Le XXI e siècle peut et doit être l’«  âge d’or  » du service public par Anicet le Pors
Source humanité fr
Mis en ligne le 9 septembre 2013
Une tribune de l’ancien ministre de la fonction publique et des réformes administratives. Dans la crise qui se développe depuis 2008, chacun s’est plu à reconnaître le rôle d’« amortisseur social » du service public en France. Cet atout est le produit d’une conception forgée au cours de l’histoire. La conception française du service public découle de celle de l’intérêt général qui n’est pas, en France, la somme des intérêts particuliers, mais une catégorie éminente, définie par le pouvoir politique à la suite d’un débat démocratique, contradictoire. Le service public en est la traduction sociale.

Dès la fin du XIXe siècle, une école française du service public en a approfondi théoriquement la notion. On dit qu’il y a service public quand trois conditions sont réunies  : une mission d’intérêt général, une personne morale de droit public pour l’accomplir, un droit et un juge administratifs.

Dans son principe, le service public doit être financé par l’impôt et non par les prix. Cette conception a rencontré un grand succès dans notre pays  ; le service public s’est étendu, mais en même temps il est devenu plus hétérogène (régie, concession, délégation de service public…). Le contrat a disputé le champ du service public à la loi. La notion de service public est ainsi devenue plus complexe, mais ses principes de fonctionnement n’ont cessé d’être réaffirmés  : égalité, continuité, adaptabilité.

Cette conception et cette évolution expliquent que les salariés du service public représentent, en France, 25 % de la population active. La majorité est composée de fonctionnaires régis par un statut législatif dont on marque cette année le 30e anniversaire.

Cette conception est largement ignorée au sein de l’Union européenne. Les mots «  service public  » ne sont mentionnés qu’une seule fois dans les traités sur l’Union européenne et le fonctionnement de l’Union (article 93). Celle-ci, dans le protocole nº 26 qui lui est annexé, distingue, au sein de services d’intérêt général (SIG), les services d’intérêt économique général (Sieg) et les services non économiques d’intérêt général (Sneig), mais qui répondent à la même logique, celle d’une marginalisation de l’intérêt général et du service public face au principe de concurrence.

Ainsi l’article 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatif aux entreprises chargées de la gestion de Sieg, les assujettit aux règles de la concurrence en ne formulant qu’une réserve de portée limitée, «  dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie  ».

Toutefois, la place des SIG a pu être quelque peu élargie au cours des dernières années sous la pression de la nécessité sociale et des actions menées en faveur des services publics. Plusieurs arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne en témoignent comme certaines dispositions du traité. Ils constituent autant de points d’appui pour promouvoir le concept de service public. La conception restrictive de la notion de service public par l’Union a joué un grand rôle dans le rejet par la France, par le référendum du 29 mai 2005, du traité constitutionnel européen.

Si, au niveau microéconomique, une mission de service public peut être assumée par une entreprise ou un organisme mixte ou privé, cela n’est pas concevable au niveau de la société tout entière.

La propriété publique est indispensable pour trois raisons. Politique, car «  là où est la propriété, là est le pouvoir  ». Économique, parce que c’est le principal moyen pour conduire une politique industrielle volontariste au service d’une «  économie des besoins  ». Sociale, pour garantir une sécurité sociale professionnelle effective.

Il faut donc remettre sur le chantier la question de la propriété publique dans le cadre d’une vaste appropriation sociale. Ce qui implique des nationalisations, mais aussi une action au niveau mondial pour faire progresser les notions de service public et de propriété publique. Le droit européen n’y fait d’ailleurs pas obstacle  : l’article 345 du traité dispose que «  les traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres  ». Face aux besoins grandissants dans le monde de coopérations, de solidarités, le XXIe siècle peut et doit être l’«  âge d’or  » du service public.