Décentralisation (Acte III) : quels enjeux pour les services publics et la démocratie ?
"Acte III : continuité ou rupture ?" Introduction aux débats par Anicet Le Pors
Mis en ligne le 23 septembre 2013

Résistance Sociale a activement participé à la réussite de cette journée d’échanges et de débats organisée pa La Convergence Nationale des Collectifs de Défense et de Développement des Services Publics

Conseiller d’État honoraire, ancien ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives, Président de section à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), Anicet Le Pors a permis d’introduire brillamment nos débats de l’après-midi et à dégager des axes de réflexions non seulement sur l’Acte III mais plus généralement sur les combats à mener pour des services publics modernes et fidèles aux valeurs du CNR. La Convergence le remercie chaleureusement d’avoir accepté notre invitation et d’avoir passé, avec nous, l’ensemble de l’après-midi.


Rapide historique des actes de la décentralisation

La France s’est traditionnellement dotée d’une organisation centralisée. Pour administrer le territoire, elle a généralement préféré la déconcentration à la décentralisation. Les premières lois datent de la fin du XIX° siècle et concernent, d’une part le département et le conseil général, d’autre part le maire et le conseil municipal dans la commune. Leurs compétences sont limitées ; ces collectivités territoriales sont en fait placées sous la tutelle des préfets et des services de l’État. Après l’échec du référendum de de Gaulle du 28 avril 1969 qui se proposait de réformer la région et le Sénat, la situation change à partir de l’alternance de 1981 et la priorité donnée par François Mitterrand à la décentralisation qui conduit depuis à distinguer trois actes successifs.

Acte I : engagé par la Loi Defferre du 2 mars 1982. Elle est marquée par trois réformes principales : suppression de la tutelle du préfet dont le contrôle intervient a posteriori par les moyens du tribunal administratif et de la chambre régionale des comptes ; transfert de l’exécutif du département du préfet au conseil général ; élévation de la région au rang de collectivité territoriale de plein exercice. Les compétences et l’allocation des ressources sont redéployées entre l’État et les collectivités. La loi prévoyait aussi l’élaboration d’un statut de l’élu et de nouvelles garanties statutaires pour les agents, ce qui aboutit à la loi du 26 janvier 1984 créant la fonction publique territoriale.

Acte II : c’est le fait de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, dite loi Raffarin. Elle porte sur : la démocratie locale directe (référendum pouvant être décisionnel dans certains cas, droit de pétition), l’autonomie financière des collectivités territoriales, le statut des collectivités d’outre-mer. L’expérimentation législative est introduite sous certaines conditions. Les termes région et décentralisation sont introduits dans la constitution. La loi prévoit de nouveaux transferts de compétences et de ressources (ATOS, formation professionnelle, transports ferroviaires régionaux). Les résultats décevants conduisent à envisager un nouvel acte.

Acte III : il avait été initié par Nicolas Sarkozy dans le cadre de ses entreprises de « banalisation » de la France (Marcel Gauchet, Le Débat, Gallimard, septembre-octobre 2010). Elle avait été mise en œuvre par la loi du 16 décembre 2010, essentiellement d’orientation. Cette politique n’a pas été sans conséquence sur le changement de majorité au Sénat en 2011.

Le projet est repris par François Hollande qui l’avait annoncé durant sa campagne, mettant l’accent sur la contractualisation qui a fait l’objet d’un rapport officiel remis en janvier 2013.

Introduction d’Anicet Le Pors : http://anicetlepors.blog.lemonde.fr/2013/06/22/acte-iii-de-la-decentralisation-continuite-ou-rupture/

Qu’est-ce que c’est devenu aujourd’hui ?

C’est peut-être le domaine où, par rapport à la situation antérieure, on peut caractériser une grande sécurité. Personnellement, j’avais la conviction que le statut général des fonctionnaires n’aurait pas survécu à la première année d’un nouveau

DÉCENTRALISATION (ACTE III) :

ACTE III : CONTINUITÉ OU RUPTURE ?

 

Il s’agit d’introduire la table ronde, le débat général. Je crois que comme il a été prévu, il faut s’orienter progressivement vers des perspectives. Et qui dit perspectives dit qu’il faut se situer dans le long terme historique. Je crois que c’est toujours utile quand on veut apprécier une situation du moment.

Je rappellerai simplement, par une simple allusion, que nous héritons d’une monarchie qui était très structurée, avec une administration forte. Nous avons tous appris à l’école la confrontation entre Jacobins, Montagnards et Girondins, qui posait déjà certains de nos problèmes. La Révolution française, également, a posé un certain nombre de principes de ce qu’on n’appelait pas à l’époque « service public » (on parlait alors d’ « utilité commune » ou de « nécessité publique »). Le Consulat, l’Empire ont donné ses caractéristiques au XIXème siècle, et même à la première moitié du XXème siècle, à travers une vision de l’Etat centralisé, autoritaire, un principe hiérarchique affirmé dans l’administration, avec des productions originales : une Ecole française du Service public à la fin du XIXème siècle, et déjà les premiers textes qui organisaient le territoire, avec des décrets qui plaçaient les communes et les départements sous l’autorité des préfets et des services de l’Etat. Cela s’est prolongé pendant toute la première moitié du XXème siècle. Le statut général des fonctionnaires de 1946 est un statut général des fonctionnaires de l’Etat : les autres agents publics ont été à l’époque tenus à l’écart.

Ceci pour dire que la réflexion sur la décentralisation contemporaine commence avec l’échec du Général de Gaulle, le 28 avril 1969, qui l’a conduit à quitter le pouvoir. Le référendum portait sur l’aménagement du territoire (et notamment des régions), et sur la réforme du Sénat. Bien entendu, aujourd’hui, nous parlons de la décentralisation à travers les trois « actes » qui ont été successivement définis. Le premier en 1981, avec la loi du 2 mars 1982, qui transférait l’exécutif du préfet vers les directions des assemblées départementales et régionales, qui faisait que le contrôle de l’égalité et le contrôle budgétaire étaient renvoyés a posteriori au lieu d’a priori, et qui prévoyait des garanties fondamentales pour les fonctionnaires et pour les élus (un « statut de l’élu » était envisagé), puis il y a eu une vraie possibilité pour les citoyens d’intervenir dans les affaires locales.

L’acte II s’est voulu délibérément à contre-pied de l’acte premier, en posant dans la Constitution que la France avait une organisation décentralisée, ce qui n’était pas du tout utile, et, n’ayant pas un caractère normatif, ne servait pas à grand-chose ! Mais il y avait aussi la possibilité de l’expérimentation législative, qui était une infraction à l’unicité de la loi, ainsi que la possibilité, pour les préfets, de prendre des décisions qui se situaient dans le cadre de dérogations à la loi. Figurait également dans cette loi la reconnaissance des langues régionales, des contre-dispositions qui caractérisaient cette volonté de contre-pied par rapport à la vision plus unifiée de l’acte premier. L’acte III est intervenu avec Nicolas Sarkozy avec comme idée qu’il fallait, au-delà de l’acte II, réaliser un alignement plus conforme à ce qui était l’organisation dominante au sein de l’Union européenne.

Ce qui rend difficile aujourd’hui la discussion, c’est d’abord au vu de ce qui se passe au Parlement, où l’on ne comprend pas grand-chose. On ne peut pas se faire, au stade actuel, une idée de ce que sera l’acte III. Celui-ci est né dans le sarkozysme. Cela pose inévitablement la question : « y a-t-il continuité ou rupture par rapport à ce qui a initié l’acte premier ? ». Ensuite, l’élaboration technique va conduire à un projet jugé illisible par le Conseil d’Etat, qui a donné un avis négatif, ce qui a conduit le Premier ministre à le couper en trois, et également pour des raisons de prudence électorale, à l’étaler dans le temps. Ensuite, il faut dire que tout ce qui concerne les modalités de scrutin fait l’objet d’une autre loi. Les aspects financiers ont été évoqués dans un compte rendu sectoriel. Ils sont renvoyés à une loi de finance, et la Fonction publique de son côté, fait ses propres lois. Or, pour bien raisonner, il faut à mon avis saisir l’ensemble de ces réflexions et de ces dispositions actuelles ou à venir pour se faire une idée exacte sur ce qui est et ce que cela peut devenir.

La question est d’autant plus difficile que le problème de l’acte III ne résume donc pas toutes les questions de la décentralisation, des rapports avec l’Etat, mais surtout cela a un rapport avec toute une série d’autres questions majeures, comme par exemple les institutions : comment peut-on discuter de la libre administration des collectivités territoriales si on n’élargit pas le sujet à l’exercice du pouvoir dans l’ensemble de notre pays ? De même, se pose la question du rôle du service public, la régulation du collectif public, l’environnement sont autant de thèmes majeurs qui ont un impact direct sur le thème qui nous est proposé. Il ne faut donc pas noyer le problème de l’acte III et de la décentralisation dans un champ trop élargi qui ferait perdre la réflexion, mais je pense qu’il ne faut pas non plus réduire, ce qui conduirait à des raisonnements trop sommaires.

Personnellement, je pense qu’il faut situer la réflexion à l’intérieur de trois volets. Premier volet : les structures et les compétences. Deuxième volet : les financements, qu’ils soient décentralisés ou déconcentrés. Le troisième volet porte sur la question statutaire et les réformes administratives. Je voudrais, puisqu’il s’agit d’une introduction, avancer quelques éléments dans chacun de ces trois domaines, en partant de ce qu’était à l’origine l’acte III, en essayant de voir, malgré tout, ce qu’il est devenu et en nous posant la question de savoir quelles sont les conséquences, que faut-il faire, quelles sont les idées à apporter.

è Concernant tout d’abord les structures et les compétences

La situation était claire sous Sarkozy : il avait exposé son point de vue dans un discours prononcé à Saint-Dizier le 19 octobre 2009. L’idée de base était qu’il fallait désormais privilégier (entre parenthèses, et c’est moi qui l’ajoute, comme c’est le cas en Europe) les pôles et les réseaux par rapport aux frontières et aux circonscriptions. Il changera complètement d’avis à quelques jours des élections présidentielles pour coller au Front national. Mais ce qui reste de sa ligne, c’est le discours de Saint-Dizier, et c’est sur cette base (les « pôles ») qu’il a avancé l’idée de « métropole », en lui conférant des pouvoirs extrêmement importants. C’est à partir de là aussi qu’il a supprimé les conseillers régionaux et généraux pour échapper aux circonscriptions. C’est à partir de là également qu’il décidera de donner aux préfets, notamment aux préfets de région, un rôle tout à fait important qui à l’époque a conduit à parler, à propos du préfet de région, d’un véritable proconsul, recevant ses ordres non pas des ministres mais directement du centre du pouvoir exécutif. C’était assez clair. Qu’est-ce que c’est devenu actuellement ? En ce qui concerne les métropoles, il n’y a pas affaiblissement. Au contraire, on a plutôt l’impression qu’il y a renforcement de l’idée de métropole sur la base d’une référence qui est celle de la métropole lyonnaise, dont l’idéologue apparaît aujourd’hui être Gérard Collomb. C’est plus compliqué pour les métropoles parisienne et marseillaise. Par ailleurs, on supprime le conseiller territorial (on pourrait considérer que c’est positif) pour introduire un nouveau type d’élection, celle du binôme, sur la base homme-femme, dans une circonscription bien évidemment modifiée. On parle peu du préfet, ce qui veut dire qu’on aurait tendance à laisser les choses en l’état… Mais surtout on fait émerger une entité nouvelle, qui est la « conférence territoriale de l’action publique », qui aurait comme responsabilité, dans chacune des circonscriptions régionales, d’opérer, selon les rapports de forces multiples qui existent dans les régions, une répartition verticale des pouvoirs qui puisque la définition serait régionale, pourrait varier d’une région à l’autre. Donc on remet en cause tout ce qui concerne la définition horizontale des départements et des régions. Elle serait aussi chargée d’un schéma de développement et d’un « pacte de gouvernance ».

Je dis tout cela au conditionnel, car cela a été pour le moment mis par terre par la Commission de lois du Sénat. Cela pose le problème de savoir, effectivement, ce dont on discute et de ce qui restera de tout cela, ce qui n’est pas du tout garanti à mon avis, dès la première des trois lois qui doivent être discutées. A partir de là, quelle réflexion peut-on avoir ?

Il ne fait pas de doute qu’il s’agit là d’un profond bouleversement des structures traditionnelles. On rajoute des entités à ce qui existait déjà, avec donc un risque pour la démocratie. Compte tenu du fait que l’on a repris d’une certaine façon la notion d’expérimentation, à travers cette conférence territoriale de l’action publique, on va vers une bureaucratie croissante. Les collectivités territoriales visées sont avant tout les communes, par le biais des intercommunalités, puis du fait de ce que serait éventuellement le travail de cette conférence territoriale de l’action publique.

Face à cela il y a trois principes à mettre en avant (ils ont été évoqués tout à l’heure).

Premier principe : l’unité et l’indivisibilité de la République.

Deuxième principe : la libre administration des collectivités territoriales, posé dès maintenant par l’article 72 de la Constitution. On a d’ailleurs bien conscience, et c’est le problème à résoudre, qu’il peut (et qu’il va !) y avoir contradiction entre le premier principe et le deuxième.

Pour aider à la solution de cette contradiction, un principe de subsidiarité démocratique, mais qui doit être sensiblement différent de celui que proposeraient les conférences territoriales telles qu’elles sont définies aujourd’hui. Tout cela, me semble-t-il, est inséparable d’une réflexion plus générale sur les institutions. Mais là, c’est un autre chapitre que nous développerons.

è Le financement

Là aussi, la position de départ de Sarkozy était claire : suppression de la taxe professionnelle, création d’une contribution économique territoriale subdivisée en deux taxes, l’une fondée sur la valeur ajoutée, l’autre sur une révision des bases foncières. C’était relativement clair, en local. Chacun s’accordait à dire que cette réforme traduisait un transfert de charges des entreprises vers les ménages. Et au niveau national, chacun sait (je n’insisterai pas) que c’était d’abord la LOLF et ensuite la RGPP. Avec également une réforme qui conduisait à limiter la représentation des ministères à huit au niveau régional, au maximum, et à trois au niveau départemental, ceci pour laisser de la place aux « gouverneurs » dont on parlait tout à l’heure. Donc c’était clair aussi sous Sarkozy.

Qu’est-ce que c’est devenu ? On ne sait pas, car comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est surtout à l’automne que l’on va en discuter. Mais d’ores et déjà, le gouvernement a dit qu’il réduirait, pour des raisons générales d’austérité, de 4,5 Mds € les dotations d’Etat en direction des collectivités territoriales. Pour le reste, on ne parle plus bien sûr de RGPP, on l’a remplacée par la MAP, « Modernisation de l’action publique », qui pour le moment est une coquille assez largement vide, dont les seuls projets sont d’une part un « challenge administration » en 2020 (ça ne mange pas de pain !) et d’autre part des injonctions faites aux différents ministères afin que chacun d’eux fasse sa propre MAP.

Alors, là aussi, « que faire ? », comme on aurait dit autrefois... Je crois d’abord qu’il faut prendre acte que cette pénurie organisée au niveau des collectivités territoriales, qui est maintenue, voire renforcée, va avoir pour effet d’affaiblir les services publics locaux, de réduire les effectifs de la fonction publique territoriale, dont on dira qu’ils ne sont pas adaptés, compte tenu de la nouvelle configuration. Cela conduira à l’augmentation du recrutement de contractuels et, dans la confusion des différentes formes administratives anciennes et nouvelles, risque fort de développer le clientélisme, voire la corruption.

Je crois que des propositions, qui restent à faire, doivent veiller à organiser la solidarité et la coopération à travers une péréquation verticale de l’Etat aux plus petites collectivités territoriales, croisée avec une péréquation horizontale des régions et des départements. Je pense aussi que cette réflexion générale sur les financements doit s’accompagner d’une réflexion sur le rôle du service public. On parle de l’intervention nouvelle de la Banque nationale d’investissement. Se pose aussi à ce niveau la réalisation des plans locaux d’urbanisme, dont on dit qu’ils seraient réservés aux intercommunalités… Je crois qu’il faut effectivement poser la question du secteur public, de l’appropriation sociale, certains diront des pôles publics.

è Le volet statutaire et les réformes administratives

Là aussi le point de départ est connu : Nicolas Sarkozy, dans un discours à l’Institut régional d’administration de Nantes, le 19 septembre 2007 avait proclamé le « début d’une révolution culturelle dans la Fonction publique », avec pour emblème la mise en concurrence du concours tel qu’il existe dans le statut actuel avec des contrats de droit privé négociés de gré à gré, dont il ne faisait pas de doute qu’ils prendraient progressivement une part croissante, et finiraient sans doute majoritaires. L’orientation l’avait précédé, avec un rapport du Conseil d’Etat, le rapport Pochard, et sa déclaration a été suivie d’un Livre blanc de Jean-Ludovic Silicani, qui préparait précisément la mise en oeuvre de ce nouveau type de Fonction publique, qui aurait probablement mis à bas le statut actuel. Par ailleurs, on a assisté, dès la mise en œuvre de la RGPP, à un démantèlement de ce que j’ai appelé « l’administration rationalisante ». J’entends par là qu’avant N. Sarkozy, déjà, avait été supprimé le Commissariat général au plan, la DATAR et, sous son règne, le Conseil national d’évaluation, le Haut conseil des entreprises publiques, le Haut conseil des relations internationales, avec la mise en cause de l’Insee, des Archives de France, etc. Même dans un contexte qui leur était favorable, tout ce qui était organisme de rationalisation, de contrôle ne pouvait exister : Il fallait trancher cette main, en quelque sorte, pour laisser la place à « la main invisible du marché ».

Qu’est-ce que c’est devenu aujourd’hui ?

C’est peut-être le domaine où, par rapport à la situation antérieure, on peut caractériser une grande sécurité. Personnellement, j’avais la conviction que le statut général des fonctionnaires n’aurait pas survécu à la première année d’un nouveau mandat de N. Sarkozy. Aujourd’hui, la question n’est pas posée en ces termes, pour toute une série de raisons. Mais la ministre actuelle entend (ce qui n’est pas interdit, bien sûr !) moderniser le statut actuel pour préparer un projet de loi qui passera en Conseil des ministres début juillet. Celui-ci porte essentiellement sur la déontologie et sur quelques modifications des droits et obligations des fonctionnaires. C’est un projet dont j’ai vu la version antérieure, je ne connais pas celle qui existe aujourd’hui, mais elle ne doit pas être très différente. C’est un projet d’une extrême timidité, qui ne change pas grand-chose. Mais quand même, avec l’une des modifications, on revient sur la loi de 2007, qui prévoyait une interpénétration plus forte entre le privé et le public. Là, il y a une régression par rapport aux dispositions antérieures et même si cela reste modeste, on ne peut que s’en féliciter.

En ce qui concerne les réformes administratives, il n’y a pas grand-chose de prévu. Marylise Lebranchu critique la vision qu’avançait N. Sarkozy lorsqu’il parlait du « mille-feuilles administratif ». Elle dit « ce n’est plus un mille-feuilles, c’est un quatre-quarts »… C’est peut-être son origine bretonne qui la fait verser dans ce type de métaphore, mais enfin ça ne change évidemment pas grand-chose sur le fond… Alors là aussi, que faire, et comment réagir par rapport à cela ? Personnellement, je pense qu’il y a là une situation un peu nouvelle, et donc il faut saisir l’opportunité. Je m’explique. Je crois que si on regarde les trente dernières années, voire sans doute plus, on peut constater que lorsqu’un gouvernement de droite succède à un gouvernement de gauche, il n’hésite pas à remettre en cause ce qui a été fait antérieurement. Mais lorsqu’un gouvernement de gauche succède à un gouvernement de droite - est-ce par timidité, est-ce par connivence ? - il ne touche à rien ! Je crois qu’il faut régler cette situation, ce comportement sous forme d’un défi. Il serait très facile, notamment dans le domaine que je connais le mieux, celui de la Fonction publique, de demander d’abroger toutes les lois qui ont porté atteinte au statut ! Je pense en particulier à la loi Galland du 13 juillet 1987, qui a introduit la « liste d’aptitude », transformé les corps en cadres, développé les recours contractuels… Eh bien demandons l’abrogation de la loi Galland et de quelques autres du même type !

Deuxième champ d’intervention. Je crois bien entendu qu’il faut défendre les valeurs de service public et de la Fonction publique. Depuis 30 ans, depuis que le nouveau statut existe, et en particulier dès le départ, je me suis battu pour mettre en évidence trois valeurs fondatrices de notre conception de la fonction publique :

1°) le principe d’égalité, basé sur l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, qui fait que c’est par concours qu’on entre dans la Fonction publique ;

2°) le principe d’indépendance, qui est à la base du système de la carrière, de la séparation du grade et de l’emploi, qui permet aux fonctionnaires d’échapper à l’arbitraire et aux pressions économiques ;

3°) le principe de responsabilité, fondé sur l’article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, qui oblige tout agent public à rendre compte de sa mission à la société.

Je crois qu’il faut rester sur ce terrain. Et j’ai plus confiance en une défense et illustration de ces principes que dans n’importe quel code de déontologie aujourd’hui à la mode. Je crois que c’est par l’appel à la responsabilité du fonctionnaire et la référence aux grands principes républicains qu’à mon avis on assurera la pérennité de ce statut qui est une pièce importante du pacte républicain.

Troisième chose, il faut bien entendu mettre en chantier les grandes questions structurelles de transformation de l’administration.

Je n’en évoque que quelques-unes :

-     une gestion prévisionnelle des effectifs, qui peut être poussée à un stade de formalisation très grand. Comme ministre, j’avais mis en chantier un modèle mathématique de gestion prévisionnelle des effectifs. Tout peut être défini.

-     les carrières sont plus longues aujourd’hui, nous pouvons donc envisager des « multi-carrières » à l’intérieur de vies professionnelles. Ce qui suppose bien entendu (et cela correspond à une revendication) un système de formation continue qui soit sans commune mesure avec ce qui existe aujourd’hui, ce qui nécessite bien entendu des moyens financiers.

-     la question de la mobilité n’a pas été traitée correctement jusqu’à présent, et devrait faire l’objet de propositions de débats.

-     l’égalité hommes/femmes présente dans la Fonction publique des distorsions considérables, notamment dans l’accès aux emplois supérieurs. Il y a aussi la question du dialogue social, du fonctionnement des organismes paritaires, etc.

 

Enfin, je voulais évoquer une dernière question. Comme vous, je constate aujourd’hui qu’il y a une campagne idéologique forte menée pour opposer le privé au public, notamment sur le terrain des retraites.

Je crois qu’il faut prendre cette question très au sérieux. Je reste hanté depuis 30 ans par cette interrogation à laquelle, de mon point de vue, on n’a pas apporté de réponse satisfaisante. La solution n’est pas dans la généralisation des conventions collectives à l’ensemble des travailleurs des secteurs privé et public. Ce serait une convergence vers le bas.

La France est un pays où le quart de la population active est couvert par la loi, et dont l’emploi est garanti de manière législative. C’est donc à mon avis vers l’élaboration d’un statut des travailleurs salariés du secteur privé qu’il faut s’orienter afin d’avoir une base législative renforcée pour tous les travailleurs. Ce statut devrait assurer le suivi des activités professionnelles et sécuriser les parcours professionnels.

Ainsi on arrivera à réaliser une meilleure comparabilité entre le privé et le public, et inviter les uns et les autres, dans les luttes mais aussi dans le travail législatif, à converger vers plus de garanties.

Je pense, et ce sera ma conclusion, que sur toutes ces questions il faut adopter une attitude offensive. Le problème, me semble-t-il, au-delà de la critique juste que l’on doit porter contre les politiques qui ne nous conviennent pas, au-delà de la défense des revendications et des acquis nous devons collectivement être porteur de réformes administratives et d’effort de modernisation dans la perspective d’un changement des mentalités. L’objectif de ces propositions doit être de concourir à la clarification et à l’efficacité des structures gouvernementales. Le XXIème siècle peut et doit être l’ « âge d’or » du service public.