Résistance Sociale a activement participé à la réussite de cette journée d’échanges et de débats organisée pa La Convergence Nationale des Collectifs de Défense et de Développement des Services Publics
Conseiller d’État honoraire, ancien ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives, Président de section à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), Anicet Le Pors a permis d’introduire brillamment nos débats de l’après-midi et à dégager des axes de réflexions non seulement sur l’Acte III mais plus généralement sur les combats à mener pour des services publics modernes et fidèles aux valeurs du CNR. La Convergence le remercie chaleureusement d’avoir accepté notre invitation et d’avoir passé, avec nous, l’ensemble de l’après-midi.
La France s’est traditionnellement dotée d’une organisation centralisée. Pour administrer le territoire, elle a généralement préféré la déconcentration à la décentralisation. Les premières lois datent de la fin du XIX° siècle et concernent, d’une part le département et le conseil général, d’autre part le maire et le conseil municipal dans la commune. Leurs compétences sont limitées ; ces collectivités territoriales sont en fait placées sous la tutelle des préfets et des services de l’État. Après l’échec du référendum de de Gaulle du 28 avril 1969 qui se proposait de réformer la région et le Sénat, la situation change à partir de l’alternance de 1981 et la priorité donnée par François Mitterrand à la décentralisation qui conduit depuis à distinguer trois actes successifs.
Acte I : engagé par la Loi Defferre du 2 mars 1982. Elle est marquée par trois réformes principales : suppression de la tutelle du préfet dont le contrôle intervient a posteriori par les moyens du tribunal administratif et de la chambre régionale des comptes ; transfert de l’exécutif du département du préfet au conseil général ; élévation de la région au rang de collectivité territoriale de plein exercice. Les compétences et l’allocation des ressources sont redéployées entre l’État et les collectivités. La loi prévoyait aussi l’élaboration d’un statut de l’élu et de nouvelles garanties statutaires pour les agents, ce qui aboutit à la loi du 26 janvier 1984 créant la fonction publique territoriale.
Acte II : c’est le fait de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, dite loi Raffarin. Elle porte sur : la démocratie locale directe (référendum pouvant être décisionnel dans certains cas, droit de pétition), l’autonomie financière des collectivités territoriales, le statut des collectivités d’outre-mer. L’expérimentation législative est introduite sous certaines conditions. Les termes région et décentralisation sont introduits dans la constitution. La loi prévoit de nouveaux transferts de compétences et de ressources (ATOS, formation professionnelle, transports ferroviaires régionaux). Les résultats décevants conduisent à envisager un nouvel acte.
Acte III : il avait été initié par Nicolas Sarkozy dans le cadre de ses entreprises de « banalisation » de la France (Marcel Gauchet, Le Débat, Gallimard, septembre-octobre 2010). Elle avait été mise en œuvre par la loi du 16 décembre 2010, essentiellement d’orientation. Cette politique n’a pas été sans conséquence sur le changement de majorité au Sénat en 2011.
Le projet est repris par François Hollande qui l’avait annoncé durant sa campagne, mettant l’accent sur la contractualisation qui a fait l’objet d’un rapport officiel remis en janvier 2013.
Introduction d’Anicet Le Pors : http://anicetlepors.blog.lemonde.fr/2013/06/22/acte-iii-de-la-decentralisation-continuite-ou-rupture/
Qu’est-ce que c’est devenu
aujourd’hui ?
C’est peut-être le domaine où, par rapport à la situation antérieure, on peut caractériser une grande sécurité. Personnellement, j’avais la conviction que le statut général des fonctionnaires n’aurait pas survécu à la première année d’un nouveau
ACTE III : CONTINUITÉ OU RUPTURE ?
Il s’agit d’introduire la table ronde,
le débat général. Je crois que comme il a été prévu, il faut s’orienter
progressivement vers des perspectives. Et qui dit perspectives dit qu’il faut
se situer dans le long terme historique. Je crois que c’est toujours utile
quand on veut apprécier une situation du moment.
Je
rappellerai simplement, par une simple allusion, que nous héritons d’une
monarchie qui était très structurée, avec une administration forte. Nous avons tous appris à l’école la confrontation
entre Jacobins, Montagnards et Girondins, qui posait déjà certains de nos
problèmes. La Révolution française, également, a posé un certain nombre de
principes de ce qu’on n’appelait pas à l’époque « service public »
(on parlait alors d’ « utilité commune » ou de « nécessité
publique »). Le Consulat, l’Empire ont donné ses caractéristiques au XIXème siècle, et même à la première moitié du XXème siècle, à travers une vision de l’Etat centralisé,
autoritaire, un principe hiérarchique affirmé dans l’administration, avec des
productions originales : une Ecole française du Service public à la fin du
XIXème siècle, et déjà les premiers textes qui
organisaient le territoire, avec des décrets qui plaçaient les communes et les
départements sous l’autorité des préfets et des services de l’Etat. Cela s’est
prolongé pendant toute la première moitié du XXème
siècle. Le statut général des
fonctionnaires de 1946 est un statut général des fonctionnaires de
l’Etat : les autres agents publics ont été à l’époque tenus à l’écart.
Ceci pour dire que la réflexion sur la
décentralisation contemporaine commence avec l’échec du Général de Gaulle, le
28 avril 1969, qui l’a conduit à quitter le pouvoir. Le référendum portait sur
l’aménagement du territoire (et notamment des régions), et sur la réforme du
Sénat. Bien entendu, aujourd’hui, nous parlons de la décentralisation à travers
les trois « actes » qui ont été successivement définis. Le premier en
1981, avec la loi du 2 mars 1982, qui transférait l’exécutif du préfet vers les
directions des assemblées départementales et régionales, qui faisait que le
contrôle de l’égalité et le contrôle budgétaire étaient renvoyés a
posteriori au lieu d’a priori, et qui prévoyait des garanties
fondamentales pour les fonctionnaires et pour les élus (un « statut de
l’élu » était envisagé), puis il y a eu une vraie possibilité pour les
citoyens d’intervenir dans les affaires locales.
L’acte II s’est voulu délibérément
à contre-pied de l’acte premier, en posant dans la Constitution que la France
avait une organisation décentralisée, ce qui n’était pas du tout utile, et,
n’ayant pas un caractère normatif, ne servait pas à grand-chose ! Mais il
y avait aussi la possibilité de l’expérimentation législative, qui était une
infraction à l’unicité de la loi, ainsi que la possibilité, pour les préfets,
de prendre des décisions qui se situaient dans le cadre de dérogations à la
loi. Figurait également dans cette loi la reconnaissance des langues
régionales, des contre-dispositions qui
caractérisaient cette volonté de contre-pied par rapport à la vision plus
unifiée de l’acte premier. L’acte III est intervenu avec Nicolas Sarkozy
avec comme idée qu’il fallait, au-delà de l’acte II, réaliser un
alignement plus conforme à ce qui était l’organisation dominante au sein de
l’Union européenne.
Ce qui rend difficile aujourd’hui la
discussion, c’est d’abord au vu de ce qui se passe au Parlement, où l’on ne
comprend pas grand-chose. On ne peut pas se faire, au stade actuel, une idée de
ce que sera l’acte III. Celui-ci est né dans le sarkozysme.
Cela pose inévitablement la question : « y a-t-il continuité ou rupture par rapport à ce qui a initié
l’acte premier ? ». Ensuite, l’élaboration technique va conduire
à un projet jugé illisible par le Conseil d’Etat, qui a donné un avis négatif,
ce qui a conduit le Premier ministre à le couper en trois, et également pour
des raisons de prudence électorale, à l’étaler dans le temps. Ensuite, il faut
dire que tout ce qui concerne les modalités de scrutin fait l’objet d’une autre
loi. Les aspects financiers ont été évoqués dans un compte rendu sectoriel. Ils
sont renvoyés à une loi de finance, et la Fonction publique de son côté, fait
ses propres lois. Or, pour bien raisonner, il faut à mon avis saisir l’ensemble
de ces réflexions et de ces dispositions actuelles ou à venir pour se faire une
idée exacte sur ce qui est et ce que cela peut devenir.
La question est d’autant plus difficile
que le problème de l’acte III ne résume donc pas toutes les questions de
la décentralisation, des rapports avec l’Etat, mais surtout cela a un rapport
avec toute une série d’autres questions majeures, comme par exemple les
institutions : comment peut-on
discuter de la libre administration des collectivités territoriales si on
n’élargit pas le sujet à l’exercice du pouvoir dans l’ensemble de notre
pays ? De même, se pose la question du rôle du service public, la
régulation du collectif public, l’environnement sont autant de thèmes majeurs
qui ont un impact direct sur le thème qui nous est proposé. Il ne faut donc pas
noyer le problème de l’acte III et de la décentralisation dans un champ
trop élargi qui ferait perdre la réflexion, mais je pense qu’il ne faut pas non
plus réduire, ce qui conduirait à des raisonnements trop sommaires.
Personnellement, je pense qu’il faut
situer la réflexion à l’intérieur de trois volets. Premier volet : les structures et les compétences. Deuxième volet : les financements,
qu’ils soient décentralisés ou déconcentrés. Le troisième volet porte sur la question statutaire et les réformes
administratives. Je voudrais, puisqu’il s’agit d’une introduction, avancer
quelques éléments dans chacun de ces trois domaines, en partant de ce qu’était
à l’origine l’acte III, en essayant de voir, malgré tout, ce qu’il est
devenu et en nous posant la question de savoir quelles sont les conséquences,
que faut-il faire, quelles sont les idées à apporter.
è Concernant tout
d’abord les structures et les compétences
La situation était claire sous
Sarkozy : il avait exposé son point de vue dans un discours prononcé à
Saint-Dizier le 19 octobre 2009. L’idée de base était qu’il fallait désormais
privilégier (entre parenthèses, et c’est moi qui l’ajoute, comme c’est le cas
en Europe) les pôles et les réseaux par rapport aux frontières et aux
circonscriptions. Il changera complètement d’avis à quelques jours des
élections présidentielles pour coller au Front national. Mais ce qui reste de
sa ligne, c’est le discours de Saint-Dizier, et c’est sur cette base (les
« pôles ») qu’il a avancé l’idée de
« métropole », en lui conférant des pouvoirs extrêmement importants.
C’est à partir de là aussi qu’il a supprimé les conseillers régionaux et
généraux pour échapper aux circonscriptions. C’est à partir de là également qu’il décidera de donner aux préfets,
notamment aux préfets de région, un rôle tout à fait important qui à l’époque a
conduit à parler, à propos du préfet de région, d’un véritable proconsul,
recevant ses ordres non pas des ministres mais directement du centre du pouvoir
exécutif. C’était assez clair. Qu’est-ce que c’est devenu
actuellement ? En ce qui concerne les métropoles, il n’y a pas
affaiblissement. Au contraire, on a plutôt l’impression qu’il y a renforcement
de l’idée de métropole sur la base d’une référence qui est celle de la
métropole lyonnaise, dont l’idéologue apparaît aujourd’hui être Gérard Collomb.
C’est plus compliqué pour les métropoles parisienne et marseillaise. Par
ailleurs, on supprime le conseiller territorial (on pourrait considérer que
c’est positif) pour introduire un nouveau type d’élection, celle du binôme, sur
la base homme-femme, dans une circonscription bien évidemment modifiée. On
parle peu du préfet, ce qui veut dire qu’on aurait tendance à laisser les
choses en l’état… Mais surtout on fait émerger une entité nouvelle, qui est la
« conférence territoriale de l’action publique », qui aurait comme
responsabilité, dans chacune des circonscriptions régionales, d’opérer, selon
les rapports de forces multiples qui existent dans les régions, une répartition
verticale des pouvoirs qui puisque la définition serait régionale, pourrait
varier d’une région à l’autre. Donc on remet en cause tout ce qui concerne
la définition horizontale des départements et des régions. Elle serait
aussi chargée d’un schéma de développement et d’un « pacte de
gouvernance ».
Je dis tout cela au conditionnel, car
cela a été pour le moment mis par terre par la Commission de lois du Sénat.
Cela pose le problème de savoir, effectivement, ce dont on discute et de ce qui
restera de tout cela, ce qui n’est pas du tout garanti à mon avis, dès la
première des trois lois qui doivent être discutées. A partir de là, quelle
réflexion peut-on avoir ?
Il ne fait pas de doute qu’il s’agit
là d’un profond bouleversement des structures traditionnelles. On rajoute des entités à ce qui existait déjà, avec
donc un risque pour la démocratie. Compte tenu du fait que l’on a repris d’une
certaine façon la notion d’expérimentation, à travers cette conférence
territoriale de l’action publique, on va vers une bureaucratie croissante. Les
collectivités territoriales visées sont avant tout les communes, par le biais
des intercommunalités, puis du fait de ce que serait éventuellement le travail
de cette conférence territoriale de l’action publique.
Face à cela il y a trois principes à mettre en avant (ils ont été
évoqués tout à l’heure).
Premier principe : l’unité et
l’indivisibilité de la République.
Deuxième principe : la libre
administration des collectivités territoriales, posé dès maintenant par l’article 72 de la
Constitution. On a d’ailleurs bien conscience, et c’est le problème à résoudre,
qu’il peut (et qu’il va !) y avoir contradiction entre le premier principe
et le deuxième.
Pour aider à la solution de cette
contradiction, un principe de subsidiarité démocratique, mais qui doit être sensiblement
différent de celui que proposeraient les conférences territoriales telles
qu’elles sont définies aujourd’hui. Tout cela, me semble-t-il, est inséparable
d’une réflexion plus générale sur les institutions. Mais là, c’est un autre
chapitre que nous développerons.
è Le
financement
Là aussi, la position de départ de
Sarkozy était claire : suppression de la taxe professionnelle, création
d’une contribution économique territoriale subdivisée en deux taxes, l’une
fondée sur la valeur ajoutée, l’autre sur une révision des bases foncières.
C’était relativement clair, en local. Chacun s’accordait à dire que cette
réforme traduisait un transfert de charges des entreprises vers les ménages. Et
au niveau national, chacun sait (je n’insisterai pas) que c’était d’abord la
LOLF et ensuite la RGPP. Avec également une réforme qui conduisait à limiter la
représentation des ministères à huit au niveau régional, au maximum, et à trois
au niveau départemental, ceci pour laisser de la place aux
« gouverneurs » dont on parlait tout à l’heure. Donc c’était clair
aussi sous Sarkozy.
Qu’est-ce que c’est devenu ? On ne
sait pas, car comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est surtout à l’automne que
l’on va en discuter. Mais d’ores et déjà, le gouvernement a dit qu’il
réduirait, pour des raisons générales d’austérité, de 4,5 Mds € les dotations d’Etat en direction des
collectivités territoriales. Pour le reste, on ne parle plus bien sûr de
RGPP, on l’a remplacée par la MAP, « Modernisation de l’action
publique », qui pour le moment est une coquille assez largement vide, dont
les seuls projets sont d’une part un « challenge administration » en
2020 (ça ne mange pas de pain !) et d’autre part des injonctions faites
aux différents ministères afin que chacun d’eux fasse sa propre MAP.
Alors, là aussi, « que
faire ? », comme on aurait dit autrefois... Je crois d’abord qu’il
faut prendre acte que cette pénurie organisée au niveau des
collectivités territoriales, qui est maintenue, voire renforcée, va avoir
pour effet d’affaiblir les services publics locaux, de réduire les effectifs de
la fonction publique territoriale, dont on dira qu’ils ne sont pas adaptés,
compte tenu de la nouvelle configuration. Cela conduira à l’augmentation du
recrutement de contractuels et, dans la confusion des différentes formes
administratives anciennes et nouvelles, risque fort de développer le
clientélisme, voire la corruption.
Je crois que des propositions, qui
restent à faire, doivent veiller à organiser la solidarité et la coopération à
travers une péréquation verticale de l’Etat aux plus petites collectivités
territoriales, croisée avec une péréquation horizontale des régions et des
départements. Je pense aussi que cette réflexion générale sur les
financements doit s’accompagner d’une réflexion sur le rôle du service public.
On parle de l’intervention nouvelle de la Banque nationale d’investissement. Se
pose aussi à ce niveau la réalisation des plans locaux d’urbanisme, dont on dit
qu’ils seraient réservés aux intercommunalités… Je crois qu’il faut
effectivement poser la question du secteur public, de l’appropriation sociale,
certains diront des pôles publics.
è Le volet
statutaire et les réformes administratives
Là aussi le point de départ est
connu : Nicolas Sarkozy, dans un discours à l’Institut régional
d’administration de Nantes, le 19 septembre 2007 avait proclamé le « début
d’une révolution culturelle dans la Fonction publique », avec pour
emblème la mise en concurrence du concours tel qu’il existe dans le statut
actuel avec des contrats de droit privé négociés de gré à gré, dont il ne
faisait pas de doute qu’ils prendraient progressivement une part croissante, et
finiraient sans doute majoritaires. L’orientation l’avait précédé, avec un
rapport du Conseil d’Etat, le rapport Pochard, et sa déclaration a été suivie
d’un Livre blanc de Jean-Ludovic Silicani,
qui préparait précisément la mise en oeuvre de ce nouveau type de Fonction
publique, qui aurait probablement mis à bas le statut actuel. Par ailleurs, on
a assisté, dès la mise en œuvre de la RGPP, à un démantèlement de ce que j’ai
appelé « l’administration rationalisante ». J’entends par là
qu’avant N. Sarkozy, déjà, avait été supprimé le Commissariat général au
plan, la DATAR et, sous son règne, le Conseil national d’évaluation, le Haut
conseil des entreprises publiques, le Haut conseil des relations
internationales, avec la mise en cause de l’Insee, des Archives de France, etc.
Même dans un contexte qui leur était favorable, tout ce qui était organisme de
rationalisation, de contrôle ne pouvait exister : Il fallait trancher
cette main, en quelque sorte, pour laisser la place à « la main invisible
du marché ».
Qu’est-ce que c’est devenu
aujourd’hui ?
C’est peut-être le domaine où, par
rapport à la situation antérieure, on peut caractériser une grande sécurité.
Personnellement, j’avais la conviction que le statut général des fonctionnaires
n’aurait pas survécu à la première année d’un nouveau
mandat de N. Sarkozy. Aujourd’hui, la question n’est pas posée en ces termes,
pour toute une série de raisons. Mais la ministre actuelle entend (ce qui n’est
pas interdit, bien sûr !) moderniser le statut actuel pour préparer un
projet de loi qui passera en Conseil des ministres début juillet. Celui-ci
porte essentiellement sur la déontologie et sur quelques modifications des
droits et obligations des fonctionnaires. C’est un projet dont j’ai vu la
version antérieure, je ne connais pas celle qui existe aujourd’hui, mais elle
ne doit pas être très différente. C’est un projet d’une extrême timidité, qui
ne change pas grand-chose. Mais quand même, avec l’une des modifications, on
revient sur la loi de 2007, qui prévoyait une interpénétration plus forte entre
le privé et le public. Là, il y a une régression par rapport aux dispositions
antérieures et même si cela reste modeste, on ne peut que s’en féliciter.
En ce qui concerne les réformes
administratives, il n’y a pas grand-chose de prévu. Marylise Lebranchu critique la vision qu’avançait N. Sarkozy
lorsqu’il parlait du « mille-feuilles administratif ». Elle dit
« ce n’est plus un mille-feuilles, c’est un quatre-quarts »… C’est
peut-être son origine bretonne qui la fait verser dans ce type de métaphore,
mais enfin ça ne change évidemment pas grand-chose sur le fond… Alors là aussi,
que faire, et comment réagir par rapport à cela ? Personnellement, je
pense qu’il y a là une situation un peu nouvelle, et donc il faut saisir
l’opportunité. Je m’explique. Je crois que si on regarde les trente
dernières années, voire sans doute plus, on peut constater que lorsqu’un
gouvernement de droite succède à un gouvernement de gauche, il n’hésite pas à
remettre en cause ce qui a été fait antérieurement. Mais lorsqu’un gouvernement
de gauche succède à un gouvernement de droite - est-ce par timidité,
est-ce par connivence ? - il ne touche à rien ! Je crois
qu’il faut régler cette situation, ce comportement sous forme d’un défi. Il
serait très facile, notamment dans le domaine que je connais le mieux, celui de
la Fonction publique, de demander d’abroger toutes les lois qui ont porté
atteinte au statut ! Je pense en particulier à la loi Galland du 13
juillet 1987, qui a introduit la « liste d’aptitude », transformé les
corps en cadres, développé les recours contractuels… Eh bien demandons
l’abrogation de la loi Galland et de quelques autres du même type !
Deuxième champ d’intervention. Je crois
bien entendu qu’il faut défendre les valeurs de service public et de la
Fonction publique. Depuis 30 ans, depuis que le nouveau statut existe, et en
particulier dès le départ, je me suis battu pour mettre en évidence trois
valeurs fondatrices de notre conception de la fonction publique :
1°) le principe d’égalité, basé
sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, qui
fait que c’est par concours qu’on entre dans la Fonction publique ;
2°) le principe d’indépendance,
qui est à la base du système de la carrière, de la séparation du grade et de
l’emploi, qui permet aux fonctionnaires d’échapper à l’arbitraire et aux
pressions économiques ;
3°) le principe de responsabilité,
fondé sur l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du
Citoyen, qui oblige tout agent public à rendre compte de sa mission à la
société.
Je crois qu’il faut rester sur ce
terrain. Et j’ai plus confiance en une défense et illustration de ces
principes que dans n’importe quel code de déontologie aujourd’hui à la mode. Je
crois que c’est par l’appel à la responsabilité du fonctionnaire et la
référence aux grands principes républicains qu’à mon avis on assurera la
pérennité de ce statut qui est une pièce importante du pacte républicain.
Troisième chose, il faut bien entendu mettre
en chantier les grandes questions structurelles de transformation de
l’administration.
Je n’en évoque que quelques-unes :
- une gestion prévisionnelle des effectifs, qui peut être poussée
à un stade de formalisation très grand. Comme ministre, j’avais mis en chantier
un modèle mathématique de gestion prévisionnelle des effectifs. Tout peut être
défini.
- les carrières sont plus longues aujourd’hui, nous pouvons donc
envisager des « multi-carrières » à
l’intérieur de vies professionnelles. Ce qui suppose bien entendu (et cela
correspond à une revendication) un système de formation continue qui soit sans
commune mesure avec ce qui existe aujourd’hui, ce qui nécessite bien entendu
des moyens financiers.
- la question de la mobilité n’a pas été traitée correctement
jusqu’à présent, et devrait faire l’objet de propositions de débats.
- l’égalité hommes/femmes présente dans la Fonction publique des
distorsions considérables, notamment dans l’accès aux emplois supérieurs. Il y
a aussi la question du dialogue social, du fonctionnement des organismes
paritaires, etc.
Enfin, je voulais évoquer une dernière
question. Comme vous, je constate aujourd’hui qu’il y a une campagne
idéologique forte menée pour opposer le privé au public, notamment sur le terrain
des retraites.
Je crois qu’il faut prendre cette
question très au sérieux. Je reste hanté depuis 30 ans par cette
interrogation à laquelle, de mon point de vue, on n’a pas apporté de réponse
satisfaisante. La solution n’est pas
dans la généralisation des conventions collectives à l’ensemble des
travailleurs des secteurs privé et public. Ce serait une convergence vers le
bas.
La France est un pays où le quart de la
population active est couvert par la loi, et dont l’emploi est garanti de
manière législative. C’est donc à mon avis vers l’élaboration d’un statut des
travailleurs salariés du secteur privé qu’il faut s’orienter afin d’avoir une
base législative renforcée pour tous les travailleurs. Ce statut devrait
assurer le suivi des activités professionnelles et sécuriser les parcours
professionnels.
Ainsi on arrivera à réaliser une
meilleure comparabilité entre le privé et le public, et inviter les uns et les
autres, dans les luttes mais aussi dans le travail législatif, à converger vers
plus de garanties.
Je pense, et ce sera ma conclusion, que sur toutes ces questions il faut
adopter une attitude offensive. Le problème, me semble-t-il, au-delà de la
critique juste que l’on doit porter contre les politiques qui ne nous
conviennent pas, au-delà de la défense des revendications et des acquis nous
devons collectivement être porteur de réformes administratives et d’effort de
modernisation dans la perspective d’un changement des mentalités. L’objectif de
ces propositions doit être de concourir à la clarification et à l’efficacité
des structures gouvernementales. Le XXIème siècle
peut et doit être l’ « âge d’or » du service public.