Spécial 15 ans après le "NON" du 29 mai 2005 - 1ère partie
Par Jean-Claude CHAILLEY (Journal RESO n° 192 - Mai 2020)
Mis en ligne le 31 mai 2020

Le 29 mai 2005 les Français votaient NON à 54,67 % au référendum sur la Constitution (TCE - Traité Constitution-nel Européen).

- La participation est proche de 70 %. On ne la retrouvera plus – et de très loin - aux élections européennes, en raison d’une abstention massive des quartiers populaires.
- Jacques Chirac pensait que ce référendum était imperdable : le OUI était soutenu par UMP, PS, UDF, PRG, Les Verts, forces sur le papier très majoritaires, même s’il y avait des dissidents, notam-ment au PS.
- Le NON, la démocratie, furent allègrement violés par l’adoption en Congrès à Versailles du traité de Lis-bonne le 4 février 2008.

Fruits d’une longue histoire, les plaies européennes restent béantes dans la gauche.

- 1983 : les espoirs mis dans la victoire du 10 mai 1981, dans le Programme commun de gouvernement, la « rup-ture avec le capitalisme », sont incompatibles avec la construction européenne en cours. La « parenthèse de la rigueur » est décidée : baisse des salaires (plus importante en France qu’avec Thatcher), privatisations, libé-ralisation des mouvements de capitaux, « franc fort », déclin industriel,...
- 1992 : référendum sur le traité de Maastricht. Le PS est pour – mais JP Chevènement quitte le PS ; le PC vote contre,…
- 1997 : Lionel Jospin viole sa promesse de ne pas ratifier le traité d’Amsterdam.
- 2005 : référendum sur le TCE, gauche éclatée.
- 2008 : adoption du traité de Lisbonne avec l’aide d’une partie de la gauche.
- 2012 : F Hollande promet qu’il renégociera le Pacte budgétaire. Il ne le fera pas.

Avec le recul est-il possible, dans un premier temps, de partager à peu près le même constat, a minima d’en débattre ? Puis ensuite de dégager des propositions réalistes.

• La fracture sur la conception européenne actuelle a d’énormes conséquences : déclin historique de la gauche, jusqu’à la bérézina de la dernière présidentielle. En 2017 les 2 partis qui ont structuré la gauche depuis Jaurès s’effondrent : PS 6,36 %, le PC n’a pas de candidat. Le total gauche (en additionnant des partis incapables de gouverner ensemble et encore plus de réussir) n’atteint pas 30 % des exprimés. • Les traités ont délégué beaucoup de pouvoirs à l’Union européenne, même si les gouvernements et le parlement font semblant qu’ils n’existent pas. La politique nationale est maintenant indissociable de la politique européenne.

Les fondamentaux du Traité de Lisbonne

Le traité de Lisbonne est constitué à partir de 2 traités :

- le TUE (Traité sur l’Union européenne) : Traité de Maastricht ;
- le TFUE (Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne, ex TCE).

Les fondamentaux, qui forment un tout indissociable, se nomment « achèvement du marché intérieur », « concurrence », « compétitivité », « libre circulation des hommes », « libre circulation des capitaux », « libre échange », « subsidiarité », « coordination économique et sociale », plus étroite pour les pays ayant adopté l’euro.

LE MARCHÉ INTÉRIEUR

Article 26 (ex-article 14 TCE). C’est pratiquement une synthèse du traité 2. « Le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités ».

- Libre circulation des capitaux

Les capitaux peuvent se déplacer en quelques microsecondes vers les entreprises versant le plus de dividendes. Ils exercent une gigantesque pression à la hausse des profits, à la baisse des effectifs et des salaires.

► Les dividendes sont de 180 milliards en France. C’est la conséquence de la privatisation de l’industrie et des banques. La concurrence à « l’attractivité » pour faire venir des entreprises (ou les empêcher de partir) passe par la concurrence sur les dividendes.

- Libre circulation des marchandises

Les pays à bas salaire, ont un avantage compétitif (SMIC 286 euros par mois en Bulgarie). Leurs importations concurrencent les produits locaux. D’où les délocalisations. De même pour exporter il faut « baisser les coûts », pour être « compétitif ».

► Pour éventuellement relocaliser, les entreprises (Sanofi…) exigent qu’on compense la différence de coûts : baisse de leurs taxes, cotisations sociales, …

- Libre circulation des services

Très vaste champ soumis à la même logique que les marchandises, y compris les ex PTT, les transports (cf les « paquets » de directives ferroviaires), l’énergie, ...

Article 56 -2 (ex-article 49 TCE) : « La libération des services des banques et des assurances qui sont liées à des mouvements de capitaux doit être réalisée en harmonie avec la libération de la circulation des capitaux ».

Les SIEG (voir ci-dessous) sont dans le chapitre « Les règles communes sur la concurrence... le rapprochement des législations » !

- Libre circulation des personnes (des salarié-e-s)

Article 45 1 (ex-article 39 TCE) :

« La libre circulation des travailleurs est assurée à l’intérieur de l’Union ».

► Il s’agit par la concurrence d’abaisser le niveau moyen des salaires, dont les cotisations sociales et non d’une nécessaire harmonisation par le haut. Le droit d’établissement - Article 49 (ex-article 43 TCE) – ren-force ces dispositifs.

LIBRE ECHANGE

TUE art 21 :« e) encourager l’intégration de tous les pays dans l’économie mondiale, y compris par la suppression progressive des obstacles au commerce international »

► La lutte contre les CETA, TAFTA, TISA,…ne recoupe pas le OUI et le NON. Pourtant les multiples traités de libre échange découlent du traité, avec leurs conséquences sociales, écologiques, l’agrobusiness, la qualité de la nourriture,…

► La logique du traité de Lisbonne est celle des chaînes d’approvisionnement mondiales, pas des relocalisations, ni des circuits courts.

► Très difficile compatibilité - par euphémisme – entre l’achèvement du marché intérieur, le libre-échange mondial, et l’écologie.

L’ETAT réduit au maintien de l’ordre

TUE art 4 2. « L’Union… respecte les fonctions essentielles de l’État, notamment celles qui ont pour objet d’assurer son intégrité territoriale, de maintenir l’ordre public et de sauvegarder la sécurité nationale ».

Il ne faut pas s’y méprendre : ce n’est pas la disparition des États. C’est la conception libérale de l’État des Reagan, Thatcher, Kessler, du MEDEF : destruction des « États providence », de ce qui reste du Conseil national de la Résistance, voire de la Révolution française, masquées sous couvert de lutte contre le « jacobinisme », contre « l’étatisme ». Même le principe d’égalité républicaine est menacé par le projet de loi « 3D » « Décentralisation, Différenciation et Déconcentration ».

► Le secteur public et nationalisé ne fait pas partie des « fonctions essentielles » de l’État, son périmètre se réduit sans cesse. S’il y a sans cesse des luttes contre les privatisations, les externalisations, les PPP, … la gauche reste dans le flou quant aux propositions de reconquête, de renationalisations / socialisations.

La démocratie amputée

► L’augmentation du pouvoir des institutions européennes va de pair avec la réduction du pouvoir des Etats, des communes, des départements. Les parlements nationaux n’ont pratiquement aucun pouvoir : ils sont juste informés. Le pouvoir s’éloigne des citoyens. Les grandes régions sont hors de portée des citoyens. Les ARS (Agences Régionales de Santé) aussi. La loi NOTRe (Nouvelle Organisation Territoriale de la République) réduit encore le pouvoir des communes.

► Libertés : la législation de maintien de l’ordre se renforce sans cesse, réduisant d’autant les libertés démocratiques, droit de grève, droit de manifestation,…

► Dialogue social et limitation du droit de grève…L’UE privilégie le « dialogue social », la cogestion. Lorsqu’il n’est pas possible d’éviter le conflit, les mobilisations, la loi doit les rendre impuissantes. Les syndicats re-vendicatifs sont dans le collimateur : pour reprendre l’expression d’un VP d’ETHIC il faut « mettre la CGT hors d’état de nuire », puis les autres syndicats. Les valeurs… à la carte.

► Le seul article pour faire respecter les « valeurs », TUE art 7, n’a de fait aucun pouvoir. Les Orban poursuivent leur gestion de plus en plus autoritaire, l’extrême droite envahit de plus en plus de gouvernements.

Les (immenses) compétences de l’Union européenne

TFUE art 3 1. « L’Union dispose d’une compétence exclusive dans les domaines suivants :

Union douanière / Établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur/ Politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro / Conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche / Politique commerciale commune. »

2. Compétence exclusive pour la conclusion d’un accord international. TFUE art 4 2. Les compétences partagées entre l’Union et les États membres s’appliquent aux principaux domaines suivants :

« Marché intérieur / Politique sociale, pour les aspects définis dans le présent traité/ Cohésion économique, sociale et territoriale /Agriculture et la pêche, à l’exclusion de la conservation des ressources biologiques de la mer / Environnement /Protection des consommateurs /Transports / Réseaux transeuropéens / Énergie /Espace de liberté, de sécurité et de justice /Enjeux communs de sécurité en matière de santé publique… »

TFUE art 5 « 1. Les États membres coordonnent leurs politiques économiques au sein de l’Union… Des dispositions particulières s’appliquent aux États membres dont la monnaie est l’euro. 2. L’Union prend des mesures pour assurer la coordination des politiques de l’emploi des États membres, notamment en définissant les lignes directrices de ces politiques. » ► Innombrables contre réformes du droit du travail (compétitivité…) 3. « L’Union peut prendre des initiatives pour assurer la coordination des politiques sociales des États membres. »

► Budgets, livres verts, livres blancs, réformes des retraites,…

► Réformes Bachelot, Touraine, Buzyn, …

► Réformes Rebsamen, Macron, El Khomri, Pénicaud,…Malgré les affichages l’égalité entre femmes et hommes n’avance guère, on l’a encore vu avec le Covid.

TFUE art 6 « L’Union dispose d’une compétence pour mener des actions pour appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres : Protection et l’amélioration de la santé humaine /Industrie / Culture / Tourisme / Éducation, la formation professionnelle, la jeunesse et le sport/ Protection civile / Coopération administrative. »

► On voit le résultat de « l’appui » sur l’industrie française.

► Innombrables contre réformes de l’enseignement. Comme dans la santé, recul majeur. La subsidiarité, ce qui reste aux États. TUE art 4 1. « Conformément à l’article 5, toute compétence non attribuée à l’Union dans les traités appartient aux États membres. »

► En réalité il y a une infinité de moyens d’étendre la très longue liste : les conseils européens, les équilibres budgétaires, la « méthode ouverte de coordination »,…

Le conseil européen

TUE Article 15 1. « Le Conseil européen donne à l’Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les orientations et les priorités politiques générales. Il n’exerce pas de fonction législative. »

► C’est là que les décisions sont prises, ainsi que dans les conseils des ministres…mais dans le cadre du traité, et avec les Orban,…

► Comme on l’a vu en Grèce la marge de négociation d’un gouvernement progressiste est quasi nulle dans le cadre de la législation européenne actuelle.

La Commission européenne

Art 17 2. « Un acte législatif de l’Union ne peut être adopté que sur proposition de la Commission… ».

► Même si le rôle du parlement européen n’est pas nul, lui aussi est bien verrouillé par le traité. Il ne peut même pas proposer une loi.

Le semestre européen cadre chaque année les budgets et réformes. « Chaque année, la Commission procède à une analyse détaillée des plans adoptés par chaque État membre en matière de réformes budgétaires, macroéconomiques et structurelles. Elle adresse ensuite à chacun d’eux des recommandations spécifiques pour les 12 à 18 mois suivants. » • En avril de chaque année les États soumettent leurs prévisions budgétaires (retour aux équilibres budgétaires, réduction de la dette) et les réformes pour y parvenir. • En juin « Le Conseil avalise et adopte formellement les propositions de la Commission » • A l’automne les gouvernements font voter ce qui a été décidé au printemps.

La 2ème partie concernera :

- la politique économique et monétaire ; le pacte budgétaire (TSCG), la BCE ;
- les « services publics » (SIG, SIEG), l’UE et la Sécu, la santé, l’agriculture ;
- le traitement des crises 2008 et Covid 19 ;
- pistes pour « le jour d’après ».