L’enseignement supérieur et la recherche : un cas d’école de la destruction néo-libérale des services publics
Par Daniel STEINMETZ, secrétaire général du SNTRS CGT – Article publié dans le n° 95 (Juillet/Août 2011) du Journal RESO
Mis en ligne le 20 juillet 2011

Depuis 2002, les gouvernements successifs de droite ont mis en œuvre plusieurs lois et dispositifs pour réformer en profondeur le service public de la recherche et de l’enseignement supérieur. La philosophie de l’ensemble de ces réformes s’inspire de la nécessité de transposer les modes de fonctionnement des entreprises à l’Université et aux laboratoires. De manière systématique, les hommes, les laboratoires et les universités sont mis en concurrence. La recherche doit se concentrer sur la nécessité de renforcer la compétitivité des grandes entreprises et les universités sont sommées de professionnaliser leurs enseignements pour répondre aux besoins des bassins d’emplois locaux. Dans ce contexte, le service public est mis à mal et on voit apparaître des universités à deux vitesses. Ainsi, le grand emprunt va sélectionner entre 5 à 10 sites à vocation mondiale ; les IDEX et certaines autres universités deviendront, selon la terminologie de la ministre, des pôles universitaires de proximité, les PUP.

I - La recherche et l’université avant 2002

Il ne s’agit pas d’idéaliser le fonctionnement de l’ESR (Enseignement Supérieur Recherche) avant 2002. Les universités manquaient cruellement de moyens en personnels, en locaux et en budget. Malgré tout, le fonctionnement de l’Université assis sur les lois Savary était de type collégial avec une forte représentation, dans les conseils d’élus, de différentes catégories de personnels. La recherche était organisée sur 4 types d’institutions.

• Les EPST (Établissements publics scientifiques et techniques ) : le CNRS, le plus gros d’entre eux, chargé de la recherche multidisciplinaire de nature fondamentale et d’autres établissements à vocation plus appliquée : l’INSERM pour la santé humaine, l’INRA pour l’agronomie, l’INRIA pour l’informatique, l’IRD pour le développement et d’autres EPST plus petits et plus spécialisés.

• Les EPIC (Établissements à caractère industriel et commercial) : le CEA, le CNES, l’IFP etc.

• Les centres techniques, d’abord financés par des taxes parafiscales puis par le ministère de l’industrie : le CETIM pour la métallurgie, le CSTB pour le bâtiment, etc.

• Et enfin la recherche universitaire. Les équipes purement universitaires, souvent dénommées équipes d’accueil, disposant de financements plus réduits.

La recherche dans les EPST était évaluée par des instances internes. La plus connue, le Comité national de la recherche scientifique, avait à l’origine un rôle général. Il a été réduit dans les faits à l’évaluation des équipes propres et associées au CNRS. D’autre EPST avaient également leurs instances d’évaluation. L’université n’en disposait pas, c’était le ministère qui jouait ce rôle.

II - Les transformations depuis 2002 - Première étape : le pacte pour la recherche

Le pacte pour la recherche a fait l’objet de la loi de programme pour la recherche de 2006. Il instaure une série de dispositifs. Cependant, avant le pacte, les pôles de compétitivité ont été mis en place dès 2005.

Les pôles de compétitivité

Aujourd’hui, 71 pôles de compétitivité regroupent selon le gouvernement 9 000 chercheurs travaillant sur 1 000 projets labellisés. Un milliard d’euros publics a été investi depuis leur lancement en 2005, sur une enveloppe globale de 1,5 milliard prévue jusqu’en 2008. Mais 50 % des ressources sont concentrées sur sept pôles principaux, dénommés « pôles de compétitivité mondiaux », comme System@tic Paris-Région (Île-de-France), Minalogic (Grenoble) et Aerospace Valley dans le Sud-Ouest. La CGT a critiqué cette politique en 2005. L’opération a été prolongée de 2009 à 2011 ; de nouveaux pôles ont été labellisés, certains supprimés. La dotation de 1,5 milliard sur cette période comprend, comme à l’habitude, des effets d’annonce, car les crédits sont également pour une partie affichés également à l’ANR, OSEO, etc.

La CGT a critiqué l’opération : peu de transparence, aucune présence syndicale, sauf en Rhône-Alpes, les PME restent sous la domination des grands groupes et ceux-ci peuvent se désengager et décider de délocalisations sans autres difficultés.

Une modification du Code du travail a, par ailleurs, élargi le prêt de main-d’œuvre entre entreprises et avec les établissements administratifs dans le cadre des pôles de compétitivité. L’analyse de l’efficacité réelle des pôles devrait cependant être réactualisée.

L’Agence Nationale de la Recherche (ANR)

C’est une agence de moyens dont le rôle est de financer la recherche sur projet. Elle dispose actuellement d’un budget voisin de 800 millions d’euros, largement supérieur à la part hors salaire de la subvention que l’État verse au CNRS (environ 500 millions). En fait, l’ANR a siphonné le budget des EPST, à commencer par celui du CNRS. À ses débuts, l’ANR finançait quasi exclusivement des projets ciblés. La part actuelle des projets libres, appelés projets blancs, est maintenant plus importante. Outre la concurrence exacerbée qu’exercent les appels d’offress sur les laboratoires, plusieurs critiques émanent de la collectivité : le temps passé à écrire les projets est considérable pour un taux de réussite de 23 %, la conformité des réponses (comme il s’agit d’annoncer des délivrables, la recherche à risque n’est plus financée), l’opacité du fonctionnement ; la multiplication des CDD, (estimés à plus de 15 000 en 2008, soit plus de 7 000 équivalents temps plein selon l’ANR). L’ANR finance également les entreprises, principalement par des projets de recherche partenariale avec les labos publics. Cela a eu pour effet de limiter les partenariats directs entre les labos et les entreprises, effet d’aubaine oblige.

L’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (AERES)

La création de cette agence d’évaluation a eu pour principal objectif de torpiller le Comité national de la recherche scientifique. Cette instance placée auprès du CNRS comportait 2/3 d’élus et 1/3 de nommés, avec une quarantaine de sections disciplinaires. L’AERES ne fonctionne qu’avec des nommés. En plus de l’évaluation de toute la recherche, elle évalue également les établissements, universités et organismes. La principale critique formulée par la communauté est que cette évaluation est peu transparente, que les rapports des experts sont parfois réécrits par les responsables de l’AERES, qu’elle fait la part belle à la bibliométrie et finit toujours par une note A+, A, B ou C. Au lieu d’être une évaluation conseil, c’est une évaluation sanction. Si votre labo n’est pas classé A+, aucun espoir pour les appels d’offress du grand emprunt.

Les Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES)

Les 21 pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) permettent en principe aux universités, grandes écoles et organismes de recherche de mettre en cohérence leurs différents dispositifs, de mutualiser leurs activités et leurs moyens. Objectif : proposer une offre de recherche et de formation plus cohérente, plus lisible et mieux adaptée aux besoins des territoires. Les PRES préfigurent le regroupement des universités situées sur le même site et une volonté de rationalisation des moyens humains (RGPP). Leur statut juridique est en général celui d’EPCS (Établissements publics de coopération scientifique).

L’EPCS est un établissement administratif avec un personnel essentiellement de droit public, soumis à une gestion privée (application du plan comptable général, comptabilité tenue selon les usages du commerce). Le CA de l’EPCS ne compte pas plus d’un tiers de représentants des personnels. Pour les personnels des universités, la lisibilité de leur avenir est compromise, entre les CA des universités et celui du PRES, on ne sait plus très bien qui décide. Depuis 2010, les PRES, au même titre que les universités, ont droit de délivrer des diplômes nationaux. La possibilité de voir les diplômes de niveau L (licence) délivrés par les universités et les diplômes de niveau M et D (master et doctorat) délivrés par les PRES existe.

Les fondations de coopération scientifique (FCS)

Elles sont des personnes morales de droit privé à but non lucratif (sauf pour le staff !). Elles mettent en œuvre un projet scientifique dans un ou plusieurs domaines de recherche. Elles sont administrées par des CA composés d’un représentant par membre fondateur, des représentants des enseignants, des enseignants-chercheurs (mais pas des ITA BIATOS) et des chercheurs exerçant dans la fondation et éventuellement, des personnalités qualifiées et des représentants des collectivités. Les RTRA (Réseaux thématiques de recherche avancée) ont le statut de FCS.

Dans ces opérations, l’État a mis du capital à égalité avec le secteur privé, qui est le pilote quasi unique des opérations. Comme pour beaucoup de FCS, impossible d’avoir un compte rendu détaillé des recherches menées.

Conclusion partielle

Le pacte pour la recherche a été très fortement dénoncé par les organisations syndicales et notamment la CGT. Il a permis :

• un recours de plus en plus important aux personnels précaires ;

• l’entrée massive des entreprises dans la définition des orientations universitaires ;

• un fort soutien à la recherche privée. Il s’est accompagné d’une montée en puissance du crédit impôt recherche, Celui-ci est passé de 600 millions d’euros à 4,5 milliards, sans contrôle réel.

III - Deuxième étape : la LRU

L’une des premières réformes majeures qui a suivi l’élection de Sarkozy en 2007 est le vote de la LRU, loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités, le 10 août 2007. Elle instaure une « autonomie » qui se traduit à partir de janvier 2009 par l’accession aux Responsabilités et Compétences Élargies (gestion d’un budget global incluant la masse salariale, gestion des recrutements et des carrières, développement du système des primes et d’individualisation des rémunérations, dévolution du patrimoine immobilier, etc.) et qui remet tous les pouvoirs entre les mains d’un président et de son équipe au détriment des instances démocratiques héritées de la loi Savary. Avant la réforme LRU, les présidents d’université étaient élus par l’ensemble des 3 conseils (CA, Conseil scientifique et CEVU, Conseil de la vie universitaire). Actuellement, le président est élu par le seul CA. L’élection du CA est du type élection municipale, la liste arrivée en tète rafle une large majorité. La LRU s’est accompagnée d’un fort développement des PPP, partenariats public/privé, pour tous les aspects immobiliers, notamment à travers le Plan Campus. L’engagement gouvernemental du blocage pendant 4 ans des droits d’inscription arrive à son terme. La mobilisation anti-LRU n’a été forte qu’a partir des luttes de 2009.

Les forces réactionnaires ont très vite compris les enjeux et se sont souvent organisées pour prendre le pouvoir dans les universités. Il s’en est suivi également moins de nommés issus du mouvement syndical dans les conseils d’universités.

IV - Troisième étape : le grand emprunt

Le grand emprunt a été lancé après la crise de 2008, en même temps que le plan de relance (qui n’était qu’une avance de crédits en cours de remboursement par les organismes). A l’origine prévu par la commission Juppé-Rocard à 100 milliards d’euros, il a été limité à 35 milliards, dont 21,9 pour l’ESR. Cette somme peut, de prime abord, sembler considérable, puisque du même ordre de grandeur que les 23 milliards du budget annuel que l’État consacre à la MIRES (Mission interministérielle de la recherche et de l’enseignement supérieur). Mais les laboratoires et les universités ne profiteront que d’une petite fraction de cette somme, pour l’essentiel les intérêts des placements. Le montage financier est compliqué. L’État emprunte auprès des marchés à un taux voisin de 2,5 %, distribue une petite partie des 21,9 milliards en crédits consommables et confie 17,7 milliards à l’ANR (Agence nationale de la recherche), qui les placera auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations au taux de 3,5 %. Ce seront les intérêts de ces placements qui seront distribués aux lauréats. Seule la crise financière a empêché le tandem Juppé-Rocard et le gouvernement de financer des fondations universitaires « à l’américaine » et de laisser les universités boursicoter. La seule opération qui échappe à cette logique est le plateau de Saclay, pour lequel le milliard d’euros du grand emprunt sera totalement consommable.

L’ensemble des projets du grand emprunt vont vers la mise en place de 5 à 10 grands sites universitaires. Ceux-ci seront dotés de 7,7 milliards en capital courant 2011, dans une opération baptisée « initiative d’excellence », les IDEX, qui finalisera et « emboîtera » l’ensemble des appels d’offresss du grand emprunt. Cette logique de concentration sur quelques sites qui inspire l’ensemble des appels d’offress, va appauvrir des dizaines de régions réputées non prioritaires. Mais, même sur les sites des IDEX, seuls 30% des effectifs seront pris en compte. La conséquence sera lourde pour les disciplines non retenues.

A ce jour, la majorité des appels d’offress sont achevés, hormis celui des IDEX qui a présélectionné : Sorbonne Universités, PSL (Paris Sciences et Lettres), Lyon, Grenoble, Strasbourg, Toulouse et Bordeaux sur 17 projets. Le projet de Saclay a été rétorqué.

Le 4 juillet, le gouvernement annonçait la sélection de trois de ces projets, PSL, Strasbourg et Bordeaux. Les critères de sélection portent beaucoup sur la gouvernance.

Il y aura une deuxième vague à l’automne, qui permettra aux recalés de repostuler.

Le grand emprunt a été mené tambour battant, obligeant les scientifiques à travailler dans la précipitation sur des projets parfois artificiels, souvent fondés sur le seul regroupement d’équipes notées A+ par l’AERES. Dans l’urgence, de nombreuses universités ont fait appel, pour un coût exorbitant, à des officines privées. L’avis des conseils n’a quasiment jamais été sollicité.

Les appels à projets ont été faussés dès le début par des règles opaques et mal définies. Les noms des membres du jury n’ont été rendus publics qu’après les résultats. Le ministère, et parfois René Ricol (c’est le responsable du grand emprunt, sa seule expertise scientifique est d’être l’ancien président de la Chambre des experts comptables et politiquement proche de Sarkozy) en personne, sont intervenus pendant le montage de certains projets pour les valider ou les réorienter. Deux logiques se sont affrontées. D’un coté, celle du ministère de la Recherche qui veut restructurer l’espace national de la recherche autour de quelques champions, les 5 à 10 sites universitaires d’excellence, en laissant pour compte tous les autres. De l’autre, celle de Matignon et du Commissariat général aux investissements, qui prônent une « concurrence libre et non faussée » basée sur une « excellence » non définie. L’affrontement de ces deux logiques a créé un tel imbroglio que la proclamation des LABEX (Laboratoire d’excellence) a été retardée. Sur 241 projets de LABEX déposés, 83 ont été retenus au départ par le jury, puis nous sommes passés à 100 : les lobbys politiques et universitaires ont joué à plein. Aucune cohérence avec les pôles de compétitivité : pas de LABEX sur l’eau à Montpellier, ni de LABEX en lien avec l’aéronautique à Toulouse. Là aussi, les critères de « bonne gouvernance » et de fausse excellence ont joué à plein au détriment de projets plus collectifs.

Dans le domaine médical, six candidats sur 19 ont obtenu un IHU (Institut hospitalo-universitaire) : trois projets parisiens, un à Strasbourg, un à Marseille et un à Bordeaux, a annoncé le ministère le 30 mars 2011. Ces projets vont contribuer à spécialiser la recherche sur les sites.

L’ensemble des projets du grand emprunt répond à cette logique.

Conclusion

L’ensemble de ces dispositifs a accéléré la restructuration/déstructuration de notre système d’ESR. La méfiance des personnels est profonde, mais la résistance est difficile à organiser. Une partie du milieu s’est fracturée, certains ont joué le jeu de la concurrence, espérant tirer leur épingle du jeu ou plus prosaïquement en cherchant les super primes. A titre d’exemple, la prime d’un président d’université est maintenant de 40 000 euros annuels. Dans de nombreuses régions, les Conseils régionaux ont accompagné le mouvement, sans bien mesurer les conséquences sur la diversité des recherches et des offres de formation. L’évolution peut encore s’accélérer, la logique du système est d’aller vers un système à l’anglo-saxonne : financement par des droits d’inscription très élevés, avec des dispositifs de prêt étudiant pour faire plaisir aux banques, appel à des financements privés qui, par ailleurs, bénéficient de forts dégrèvements fiscaux. On parle d’une réorganisation du premier cycle universitaire allant de la terminale à la licence. Une telle logique ne peut que s’accompagner de la fin du statut d’enseignant-chercheur pour de nombreux universitaires. La recherche serait permise aux enseignants en master et les enseignants en licence pourraient voir leur charge alourdie pour aller vers des horaires de professeur agrégé.

Pour la recherche, la mise à mort progressive des organismes nationaux pourrait s’accompagner d’une régionalisation partielle, la cohérence nationale étant soit entre les mains de dispositifs comme le grand emprunt, soit au niveau du ministère mais seulement pour une cohorte de gros laboratoires jugés stratégiques par les politiques (et non plus par les scientifiques).