Résistance sociale à la 2ème université internationale du Snapest
Mis en ligne le 23 août 2013

Lucien Jallamion vice président National de Résistance Sociale a participé aux travaux de la 2ème université d’été internationale du Snapest

De gauche à droite la délégation de l'UGT Sarahoui, Lucien Jallamion Résistance sociale Yacine Ben Chikha de la fédération Syndicale Mondiale, Mme Cherifi Ghazela, présidente de l'association d'amitié algéro-belge, LABA et cadre du ministère de l'Education belge.

l’intervention de lucien Jallamion à la table ronde organiser par le Snapest

de gauche à droite Djamel Rouani, lucien Jallamion,Merianne Meziane, Mme Cherifi Ghazela

Salam alaekoum

Mon propos tiendra compte de notre réalité française et du positionnement de résistance sociale. Dans la tradition républicaine et laïque, en France, l’Ecole est bien plus qu’un service public : elle est une INSTITUTION de la République. C’est à dire qu’elle a la charge de former des citoyens capables de se construire et de construire un avenir collectif à leur pays, de faire des choix en conscience et en connaissance, à l’abri de tous les dogmes.

C’est à cette tradition républicaine, née dans la 3ème république, celle des "instituteurs - hussards noirs " de la République, que se réfère Résistance Sociale.

Alors, bien sûr, vous comprendrez que nous soyons très méfiants vis à vis du concept dit "école ouverte", ou "école tournée vers le monde". Lorsque une porte est ouverte, elle est ouverte dans les 2 sens et il faut se méfier de la puissance néfaste de ce qui peut y rentrer. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé ces dernières années en France. L’école a cessé d’être un lieu protégé où l’enseignement et l’apprentissage se faisaient en dehors de la pression de la société. Jusqu’au début des années 70, la transmission du savoir était une fonction primordiale de l’école. La conception "d’école ouverte" a progressivement mais sûrement fait entrer la société dans l’école. La société avec ses lobbies, avec ses puissants, avec ses marchands, avec ses différences sociales. Au prétexte de mettre "l’enfant au centre de l’école", on a oublié petit à petit d’y mettre un MÊME savoir pour tous les enfants.

L’école publique française n’a jamais été une structure repliée sur elle-même : au temps où la France était surtout rurale, les programmes intégraient en primaire beaucoup de questions liées à l’agriculture ; c’est d’ailleurs de cette manière que celle-ci a été modernisée. Bien d’autres sujets ont été abordés, enseignés et ont permis d’introduire des notions de progrès auprès de TOUS les enfants. Cela n’empêchait pas l’examen de fin d’études primaires d’être de haut niveau !

Le mot "élève" prenait tout son sens : on "élevait" (dans le sens : on montait le niveau) de chaque écolier, quelle que soit son origine, autant que ses capacités le permettaient : c’était le but de l’école pour tous. Aujourd’hui il est soi-disant "moderne" de construire l’enseignement autour de l’enfant. C’est préjuger de ce qu’il est. C’est l’enfermer dans une case selon son origine sociale, culturelle ou ethnique. C’est refuser de voir en lui l’universel.

Au prétexte que chacun est différent, on risque de ne pas donner à chacun ce à quoi il a droit, simplement ce qu’on présuppose lui convenir. Mais je ne suis pas si pessimiste que ça ! Car nombreux sont les enseignants qui n’ont pas oublié les leçons de leurs aînés, qui sont fiers de leur métier, de leur charge de transmission du savoir, de leur responsabilité de former des citoyens éclairés. La plupart refusent qu’on veuille en faire des animateurs de centres de loisirs.

C’est dans un contexte où, en France, on casse l’école de la République et où on rend l’école responsable de tous les maux de la société, que des enseignants français continuent malgré tout à assurer ce qu’ils ressentent comme une mission.

Alors, le contexte aujourd’hui en France :

manque de moyens : 80 000 postes supprimés sous Sarkozy ; Vincent Peillon, l’actuel ministre de François Hollande, ne les a pas rétablis malgré un certain nombre d’embauches et beaucoup de promesses

l’entrée de la société dans l’école, cela a aussi été une entrée de la concurrence entre établissements scolaires ; la France, qui bénéficiait d’une école égale sur tout le territoire national, forme maintenant ses proviseurs de lycées à privilégier une démarche managériale

l’acte III de la décentralisation, s’il est mené à son terme, va accentuer la "dé-nationalisation" de l’enseignement. Après avoir voulu différencier la transmission du savoir selon l’enfant, on essaie de le mettre sous la responsabilité des Régions : des programmes "adaptés" aux régions, riches ou pas, selon leurs populations elles aussi différentes. Inégalité des citoyens et accélaration de la concurrence entre établissements : voici le résultat... ou le but ? Le projet actuellement débattu transfère l’orientation scolaire et la formation professionnelle initiale aux Régions , cela porte en germe un éclatement du second degré et priverait notre pays d’un système éducatif cohérent et complet.

Quelques chiffres :

A la session de juin 2012 : 84,5% d’admis au baccalauréat (89,6% dans la voie générale, 83,4 en technologique et 78,2 en professionnel).

A la rentrée 2012, il y avait 2 200 000 élèves en lycées (1/3 en professionnel en baisse de 37 000 par rapport à 2011 et 2/3 en général et technologique en hausse de 12 000.

Au delà de ce contexte et de ces chiffres, comment détruit-on l’éducation nationale de l’intérieur ?

- en modifiant les programmes (outre leur future régionalisation) : la suppression d’heures pour les matières développant la réflexion (philo ou histoire) par exemple ;

- en supprimant des heures d’enseignement en primaire (depuis 1965, soit moins de 50 ans, c’est 6 heures hebdomadaires qui ont été volées aux élèves) ;

- en sapant la confiance des parents dans le système. Les parents français comptaient beaucoup sur l’école pour l’avenir de leurs enfants.

Aujourd’hui, déçus pas le public qui ne correspond plus à l’idée d’ascenseur social, ils mettent de plus en plus leurs enfants dans le privé. Ah ! ils ont bien intégré le concept conjoint d’école ouverte et de concurrence : ils prennent ce qu’ils croient être le mieux sur le marché ! Résultats : dans le 2nd degré depuis 2001 : +1,2%. il faut dire que le nombre d’élèves par classe y est moindre (en lycée d’enseignement général et technique : 29,1 en moyenne dans le public seulement 25,6 dans le privé et pour les lycées professionnels : 19,1 contre 18,2) ; 60% des classes ont plus de 30 élèves dans le public seulement 41,6% dans le privé.

Dans ce cadre, l’enseignement en France a beaucoup de mérite à garder une certaine qualité.

Il le doit d’abord à ses personnels. Comme je le disais, malgré les pressions d’une société libérale soumise à la finance mondialisée et qui veut faire entrer l’école dans son champs de profit, les enseignants résistent car ils croient encore à leur mission et ils ont encore un important sens collectif. Ils sont il est vrai la corporation la plus syndiquée. Ils combattent régulièrement -mais hélas pas toujours avec succès- les réformes régressives qu’on leur impose.

Ensuite, l’organisation de l’école publique française est ancienne, a des racines profondes et solides ; globalement le peuple y tient, particulièrement les couches sociales moyennes ou défavorisées. Cela ne se détruit pas comme ça !

Je veux mettre en exergue une spécificité française en Europe : l’existence de 3 voies dans le secondaire. Loin d’être un handicap au système éducatif, l’existence de ces 3 voies est un atout. Les différences de finalité, de contenus, de pratiques font de cette diversité un formidable outil qui permet à de nombreux élèves (puis étudiants) d’atteindre des niveaux de connaissances, de compétences et de qualifications reconnus (c’est d’ailleurs une de nos forces vis à vis de la délocalisation de nos entreprises). La voie technologique est une spécialité française qui intéresse nos voisins. Fréquentée par les jeunes de toutes origines sociales, elle a servi d’ascenseur social à de nombreuses cohortes de lycéens (puis étudiants) qui sont sortis entre bac + 2 et bac + 5 avec des parcours intéressants dans le monde du travail. La voie professionnelle est celle de la promotion sociale pour nombre de familles. Les attaques qu’elle a subies depuis des années -alors que sa mise en place n’avait pas encore été menée à bien - visent les classes populaires dont les enfants ont le plus de difficultés à réussir à l’école.

Transmettre le savoir c’est aussi permettre à chaque enfant d’acquérir une formation lui permettant d’exercer ses droits et ses responsabilités. Dans un discours prononcé en 1894, Léon Bourgeois (qui fut ministre de l’Instruction publique et président de la ligue de l’enseignement) déclarait que l’adolescent doit être préparé « non pas seulement à son métier mais à la vie » et « qu’il ait, vienne l’âge d’homme, acquis non seulement les connaissances, mais encore et surtout les forces qui lui seront nécessaires pour remplir le triple devoir et porter la triple dignité du chef de famille, du soldat et du citoyen ». La citation témoigne du fait que pour les pères fondateurs de l’École républicaine, l’éducation morale et la formation du citoyen font partie des missions de l’École, ce qu’atteste du reste la lecture des programmes de l’époque.

Sans doute la situation dans laquelle agit l’école d’aujourd’hui a évolué, cela explique aussi en partie les incertitudes.

Certes, le déclin des institutions qui accompagnent l’École dans sa fonction d’encadrement de la jeunesse laisse en quelque sorte celle-ci en première ligne sur le terrain de l’éducation. Certes, les parents sont concurrencés dans leur mission éducative par les médias et l’intrusion des faits sociétaux dans la vie de la famille. Certes, les institutions d’éducation populaire ont pratiquement disparu même si centres de loisirs, centres aérés et encadrement post-scolaire du soir se sont développés (inégalement d’ailleurs) sur le territoire.

L’émancipation de chacun est restée un but et les missions que l’on assigne ainsi à l’École en matière de préparation à la vie se sont simplement adaptées : éducation à la sexualité, à l’égalité femmes-hommes, prévention des conduites à risque et de l’insécurité routière, etc ont remplacé l’éducation à l’hygiène ou l’éducation domestique. Le débat reste : faut-il recentrer l’École sur l’instruction, en considérant que sa fonction première – qu’aucune autre institution ne peut remplir à sa place – est de dispenser un enseignement de qualité ? Ministère de l’Instruction Publique ou Ministère de l’Education Nationale ? A Résistance Sociale, nous inclinons nettement pour l’éducation nationale. Parce que nous croyons qu’il existe une morale laïque et que nous souhaitons qu’elle soit offerte à tous. mais l’éducation nationale ne peut avoir de réalité que si l’instruction publique est de qualité. Et pour celà il faut commencer par redonner aux enfants des heures d’enseignement !!!

Alors éducation à la citoyenneté, qu’est-ce que cela veut dire ? D’abord l’école est un lieu d’apprentissage, pas une démocratie. Il n’y a pas égalité entre celui qui transmet le savoir et celui qui le reçoit. D’ailleurs les élèves, ceux qui veulent apprendre, souvent progresser socialement, "s’en sortir" comme ils disent, le savent et ne réclament pas de démocratie scolaire. Par contre ils réclament des conditions d’apprentissage correctes, des professeurs compétents et disponibles, des suivis particuliers... et le maintien d’une réelle gratuité à l’école ! Et cela ne les empêche pas de participer à la vie du lycée : activités sportives, culturelles, voyages éducatifs... Le "Bureau des élèves" est un excellent lieu de participation et d’exercice d’apprentissage du fait démocratique. Rien de neuf : les coopératives scolaires ont presque 100 ans ! AU dela de la pratique, il y a les concepts : l’éducation a la citoyenneté ne se fera pas sans la connaissance du passé historique. Formation de la Nation, déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, devoir de mémoire et Résistance, colonisation et décolonisation... Ces questions et leur histoire doivent être enseignées. C’est de la réflexion sur celles-ci que les élèves, écoliers, collègiens et lycéens d’aujourd’hui, pourront devenir des citoyens éclairés et généreux, capables de construire leur Nation et, dans le même mouvement, de se tourner vers le monde. La démocratie n’est pas seulement livresque : elle est sociale. Et c’est à travers ces concepts, à travers cette appréhension de l’universalisme, que se crée la solidarité internationale. L’éducation républicaine et laïque, celle que Résistance sociale défend et veut promouvoir, s’appuie sur la transmission du savoir, le respect de l’effort, la reconnaissance des acquis. C’est sur cette base qu’il est fait appel à la réflexion des enfants, puis des adolescents, pour en faire des citoyens responsables, éclairés et tournés vers le monde. Assurer à tous une culture de base et assurer la promotion par le mérite, c’est s’opposer à la marchandisation de l’école qui formera les enfants des couches populaires à la culture de supermarché et à des tâches d’exécutants et les fils des puissants à lOpéra et aux fonctions de commandement. Etre de gauche, c’est s’assurer que tous les enfants auront droit à un même accès, libéré de tout dogme, à l’instruction, à l’éducation et à la culture. C’est leur donner les moyens de connaître leur propre histoire et celle des autres pays. Car la connaissance est le meilleur rempart à l’obscurantisme.

Chers amis, chers camarades au moment de terminer mon intervention, il me revient de vous remercier vivement d’avoir invité résistance sociale à vos travaux et a travers l’expérience française que je viens de vous relater, de vous engager a protéger vos école ; Car avec les jeunes esprit que vous formez a la libre pensée, c’est l’Algérie de demain que vous construisez.

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