« Mieux répartir les richesses, augmenter le pouvoir d’achat »
Par M. Jallamion - Introduction au débat de la 2ème table ronde des 9èmes Vendémiaires
Mis en ligne le 28 juin 2011

Tous les sondages le montrent à ceux qui en douteraient encore : le pouvoir d’achat est bien évidemment la priorité de nos concitoyens.

Alors que les théories sur la croissance et la décroissance culminent et s’affrontent sur la scène politique et médiatique, la question du pouvoir d’achat, ou plus exactement celle de l’augmentation du niveau de vie pour le plus grand nombre, apparaît, pour nos concitoyens, comme négligée par les organisations de progrès. Or, bien entendu, si des réflexions existent, aucun projet structuré d’ampleur n’a vu le jour.

Aujourd’hui, si l’on peut se poser la question de la surconsommation pour une partie des cadres de notre pays, force est de constater que le niveau de vie global est en train de se détériorer pour la majorité de nos concitoyens.

Les scandales financiers, l’étalement des richesses (non seulement celles de nos plus hauts dirigeants à commencer par Nicolas Sarkozy, mais également celles de leaders d’opposition), créent plus qu’un sentiment de malaise, la désunion entre l’élite et le peuple, voire celle entre l’ensemble des forces politiques, les représentants et le peuple. In fine se pose donc le problème de la démocratie participative, de sa représentation, de nos institutions. Tout cela n’est pas étranger à la stabilité à un haut niveau du FN dans les intentions de vote : si le peuple se sent bafoué et méprisé, tout peut en sortir, le pire comme le meilleur.

Il est donc vital pour l’ensemble des forces syndicales, politiques et associatives de se mettre d’accord sur de grands axes de luttes. Cela nécessite d’échanger et de débattre. La dialectique qui s’impose à nous est que la proximité des élections présidentielles et professionnelles, tout en ne facilitent pas de tels échanges, rendent ceux-ci encore plus indispensables !

C’est donc fort modestement que nous souhaitons, par ces Vendémiaires, contribuer au débat.

I. Le pouvoir d’achat des salariés en perte de vitesse

Si les prix des produits de consommation stagnent, ceux de « première nécessité » augmentent vite, beaucoup plus vite que l’indice général : 22,4 % depuis 1998 (viande : + 32 %, légumes : + 31 % …). De plus, depuis l’année dernière, les autres aliments rattrapent leur « retard » (en un an + 4,8 % pour les fruits et + 2,2 % pour les poissons et crustacés).

Or le SMIC n’est que de 9 € brut de l’heure, soit 1 073 € net mensuel. Si depuis 1998 il a progressé de 31,72 %, les loyers ont augmenté de + 39,7 % et les prix de l’énergie ont explosé l’an denier et au cours de la dernière décennie : + 9,6 % depuis 1998 mais 6,4 % en un an pour l’électricité, 14,6 % en un an et 81 % depuis 1998 pour le gaz, 29,4 % en un an et 194 % pour les combustibles liquides, 17 % en un an et 78 % depuis 1998 pour les carburants et lubrifiants.

Sans parler de l’augmentation de l’abonnement téléphonique (plus de 200 %) et la nécessité de besoin nouveau comme l’abonnement au téléphone portable et à Internet !

Or, plus les revenus sont modestes et plus ces produits représentent une part de consommation importante.

De manière générale d’ailleurs, les 20 % de ménages percevant les plus bas revenus ont un taux d’épargne nul, voire négatif, alors que les 20 % des plus riches épargnent au moins 30 % de leurs revenus.

Le revenu disponible des ménages les plus aisés est cinq fois plus élevé que celui des plus modestes. Alors que depuis les 30 glorieuses la différence du niveau de vie entre les 10 % les plus pauvres et les 10 % les plus riches n’avait de cesse de diminuer, on assiste à un renversement de cette tendance depuis 1998.

Beaucoup parlent du salaire médian comme étant un peu plus de 1 600 euros net. C’est vrai. Mais notons qu’il ne s’agit pas là du revenu médian mais bien de salaires. C’est-à-dire que 50 % des salariés à TEMPS PLEIN perçoivent 1 600 euros nets. Le revenu médian est lui pour un célibataire autour de 1 410 € (prestations sociales incluses).

Concernant le niveau de vie global : en France, 13,4 % de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté. Cela signifie très concrètement que 8 millions de personnes vivent avec moins de 908 euros par mois.

En 2007, c’est à partir de 84 500 euros de revenu déclaré annuel par unité de consommation qu’une personne se situe parmi les 1 % les plus riches, soit 5 300 euros net par mois…

Les revenus de ces ménages les plus aisés déclarés aux impôts ont augmenté plus vite que ceux de l’ensemble de la population .

Lorsque nous mettons tout cela en corrélation avec les dividendes qui ont augmenté de 13 %entre 2009 et 2010, il est plus que temps de répartir les richesses autrement !

De plus, entre 2004 et 2010, si les salariés des entreprises du CAC40 ont eu une augmentation de salaire de 8 %, les dividendes versés aux actionnaires ont augmenté de 110 % (et tout cela en faisant « abstraction » des charrettes de licenciements dues à la crise et grâce à notre secours financier !). En France, 40 % des salariés n’ont pas eu d’augmentation depuis au moins 5 ans, et le très libéral Jacques Attali indiquait que 80 % des richesses produites allaient dans les mains de 5 % des personnes.

II. Augmenter le niveau de vie, trouver des pistes communes

A. Augmenter le salaire, augmenter les impôts

Dans les forces de progrès, l’augmentation des salaires ne semble pas poser de problème « a priori » sauf que… sauf que le débat non seulement se limite à l’augmentation du SMIC et achoppe sur des querelles de montants !

Il apparaît que l’augmentation des salaires est aujourd’hui une nécessité absolue. Des points de consensus doivent être trouvés. Il n’est pas normal que d’année en année le PIB s’oriente de plus en plus vers les capitaux et de moins en moins vers les revenus ! C’est ainsi de 3 points (référence 1960-70) à 10 points (si l’on prend les chiffres au lendemain du choc pétrolier de 1979/1980) du PIB qui ont été déplacés suivant l’année de référence. Donc cela fait pour la France au minimum (mais c’est la même chose pour tous les pays de l’OCDE). 42 milliards d’euros par an que les détenteurs de capitaux ont pris aux salariés !

Ajoutons à cela la baisse des impôts (tranche maximale d’imposition à 65 % en 1980, 40 % aujourd’hui !) et cela fait en 10 ans une perte de 110 milliards d’euros pour la collectivité !

Cerise sur le gâteau, les niches fiscales représentent 146 milliards d’euros.

Le niveau de vie à relever concerne le salariat dans sa globalité : les salariés, les anciens salariés (retraités), les salariés privés de leur force de travail (Rmistes, chômeurs …), les futurs salariés (étudiants, apprentis ….), les « travailleurs indépendants » (qui sont en fait des salariés externalisés payant leurs propres charges), les fonctionnaires, assimilés et emplois publics, etc. Contrairement à un a priori martelé par les libéraux : le salariat est de plus en plus nombreux et concerne aujourd’hui 90 % des actifs. De plus l’écart entre les employés et les « cols blancs » ne cesse de diminuer, d’où d’ailleurs la fréquence de plus en plus régulière des mobilisations conjointes des cadres et des employés comme nous l’avons vu sur le dossier des retraites. Il va donc sans dire que, bientôt, 90 % de nos concitoyens seront directement concernés par les propositions impactant le salariat.

Il est donc grand temps d’inverser cette tendance, ne serait-ce qu’en redonnant ce qui a été pris au salariat ce qui n’a rien, somme toute, de révolutionnaire.

B. Augmenter le salaire socialisé

Les débats récents sur la Sécurité sociale et la retraite laissent ouverte une idée selon laquelle la Sécurité sociale étant en déficit, il s’agirait de trouver la solution la moins douloureuse pour diminuer son coût. Il est curieux de constater que si l’augmentation de la CSG n’est plus taboue, il n’en est pas de même des cotisations sociales patronales. Or la Sécurité sociale, si elle est attaquée aujourd’hui, l’est aussi (mais pas seulement certes) pour une raison idéologique : c’est la mise en place d’un système unique lors de la Libération où chacun cotise selon ses moyens et perçoit selon ses besoins !

C’est une telle remise en cause du libéralisme qu’il n’est pas étonnant qu’autant de tentatives aient lieu pour la dépecer et la privatiser via notamment le recours aux complémentaires, voire à des assurances privées spécifiques. Ajoutons que pour les faibles revenus, les dépenses liées à la santé sont un des rares budgets qui n’ait pas augmenté en pourcentage du revenu disponible.

Mais une des raisons est, hélas, un recours de moins en moins fréquent aux soins, que la destruction des hôpitaux et maternités de proximité à l’œuvre ne fera qu’amplifier. De plus, le déremboursement de nombreux médicaments, la mise en place et l’augmentation des franchises médicales, etc. rendent cette stagnation illusoire dans le moyen, voire le court terme.

Car le niveau de vie, c’est bien entendu aussi l’accès aux soins, à une retraite décente, etc. Nous devons clairement nous poser la question de l’augmentation de la part patronale, de la resocialisation du système des complémentaires santé ainsi que de l’aménagement du territoire en termes d’offre de soins y compris en secteur 1. Ne nous voilons pas la face : l’évolution du secteur mutualiste pose problème. Ne lâchons pas la proie pour l’ombre : les véritables mutuelles n’ont rien à gagner à l’évolution en cours. C’est par la contrainte due à une mise en concurrence effrénée avec les assurances privées que certaines dérives ont lieu. Nous devons refuser, si nous considérons que la conquête mutualiste de l’histoire du monde du travail n’est pas finie, cette dérive en remettant en cause le système concurrentiel imposé. Ou sinon cela signifie simplement la mort de cette avancée, de renoncer à la fin d’une des principales avancées de l’histoire du mouvement ouvrier…

C. Privilégier le cadre de travail stable, serein, les trajets cours, …

Il aura fallu les nombreux suicides chez France Telecom pour que cesse l’omerta sur la pressurisation salariale, y compris des fonctionnaires (qui représentent 75 % des employés de cette entreprise).

Si la France dispose des salariés les plus productifs au monde, cela ne peut se passer à n’importe quel prix ! Le niveau de vie c’est aussi le bien-être au travail et la tranquillité d’esprit : la première nécessité est que la précarisation de l’emploi et la nécessité de mobilité cessent d’être présentées comme un synonyme de « modernité ». Il n’y a rien de moderne à ne pas pouvoir structurer une vie familiale, à user son temps libre dans les transports pour se rendre à son travail, à devoir changer d’adresse tous les trois ans. D’ailleurs l’exemple de l’Espagne est révélateur : voici encore quelques années on nous en vantait le dynamisme en nous présentant les nouveaux assouplissements du droit du travail comme synonyme d’accomplissement pour la jeunesse qui trouvait là-bas sont nouvel Eldorado fuyant la France et son Code du travail trop rigide … Le peuple espagnol ne semble pas vraiment de cet avis…

Car l’augmentation du niveau de vie général passe nécessairement par le durcissement du Code du travail et le retour aux fondamentaux : la norme du contrat de travail est le CDI. Il est nécessaire que des discussions aient lieu afin que les faits suivent le droit. Cela doit commencer dans la Fonction publique et la Fonction territoriale, qui sont les premières à déroger à ce principe. Il est anormal que l’État ait recours à des contrats précaires, aidés… pour s’exonérer de stabiliser ses emplois !

Cela passe aussi par un retour à la hiérarchie des normes : quel est l’intérêt pour le salariat à ce que des accords d’entreprises puissent déroger aux accords de branches, si ce n’est vers le haut ? Comment peut-on justifier cela au nom d’une quelconque démocratie ? Comme le disait Jean-Jacques Rousseau au début du Contrat social : le droit doit protéger le faible ou sinon il cesse d’être du droit mais est simplement l’expression de la force. Or aujourd’hui le rapport de force est loin d’être à l’avantage du salariat et de ses représentants, qui plus est au niveau de l’entreprise !

III. Pour une politique du plein emploi, œuvrer à une politique véritablement internationaliste

Bien entendu cela suppose la création d’emplois pour les précaires, les chômeurs, etc. Cela suppose que cessent les délocalisations. Aucun tabou ne doit exister en la matière car ce que l’on connaît en France, on le connaît non seulement dans tous les pays de l’OCDE mais même au-delà. Il ne s’agit pas de « fermer les frontières » mais de voir la réalité en face : autoriser le libre échange et le dumping social n’arrange aucun salarié qu’ils soient en France, en Pologne, en Tunisie ou en Chine !

Nous devons trouver des possibilités de taxer le dumping social, que ce soit par un système « d’écluse sociale », de « taxe sociale et écologique d’importation », de « subsidiarité inversée », etc. Que la concurrence internationale sur l’innovation et la recherche ait lieu cela peut créer, en partie, une dynamique positive. Mais sur les salaires ? Sur les conditions de travail ? Où est l’avantage d’un système qui entraîne du chômage et de la misère pour les salariés des pays riches, et l’exploitation sans limite des salariés dans les pays pauvres ?

IV. Développer les services publics et les outils de solidarité

Les services publics ont, en France, une place particulière. Ce n’est pas sans raison que leur privatisation est chaque fois désavouée par nos concitoyens. L’exemple de la Poste en est emblématique. Ils sont en effet les vecteurs d’égalités souhaités par le CNR. Leur rôle d’aménagement du territoire n’est plus a démontrer, tout comme leur rentabilité sociale. Mais bien sûr, au sein de l’Union européenne, on estime à 70 % la part du PIB remplie par les services qui bien souvent sont encore conduits par le public. Pas étonnant que devant une telle manne qui échappe à la captation des profits, une des priorités des libéraux est de les détruire. Et tant pis si au passage les PME sombrent, si les entrepreneurs croulent, si nos campagnes se transforment en déserts ou en lieux pour résidence secondaires, les multinationales s’en sortiront toujours, elles écraseront à arme égale toute concurrence et multiplieront les dividendes. C’est le seul objectif des détenteurs de capitaux.

Dire cela n’est pas se contenter de l’existant. Il faut que les peuples puissent diriger politiquement les principaux outils économiques : il en va de la démocratie et de la liberté. Qu’est-ce qu’une république où seule les nantis peuvent avoir accès aux meilleurs soins, à la meilleure éducation, à la culture et aux loisirs ?

Pour que cela n’ait lieu il faudrait que l’État puisse reprendre en main le secteur bancaire, les services,… mais cela nécessite qu’un débat sans tabou ait lieu entre les forces de progrès sur la conception de l’État. Le schisme entre « républicains » et « alter-mondialistes » n’a que trop duré ! C’est sur cette fracture que se construisent inexorablement les victoires du libéralisme. L’État ne doit être qu’un outil au service du peuple. Le débat doit donc être ouvert sur la souveraineté populaire, ses moyens d’expressions, la remise à plat de nos institution dans cet unique but : redonner aux peuples la maîtrise de la puissance publique et des choix économiques.

Cela suppose de partir des réalités et de ne pas être aveuglés : l’histoire nous montre qu’il est faux d’attendre notre unique salut d’élus du peuples (si la Sécurité sociale était gérée par le parlement, elle serait depuis longtemps privatisée !) tout comme il est illusoire d’attendre la mise en place de normes internationales de régulations alors que tous les pays sont aux mains de la finance mondialisée… ne peut-on pas débattre sur la nécessaire démocratisation de notre société ? Ne pas croire en la possibilité de soviets permanents ne doit pas signifier renoncer à permettre d’être des citoyens actifs, à la démocratie d’être la plus directe possible. Entre un monde ou des assemblées générales décideraient de tout, tout le temps, et un autre où l’on ne demande l’avis au peuple que pour mieux s’asseoir sur ses choix, un autre type de société semble et doit être possible !

Enfin, il est clair que les services publics doivent couvrir des champs nouveaux : il est inadmissible qu’aujourd’hui, avec la richesse que nous créons, que nous soyons dans l’incapacité de créer un logement pour tous, aussi modeste soit-il, permettre l’accès aux soins, à la culture, à Internet à tous,etc.