Réforme de la dépendance : un dossier complexe
Intervention de Jean-Claude Chailley, SG de RESO, à l’assemblée générale de la Coordination des hôpitaux et maternités de proximité (11 juin 2011)
Mis en ligne le 24 juin 2011

C’est un dossier complexe. Personnellement, mon optique a évolué au fil du temps en fonction de l’étude des rapports, mais aussi des échanges, des arguments de différents camarades ou organisations. Il sous-tend un projet de société.

• Il y a un problème de prise en charge des personnes âgées dépendantes ou non, comme il y a d’ailleurs un problème dans la petite enfance, dans l’éducation, la santé et plein d’autres domaines.

• Il est bien évident que le prétendu « débat national » promis par N. Sarkozy n’a pas eu lieu et n’aura pas lieu. Echaudé par la mobilisation des retraites, Sarkozy préfère que le débat reste cantonné parmi des spécialistes de différentes organisations. Mais comme par hasard le projet de loi ne sera déposé qu’en juillet.

• On est tous d’accord pour refuser la stigmatisation des personnes âgées dites dépendantes avant tout par principe éthique. Mais en plus c’est impossible car la réforme a un caractère général sur tous les plans.

• Actuellement on ferme des lits d’hôpitaux, notamment en gériatrie. Le rapport Vasselle, le MEDEF prévoient 30 000 fermetures supplémentaires, notamment en gériatrie pour les transférer aux EHPAD. C’est de la privatisation pure et dure. Mais ce n’est pas spécifique des personnes âgées « dépendantes » ou non. C’est le problème général de la loi Bachelot, des ARS qui cassent les hôpitaux, et aussi les maternités, centres de santé, centres d’IVG etc. Il s’agit donc d’un combat général contre les ARS pour un service public de la santé – qu’il faudrait définir –.

Deux exemples :

- Le groupe Korian (né en 2001), 167 maisons de retraite, 22 000 lits dont 17 000 en EHPAD, mais aussi 4000 en cliniques de SSR (soins de suite et réadaptation), et établissements psychiatriques. Ces multinationales sont dans les filières où la rentabilité est la plus forte

- Le groupe ORPEA : 34 000 lits. Chiffre d’affaires triplé entre 2005 et 2010. + 26 % au 1er trimestre 2011. Rentabilité opérationnelle : 14 % du chiffre d’affaires. Là aussi il y a des cliniques privées. On est donc face au problème général des ARS. Comme on pourrait aussi parler de la Générale de santé.

• Le report sur les aidants, en réalité à 70 % des aidantes, c’est pareil. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’implication des familles. Il est normal de ne pas abandonner ses parents ou grands-parents. Mais ce dont il s’agit, c’est l’application aux personnes âgées ou non, en perte d’autonomie ou non, de la loi Bachelot. Un des aspects de la recherche d’économies budgétaires, c’est les aidants : il n’y a rien de moins cher que le travail gratuit des femmes qui seront invitées à retourner à leur foyer. Ce qui est proposé non seulement par la loi Bachelot, mais aussi par l’OCDE et le MEDEF, c’est un recul historique.

• La perte d’autonomie est une notion relative. On peut prendre un métro s’il y a un ascenseur ou être dans l’incapacité de se déplacer seul s’il n’y en a pas. Et c’est pareil pour beaucoup de choses, comme les baignoires ou les douches. Un projet de société devrait prendre en compte dans tous les domaines une optique intergénérationnelle : la conception de la ville, le logement, les transports etc. Il y a de nombreux aspects communs de la petite enfance au grand âge et les logements par exemple souvent ne sont conçus ni pour la petite enfance ni pour le grand âge.

• Il y a besoin d’un VERITABLE PB DE SP à la personne, de qualité, à coût abordable, avec du personnel formé et correctement rémunéré. . Mais on ne peut éluder ni les lois Borloo (27 juillet 2005) solvabiliser la demande de services afin de promouvoir un accès universel à des services de qualité ; simplifier l’accès aux services, notamment par la création du chèque-emploi-service universel, le CESU ; professionnaliser le secteur et garantir la qualité des prestations, ni la DIRECTIVE SERVICES, transposée très discrètement, mais dont le MEDEF exige l’application totale pour pouvoir concurrencer les services publics et développer des entreprises, alors qu’au contraire il faudrait donner des moyens pour améliorer la qualité des services publics. On est là aussi dans un combat général et pas spécialement dans un combat sur les seules personnes âgées en perte d’autonomie, ni même sur l’ensemble du handicap de tous âges.

• On est dans un projet de société. Ce n’est pas Sarkozy qui le mettra en œuvre puisqu’il fait exactement le contraire avec la RGPP, la réforme territoriale, les ARS et autres régressions sociales. Un véritable projet nécessite une autre majorité, donc c’est clairement pour 2012 ou au-delà.

Mais alors pourquoi cette réforme ?

• N. Sarkozy, 10 février : « …il nous faut inventer autre chose que le modèle traditionnel de couverture des risques par la sécurité sociale. »

• F. Fillon, discours de politique générale : « Cette concertation nationale aura évidemment pour but immédiat de traiter de la question de la dépendance », … mais elle devra aussi « examiner les voies et moyens de réguler les dépenses de santé, de fixer la part des régimes obligatoires et complémentaires, de diversifier les modes de financement. »

• MEDEF, 20 propositions : « cette réforme ne peut être déconnectée de celle, urgente et annoncée par les pouvoirs publics, du financement de notre protection sociale. Elle doit même en être une première illustration. »

On n’est pas dans une amélioration de la prise en charge des personnes en perte d’autonomie qui n’est qu’un prétexte.

C’EST DONC UNE REFORME DE FOND DE LA SS. Comme pour les retraites, elle est habilement masquée.

• On nous parle d’abord de dépendance comme un phénomène nouveau. C’est faux, il y a toujours eu des personnes âgées dépendantes, prises en charge par les familles, dans les fermes, dans les hospices au moyen âge puis à l’hôpital. Déjà actuellement il y a 1,2 millions de personnes qui touchent l’APA, (Allocation perte autonomie) sans compter 700 000 handicapés qui relèvent en théorie de la même loi du 11 février 2005. Donc la « dépendance, c’est pas c’est pas nouveau.

• On nous dit que c’est un risque nouveau. Là encore on ne peut qu’être en désaccord : être Alzheimer par exemple c’est un risque de maladie comme d’avoir un cancer ou un infarctus quel que soit l’âge.

• Je passerai rapidement sur l’argument démographie qu’on nous refait comme pour les retraites. Les projections montrent qu’à 15 - 20 ans il n’y aura pas explosion. Peut-être passer de 1,2 millions à 1,5. A 50 ans, il y a à peu près toutes les estimations il est facile de comprendre pourquoi certaines sont alarmistes.

• Avec une véritable politique de prévention, de recherche, la perte d’autonomie (qui augmente moins vite que l’espérance de vie) peut être réduite :au colloque de l’INED Françoise Forette professeure de médecine interne et de gériatrie à l’université Paris Descartes. Médecin à l’hôpital Broca disait : « La plupart des maladies source de dépendance et dites liées à l’âge ont des facteurs risques modifiables. »

• Toute cette construction branlante a un but : justifier comme logique auprès de l’opinion publique, qu’il y a un nouveau risque, qui n’existait pas avant, et donc qui ne pouvait être anticipé dans le cadre du financement normal de la Sécurité Sociale. On a l’habillage du prétexte à la réforme de la Sécurité Sociale souhaité par Sarkozy, Fillon, le MEDEF et beaucoup d’autres.

• Accepter un 5ème, c’est accepter un 6ème, un 7ème…c’est la négation de la Sécurité Sociale qui couvre tous les risques.

• Sur les 1,2 M qui reçoivent l’APA, il y a déjà 850 000 Alzheimer. La perte d’autonomie, c’est la maladie elle-même. La clé de la réforme, la clé de l’arnaque c’est séparer la perte d’autonomie de la maladie. On doit le refuser

Pour la professeure Françoise Forette, « La dépendance est liée à la (aux) maladie(s), jamais à l’âge » .

C’est parce que la perte d’autonomie est lié à la maladie qu’elle doit à mon sens être prise en charge dans la branche maladie de la Sécurité sociale.

• La dissociation maladie et dépendance introduit un principe général. Lorsqu’on subit une intervention chirurgicale, ou qu’on est dans le coma après un accident de moto, on peut dire aussi qu’il y a dépendance, qu’il faudrait donc ces différents risques par n assurances spécifiques. On prépare donc pour tous les âges et toutes les interventions un tarif « dépendance ». C’est les franchises décuplées ou centuplées. C’est aussi la fin du 100 %.

Bien évidemment comme en Grèce ou ailleurs, la crise rêvé pour justifier toutes les régressions sociales. Tous les rapports parlementaires ou du MEDEF partent du principe que les finances publiques seront exsangues jusqu’en 2060 au minimum. Ça promet un bel avenir aux jeunes générations dont on nous parle tant.

L’enjeu financier est relativement limité. Actuellement 23 mds € environ, dont les 2/3 sont financés par la Sécurité sociale.

Budget retraites en 2011 : 202 mds € ; budget Sécurité sociale : 450 mds €.

Certes pour une bonne prise en charge il faudrait davantage, comme d’ailleurs dans l’ensemble de la Sécurité sociale et des services publics.

• On parle trop peu du MEDEF qui est pourtant à l’origine. MEDEF, 20 propositions : « cette réforme ne peut être déconnectée de celle, urgente et annoncée par les pouvoirs publics, du financement de notre protection sociale. Elle doit même en être une première illustration. »

• L’enjeu véritable, ce n’est pas les variantes des modalités, bien qu’elles puissent avoir une certaine importance. L’enjeu véritable c’est d’imposer avec le moins de mobilisation possible le principe de la réforme de la Sécurité Sociale que souhaite le MEDEF depuis des décennies :

- Tout d’abord un socle minimum pour les plus démunis. Il s’agit de continuer de se débarrasser de charges sociales vers la solidarité nationale et les assurances. Le vocabulaire est important.

- Les charges sociales c’est du salaire, les syndicats l’appellent SALAIRE socialisé. Lorsque le MEDEF obtient une baisse de cotisations sociales, en réalité il baisse le salaire.

- Nous sommes évidemment pour la solidarité nationale, la Sécurité Sociale notamment. Mais pas la solidarité nationale à la mode MEDEF. La solidarité nationale pour le MEDEF, Sarkozy, Le pacte euro plus, c’est la TVA, qu’ils veulent bien appeler avec des connotations sympathiques, TVA sociale ou sociale ou autre, ou même TVA écologique comme le propose Bruxelles … et la CSG qui est payée à 88 % par les salariés. Ce n’est pas une interprétation : « Si un recours à la solidarité nationale devait malgré tout être envisagé, il ne saurait reposer d’une manière ou d’une autre sur les entreprises et le travail. Un impôt à assiette large, type CSG, devrait être privilégié, en cohérence avec un financement de la solidarité nationale par l’impôt » (20 propositions du MEDEF) + rapport Vasselle

Dans tous les cas, assurances, TVA, CSG, ou autres propositions…le résultat serait une baisse du pouvoir d’achat et des dividendes qui montent. L’opposé d’un partage plus équitable de la valeur ajoutée

• Une remarque ne pas résumer le combat à assurances obligatoires ou non : le MEDEF préfèrerait des assurances obligatoires, mais n’en fait pas un préalable car ce qui lui importe avant tout c’est d’adopter le PRINCIPE de la réforme de la Sécurité Sociale. Nous on est contre le principe, donc y compris d’obliger à prendre des assurances dites facultatives

Il y a un lien avec le » Pacte pour l’euro » qui concerne directement la protection sociale. , Heureusement toute la gauche s’ oppose à la réforme constitutionnelle qui en découle et a les moyens de le mettre en échec car Sarkozy n’a pas les 60 % nécessaires au Congrès.

« Ouvrir davantage les secteurs protégés » = privatisations, PPP

• « Réduction des charges fiscales pesant sur le travail » cotisations sociales patronales »

• Examiner la « Viabilité des retraites, des soins de santé et des prestations sociales » en relation avec le niveau d’endettement

• « Les augmentations significatives et durables pourraient provoquer une érosion de la compétitivité ». « Veiller à ce que les accords salariaux dans le secteur public viennent soutenir les efforts de compétitivité consentis dans le secteur privé ».

• Pour conclure à mon sens on doit lutter énergiquement contre cette réforme. La perte d’autonomie doit être prise en charge dans la Sécurité sociale, dans la branche maladie de la Sécurité sociale.

• Si on est dans la branche maladie, le problème du financement, c’est celui du financement de la Sécurité Sociale, donc des branches maladie, retraites, famille, AT/MP. On est dans le même type de propositions de financement que lorsqu’on a parlé de la réforme des retraites.

• Et ça va débuter avec le PLFSS à la rentrée, c’est-à-dire le sur le budget de la Sécurité Sociale qui inclura des mesures de la réforme de la « dépendance ».

On a tous conscience qu’il s’agit d’un choix de société, donc aussi des programmes 2012 ou au-delà.

On n’est peut-être pas tous d’accord sur tout, c’est pour cela qu’on échange. Mais sans être forcément d’accord sur tout, et sans attendre 2012, on peut être d’accord pour mobiliser unitairement pour au minimum mettre en échec la réforme Sarkozy- MEDEF et défendre et reconquérir notre Sécurité sociale.

Une dernière citation :

« La sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires… »

« La sécurité sociale appelle l’aménagement d’une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire »

« Le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité »

A part peut-être le style, y a-t-il texte plus moderne ?

Jean Claude Chailley