience professionnelle acquise au fil des ans.
- Versement d’une prime de 660€ au 1/01/08.
- Augmentation de l’indemnité de fin de carrière notamment pour les agents ayant eu une carrière longue. Versement de 5 mois de salaires pour 40 ans, 4 mois pour 35 ans de service, pour 3 mois versés auparavant.
- Revalorisation des minimums de pension : 800€ pour 15 ans d’ancienneté, 900€ pour 30ans et 1000€ pour 35 ans.

Bien évidemment, de nombreux points restent sur la table des négociations et les sujets les plus fondamentaux, touchant à la retraite, n’ont pas encore été évoqués.

C’est bien d’ailleurs ce qui agace le gouvernement qui entend, d’en haut, légiférer en publiant les décrets.

Si le calendrier des négociations est respecté, début janvier, nous allons « rentrer dans le dur » de ces négociations en abordant, entre autre, les questions relatives à l’indexation des pensions sur les prix, à la validation des temps d’activité, à la décôte/surcôte, à la reconnaissance des contraintes et de la pénibilité au travail.

Il est encore trop tôt pour tirer les enseignements sur ce conflit dans la mesure où le coup de sifflet final n’a pas retenti mais ce qui est certain c’est que la mobilisation a permis de faire bouger les lignes.

Cela peut contribuer à appréhender l’échéance de 2008, qui concernera tous les salariés de notre pays, de manière offensive et avec esprit de conquête.

Je pense qu’en 2008, si nous nous y mettons tous et dans l’unité la plus large, nous pouvons faire en sorte que le curseur de la redistribution des richesses bouge dans le sens de l’intérêt des salariés et que nous imposions des réformes profondes allant dans le sens de l’intérêt de la classe sur laquelle nous voulons nous appuyer politiquement.

Pour cela, je pense qu’il faut appréhender cette étape en visant grand angle afin d’être en capacité d’actionner tous les leviers nous permettant de reprendre au capital ce qu’il nous a volé au cours des 25 dernières années.

Le mouvement engagé depuis des mois au sein des entreprises de la branche IEG a permis de consolider un rapport de force plus favorable pour les salariés : des liens de solidarité et de fraternité se sont solidifiés entre les différentes générations de salariés, les jeunes se sont particulièrement investis dans ce conflit

Ce mouvement est porteur de valeurs de progrès et de transformation sociale.

Les deux questions fondamentales qui sont posées par les salariés sont : A quel âge je peux prétendre partir en retraite et avec quel niveau de pension, questions auxquelles on ne peut répondre sans traiter celle de leur financement ?

Pour y répondre, je considère que nous avons besoin de produire des réponses neuves en phase avec les réalités d’aujourd’hui.

Au cours des dernières décennies la société a fortement évolué.

L’âge moyen d’embauche recule (26 ans dans les IEG) sous l’effet de l’allongement de la durée des années d’étude, des périodes de précarité et de chômage qui précèdent souvent l’embauche en CDI.

Pour répondre à cela, ne faut-il pas inventer un nouveau système, renforçant le concept de répartition, ouvrant la possibilité d’intégrer ces périodes d’étude, de formation et de galère dans le calcul des années de cotisations et dans la détermination du niveau de pension ?

Ne restons pas enfermés dans un cadre préétabli par le capital. Est-ce que, par exemple, le taux de remplacement à 75% doit rester un horizon indépassable ?

L’allongement de la durée de vie, généré par l’évolution des sciences et des technologies, ne doit-il pas nous permettre d’appréhender l’apport des retraites à la société de manière fondamentalement différente ?

Concernant le financement du régime particulier des salariés des IEG : les « réformes » mises en oeuvre par le gouvernement visent, en fait, à réduire la part de financement des entreprises en vue de diminuer les « charges sociales » qui, soi-disant, pèsent sur la compétitivité, Peut-on se résigner à cela ? A l’évidence non !

Les entreprises du secteur de l’énergie réalisent des milliards de profit, les dividendes versés aux actionnaires sont faramineux et les sommes englouties dans les opérations de concentration dépassent l’entendement.

La question d’utiliser l’argent autrement est, à mon sens, posée.

Les entreprises de ce secteur peuvent maintenir leur niveau de participation financière pour assurer l’équilibre du régime particulier des salariés des IEG, voir l’augmenter, sans handicaper leur compétitivité.

La particularité du financement du régime spécial des IEG repose sur le fait que les entreprises de la branche professionnelle versent une contribution financière permettant d’équilibrer le système de solidarité en temps réel.

Jusqu’alors l’équilibre du régime n’était pas réalisé à partir de la réduction des droits des salariés mais par un apport financier supplémentaire des entreprises. La participation financière des entreprises de la branche IEG étant nettement supérieure aux entreprises cotisant pour le régime général.

C’est bien ce système progressiste qui permet de puiser dans la valeur ajoutée les ressources nécessaires au financement du droit à la retraite que les directions et le gouvernement veulent remettre en cause.

L’objectif recherché est que l’équilibre financier du système, comme pour le régime général, soit réalisé sur la base de la réduction des droits. La seule variable d’ajustement acceptable pour le capital, c’est les droits sociaux du personnel.

Pourtant, la participation financière des entreprises de la branche professionnelle, en constante évolution, n’a ni entravé la compétitivité ni le développement de ces entreprises.

Plus largement, est-ce que notre pays, les pays d’Europe et du Monde acceptent de mettre quelques points de PIB en plus pour assurer le financement des retraites ou pas ?

C’est cette question politique renvoyant à des choix de société que nous devons travailler avec le peuple.

En soulevant ces questions, j’ai conscience que j’alimente le débat qui agite la gauche : Quelle gauche voulons-nous ?

Une gauche qui accompagne socialement les « réformes » induites par le capital, une gauche qui ne fait que contester ces choix en s’accrochant à l’existant ou une gauche qui a le courage de s’engager dans un processus de réformes profondes de la société pour enclencher une dynamique de dépassement du système capitaliste.

Beaucoup de salariés dans ce conflit prennent conscience que le mouvement social ne peut pas tout régler et qu’il y a donc nécessité de faire de la politique.

Dans ce cadre, l’apport des communistes est plus nécessaire que jamais. Il doit être réalisé sur la base de contre-propositions crédibles et radicales s’inscrivant dans un projet de société visant le dépassement du capitalisme tout en cherchant à favoriser des rassemblements d’idées, d’actions sur le terrain comme dans les institutions sur fond de bataille idéologique acharnée contre la droite et Sarkozy.

Les décisions prises par les délégués réunis les 8 et 9 décembre à la Défense me semblent être de nature à ouvrir des perspectives politiques porteuses d’avenir pour notre pays et en phase avec les attentes émises par les salariés lors de ce mouvement social qui est loin d’être fini.

Une droite triomphante, un PS qui, par pragmatisme, accepte le fond de cette réforme, un pilonnage médiatique de culpabilisation sans précédent