Les Cahiers de Résistance Sociale
Café social du 30 juin 2010 sur le thème "Fiscalité : l’injustice sociale ?"
Mis en ligne le 27 août 2010

Mercredi 30 juin. Il est 18H30. Le beau temps est enfin là. Il fait chaud, les terrasses sont pleines. C’est le jour que nous avons choisi pour notre 1er « café social » qui se tiendra dans l’arrière-salle d’un café à Paris. Le sujet « fiscalité : l’injustice sociale ? » est un autre sujet de perplexité : aurons nous du monde ?

On m’a demandé d’être modérateur. Pour les débats, pas de souci : nous avons 3 orateurs de qualité : Jacques Cossart, économiste, membre du Conseil scientifique d’Attac. Vincent Drezet Secrétaire national du Snui (syndicat unifié des impôts- Solidaires) et Michel Fontaine de la CE de la Cgt banques. Nous avons prévenu les orateurs du risque couru sur la participation : 20, 25 ?

Vers 19H15 nous démarrons. On est entassés, la salle est archi-comble, beaucoup de participants n’appartenant pas aux réseaux militants habituels. Après les 3 exposés introductifs synthétiques (voir ci-après) les questions/interventions fusent : bouclier fiscal, niches fiscales et sociales, signification idéologique de la notion de prélèvement obligatoire, impôts sur les sociétés, taxe professionnelle, concurrence fiscale et sociale en Europe, Omc, Agcs… nombre d’aspects sont abordés. A 21 heures, malgré les conditions de chaleur et l’absence de sono, j’ai le plus grand mal à arrêter un débat passionnant. Merci aux militants de l’antenne Ile-de-France de Résistance sociale d’avoir organisé ce 30 juin 2010 leur premier café social au Bar de l’Horloge !

Jean-Claude Chailley, Secrétaire Général de RESO

Le débat est ouvert !

Les interventions, retranscrites ci-après, ont été pour les participants l’occasion d’ouvrir quelques pistes de réflexion. Le long débat qui les suivit s’est organisé autour de 4 grands axes :

1) Que faire pour arrêter la baisse des impôts en général, et celle favorisant les plus riches en particulier, qui s’est accélérée depuis dix ans avec la diminution significative de la progressivité de l’impôt sur le revenu, du taux d’imposition des sociétés, l’instauration du bouclier fiscal, et l’accroissement continu des niches fiscales ?

2) Que faire pour arrêter de façon encore plus générale la privatisation des profits et la socialisation ou collectivisation des pertes ?

3) Les paradis fiscaux exercent-ils, non pas uniquement en théorie, mais dans les faits, une concurrence déloyale en la matière ? Si oui, que faire pour les neutraliser, agir au niveau national, international, les deux ?

4) Compte tenu du montant auquel ils sont évalués, lutter efficacement contre le travail au noir et la fraude fiscale - c’est-à-dire, entre autres, non seulement en ne diminuant pas, mais au contraire en augmentant le nombre et la qualité des contrôleurs - ne constitue-t-il pas aussi un moyen non négligeable de contribuer à une plus grande justice fiscale et sociale ?

Nous espérons que la diffusion de ces cahiers permettra la continuation de ces réflexions et pourra servir de support à ceux d’entre vous qui souhaiteraient organiser ce type de débats dans leur commune.

Françoise Salignac, RESO Ile-de-France


Vincent DREZET - Secrétaire national du Syndicat national unifié des impôts (SNUI)

Aujourd’hui le problème dont découlent les discussions autour de la « concurrence fiscale », le bouclier fiscal, etc. est celui du consentement à l’impôt. Certains paient, d’autres moins, car il y a des mesures fiscales injustifiées. Et donc ce consentement à l’impôt, qui fait que l’on vit ensemble et que chacun paie donc en fonction de ses facultés, ce qui est posé en principe de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ce consentement est en danger. Car certains paient, d’autres moins en raison de mesures fiscales injustifiées. Or lorsque le contrat social est rompu c’est la volonté de vivre ensemble qui est affectée, c’est l’évolution, la légitimité des choix actuels et des choix futurs qui sont remis en cause. Le fait que le consentement à l’impôt soit affecté se traduit par le « symbole » du bouclier fiscal. Ce n’est peut-être qu’un symbole, mais c’est un peu la goutte d’eau qui fait déborder le vase, regardons alors ce qu’il y a dans le vase.

Il est intéressant d’aborder cette notion de mise en danger du consentement à l’impôt, car c’est justement ce qui, il y plus de deux cents ans, a provoqué la Révolution française. A savoir que le Tiers-état en avait assez de payer pour la noblesse et le clergé et que c’est le consentement à l’impôt qui est une des sources, sinon la source principale, de la Révolution de 1789.

Que s’est-il passé depuis deux cents ans ? Ce sont aujourd’hui à peu près les mêmes forces qui s’affrontent : forces dominantes qui veulent imposer une certaine fiscalité (et en ce moment elles y parviennent), et forces sociales plus ou moins bien organisées et coordonnées, plus ou moins puissantes, qui essaient parfois de rétablir l’équilibre. Cela s’est vu tout au long du XIXème siècle avec la grande bataille sur la fiscalité, où certains oeuvraient pour empêcher la naissance d’un impôt progressif sur le revenu et d’autres souhaitaient le mettre en oeuvre. Au XIXème siècle on a vu parallèlement les impôts indirects prendre le pas sur les impôts directs : l’impôt direct est plus juste car il nous « connaît » alors que l’impôt indirect ne nous connaît pas. Il connaît juste le montant que l’on doit payer. Donc, que l’on soit smicard ou milliardaire, on s’acquitte de la même somme.

Puis sont arrivées des formes de résistance sociale. Des forces progressives sociales ont voulu mettre en œuvre l’impôt sur le revenu direct progressif, c’est-à-dire un impôt destiné à faire payer les riches plus que les pauvres. Paradoxalement, cet impôt sur le revenu a vu le jour car un effort de guerre était demandé en 1914. Mauvaise cause mais bon effet sur le plan fiscal car l’impôt sur le revenu a vu le jour. De cet impôt sur le revenu, dont on a vu l’importance croître jusqu’au moment des 30 glorieuses, on sait très bien qu’il a rapporté plus d’argent, il avait une progressivité assez importante puisque l’on avait des taux d’imposition qui dépassaient 70 % de volume du PIB (plus de 80 % en Angleterre ou aux Etats-Unis). Pourtant cela n’a pas empêché l’économie de croître au cours des 30 glorieuses. On a réussi à avoir une période sans chômage, avec croissance économique et des impôts directs assez élevés.

Bien sûr, on pourra toujours dire qu’il y avait eu la guerre et donc qu’il y avait tout a reconstruire. Dans le cas présent, avec la crise, il y aura beaucoup à reconstruire demain. Mais ce qu’il est important de constater c’est que, suite à cette période, il y a eu un retournement que l’on situe depuis le début des années 80 avec ce que l’on appelle la mondialisation, entraînant déréglementation, mise en concurrence des états, des systèmes fiscaux et sociaux. Nous constatons donc un mouvement de repli des conservateurs, qui emploient les mêmes arguments que leurs ancêtres du XIXème siècle, qui disaient « trop de charges tuent l’emploi », « trop d’impôt tue l’emploi », etc. Donc on a finalement une forme de répétition, dans un contexte différent, mais les arguments sont souvent à peu près les mêmes, notamment de la part du Medef et de tout ceux qui sont associés à ces idées-là, à savoir que tout cela va tuer l’emploi et va tuer la croissance économique.

Comment analyser les évolutions plus récentes ? Nous avons une interdépendance des économies, une plus grande liberté de circulation des capitaux et une plus grande rapidité de circulation de ces capitaux, ainsi qu’une globalisation économique et financière qui, en soi, nécessite que l’on se hisse à la hauteur des enjeux mais Jacques Cossart y reviendra. De plus, le choix est fait de laisser dans ce contexte-là des systèmes fiscaux nationaux. Il est fait sur la base d’une grille de lecture très simple consistant à dire « on va baisser les prélèvements obligatoires, les impôts d’une part, les cotisations sociales d’autres part » et « cette course à la baisse des prélèvements obligatoires permettra de dégager des profits », car « il est certain que les profit d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Or aujourd’hui il est certain que l’on peut dire « les profits d’aujourd’hui sont les profits d’aujourd’hui » : il y a plutôt un recul de la part des investissements et en termes d’emploi il y a plutôt une hausse du chômage. On voit bien que cette globalisation financière n’a été finalement qu’une course au profit, grignotant au passage les systèmes sociaux hérités de la Libération. Au final, cela ne s’est pas traduit par de l’investissement. Au contraire, les entreprises importantes qui ont massivement bénéficié des réductions d’impôts sur les sociétés et des taxes professionnelles et qui ont également bénéficié de certaines niches fiscales de façon dérogatoire ont diminué d’environ 23 % leur part d’investissement entre 1998 et 2005.

Le mouvement est à peu près le même pour les particuliers car qui dit concurrence fiscale dit surtout allègement des impôts. Ceux qui touchent les entreprises, les grandes entreprises comme ceux qui touchent les particuliers. Et donc de même que l’on a assisté à une baisse de l’impôt sur les sociétés, on a assisté à une baisse des impôts sur le revenu. Cette baisse est le fruit de la réduction du nombre de tranches et une baisse des impositions. Au début des années 80, la tranche maximale d’imposition des impôts sur le revenu en France était de 65 %, elle est de 40 % aujourd’hui. On a donc une baisse qui mécaniquement a provoqué une hausse des inégalités. Ceux qui avaient beaucoup d’argent en ont reçu encore plus car ils payaient moins d’impôts. De ce fait, une catégorie sociale a eu satisfaction : celle des Français les plus riches.

Est-ce que cela a permis l’investissement ? Non. Au vu de ce qui s’est passé, cela a alimenté la capacité d’épargne et la spéculation des plus riches, cela a augmenté des inégalités mais cela n’a pas provoqué des investissements. On a calculé dans mon union syndicale que sur 10 ans ces baisses cumulées du barême ont coûté, sans parler pour l’instant des niches fiscales, environ 110 milliards d’euros. Aujourd’hui on cherche de l’argent. Les baisses d’impôts ont été massivement concentrées sur les plus riches, provoquant à la fois un manque à gagner et une augmentation des inégalités.

Autre moyen de baisser l’impôt, qu’il s’agisse d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les sociétés : les niches fiscales. Ce sont des baisses d’impôt ciblées. Là, il ne s’agit plus du passage de 60 à 40 % des tranches de l’impôt. C’est l’utilisation d’un but vertueux de l’impôt à des fins clientélistes, idéologiques. Le but vertueux c’est quoi ? L’impôt normalement doit être incitatif. C’est bien qu’il y ait des mesures dérogatoires, à condition que celles-ci soient justifiées, efficaces. Or, aujourd’hui, il existe toute une série de mesures dérogatoires, dont la plupart ne sont pas efficaces. Les niches fiscales représentent 146 milliards d’euros par an de manque à gagner. 75 milliards d’euros sont identifiés par la loi de finances comme dérogatoires mais 80 milliards d’euros supplémentaires ont été identifiés et comptabilisés comme tels par la Cour des comptes.

Les niches fiscales relèvent d’une volonté de multiplier les mesures dérogatoires. Aujourd’hui, cela rend les déclarations encore plus compliquées. Mais ceux qui sont bien conseillés optimisent les situations. Depuis 20 ans, il y a une vraie tendance en France et malheureusement également en Europe de baisse des impôts directs, c’est-à-dire par nature les impôts les plus justes. Les impôts sur le revenu sont directs et progressifs, l’impôt sur les sociétés n’est pas progressif mais est un impôt direct. Les impôts sur le patrimoine baissent également. Il ne s’agit pas que de l’ISF, cela concerne également les impôts sur les successions. Nicolas Sarkozy a relevé les abattements pour faire baisser ces impôts. Par exemple, jusqu’en 2005, on pouvait donner 46 000 € à chacun de ses enfants, puis 50 000 €. Aujourd’hui, on peut donner 150 000 €. Qui peut donner 150 000€ à chacun de ses enfants ? Pas grand monde. Là encore cette évolution accroît les inégalités car cela veut dire que de génération en génération se transmet un patrimoine sur lequel on paie de moins en moins d’impôt. Comme se sont les catégories qui gagnent le plus qui paient moins d’impôt on voit bien que dans la dynamique des inégalités, la fiscalité joue un rôle important.

Et je n’aborderai pas le sujet des paradis fiscaux, le temps me manquerait : certains états ne font pas payer d’impôts, on peut y faire appel facilement à des sociétés écrans etc.

La grande tendance à dégager est donc la suivante : lorsque l’on a une montée en charge des impôts injustes, et une baisse des impôts les plus justes, lorsque les impôts directs sont à la baisse et que les impôts indirects et les impôts locaux sont à la hausse, se produit un transfert des impositions les plus mobiles, qu’elles concernent les particuliers ou les entreprises, vers les plus immobiles. En conséquence de quoi, environ 95 à 97 % de la population est pénalisée, tout comme les PME. Ce déséquilibre fiscal et les inégalités pèsent également sur la vie de l’économie. Car quand l’on parle de relance de la consommation et que l’on doit consacrer son pouvoir d’achat aux économies des autres, il n’est pas étonnant que ladite relance ne soit pas au rendez-vous !


Michel FONTAINE - Membre de la Commission exécutive de la Fédération des Finances CGT

Dès 1947, au sortir de la guerre, la CGT produisait un livre blanc, comportant un projet de réforme fiscale désireux de coller à l’esprit du Conseil national de la Résistance. Dans cet esprit, on retrouvait la notion de progressivité, mettant l’impôt sur le revenu au centre des prélèvements obligatoires avec une très forte progressivité. Cela a été fait partiellement. Dans ce projet on trouvait également la notion de fiscalité patrimoniale dynamique (à cette époque-là, a été créé un impôt sur la grande fortune). Or, aujourd’hui, depuis quinze à vingt ans, la fameuse « école de Chicago » dissémine, à partir des pays anglo-saxons, l’idéologie de la réduction du périmètre de l’Etat. Ceci équivaut à la diminution des services publics, notamment de proximité. Il n’y a pas d’autre moyen que de s’attaquer à l’impôt.

La révision générale des prélèvements obligatoires, entamée en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada, aux Etats-Unis avec Ronald Reagan et en Grande Bretagne avec Mme Thatcher, a ensuite gagné la France ; on a vu le gouvernement Villepin mettre en place un certain nombre de dispositifs tout à fait comparables, arguant du fait qu’il faut s’attaquer à la ressource budgétaire, donc à la fiscalité et principalement à l’impôt sur le revenu, en diminuant les tranches et en multipliant les dispositifs dérogatoires, c’est-à-dire les niches fiscales. Une telle révision se décline concrètement en révision générale des politiques. On identifie la politique publique à supprimer, grâce à la LOLF (loi organique relative aux lois de finance), dispositif copié sur les grandes entreprise, à base de comptabilité analytique, qui permet d’identifier des coûts de manière comptable, de les cibler, de les éliminer, de les réduire… mais en définitive ce qui est visé c’est la politique publique elle-même !

Il existe d’autres réformes structurantes, qui ont des impacts très lourds en matière budgétaire et de recettes fiscales : il s’agit des réformes territoriales, notamment la récente réforme des administrations territoriales, qui montre bien la volonté de réduction des prélèvements obligatoires affichée dans notre pays depuis maintenant une vingtaine d’années. M. Sarkozy l’a d’ailleurs déclaré en début d’année devant des élus : « Je supprime l’emploi public, je mets en place une révision générale des prélèvements obligatoires, et vous, élus de collectivités territoriales, que faites-vous ? » (on peut penser que ce discours passe mal auprès des élus UMP !) De fait, ces réformes ont un impact direct sur les budgets des collectivités, notamment via la suppression de la taxe professionnelle, changée en « cotisation économique territoriale ». Et toutes les simulations qui ont été faites montrent qu’il y a une diminution de la ressource budgétaire pour les collectivités territoriales, ainsi qu’une diminution de l’autonomie fiscale, puisque aujourd’hui la seule marge de manœuvre des régions c’est uniquement, « à la marge », la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), c’est-à-dire rien.

Conséquence de l’impact sur les budgets : diminution de l’emploi, avec application de la fameuse doctrine de la « fongibilité asymétrique » que l’Etat s’est appliqué via la RGPP et la RGPO : on peut supprimer de l’emploi public et redistribuer en matière de fonctionnement, mais pas l’inverse. Donc, il s’agit bien in fine de supprimer l’emploi territorial de la même manière que l’Etat le fait à son niveau.

Dans ce contexte, il y a bien diminution de la progressivité de l’impôt sur le revenu et un accroissement tous azimuts de la fiscalité indirecte. La TVA, qui représente plus de 50 % de la recette budgétaire, la TIPP, la fameuse « taxe carbone » qui a été retoquée et qui laisse en pendant la nécessité de mettre en place une fiscalité environnementale digne de ce nom.

Il y a également un impact européen. On a vu que les traités européens (Maastricht, Amsterdam, Nice) et le TCE refusé par le peuple français, imposent la concurrence fiscale entre les états. Hans Tietmeyer, ex-président de la Bundesbank, a d’ailleurs déclaré au moment de la création de l’euro que la seule règle c’est la mise en concurrence plus forte en Europe que vis-à-vis des pays tiers des systèmes socioproductifs -de protection sociale- et des systèmes fiscaux ! Et cela fonctionne, puisque, s’agissant par exemple de l’impôt sur les sociétés, on sait qu’il existe un taux « facial » (par exemple, en France, un taux de 33,33 %...), mais qu’en réalité, compte tenu des dispositifs dérogatoires, d’amortissements, etc., le taux effectif est nettement inférieur (il est en France de l’ordre de 22 à 23 %). On s’aperçoit alors que l’impôt sur les sociétés effectif est encore plus faible en Europe que dans des pays comme le Etats-Unis, le Japon ou le Brésil qui, malgré des dispositifs dérogatoires, sont plus proches de 27 ou 28 %. Donc cela a bien été mis en œuvre : concurrence plus forte sur le champ européen et mise en concurrence des systèmes socioproductifs.

A la CGT, nous ne pensons pas que la crise financière soit la calamité qu’on nous présente sans cesse dans les médias. Pour nous, la crise a des auteurs. Ce sont des choix budgétaires délibérés qui ont mis à mal les budgets publics, et on voit bien que cela continue… Par exemple, toutes les mesures de la loi TEPA (travail, emploi, pouvoir d’achat) vont à l’encontre de son propre intitulé ! Ces mesures sont contre le travail, contre l’emploi et contre le pouvoir d’achat.


Jacques COSSART - Économiste, membre du Conseil scientifique d’ATTAC

Je fais partie de ceux qui pensent que l’économie étant une « technique » sociale, il n’y a pas de raison pour que ce ne soit pas nous, les peuples, qui décidions comment l’organiser.

Mais, au-delà de ces caractéristiques sociales, ce sont précisément ces transferts considérables de richesses, et en particulier de valeurs monétaires au cours de ces trente dernières années, depuis la « révolution » néo-libérale du début des années 80, qui sont la cause fondamentale de la crise. Quand, aujourd’hui, nous constatons que le rapport entre la richesse financière, les avoirs financiers, la « finance », et la richesse réelle, celle créée par les peuples, est de l’ordre de 80 à 1, on peut aisément comprendre que cela crée des problèmes ! Ces problèmes viennent du fait que les richesses monétaires étant concentrées dans quelques mains, cela entraîne un phénomène de spéculation.

Nous constatons depuis 2007 l’utilisation totalement irrationnelle et incontrôlée de ces richesses par les propriétaires du capital qui, en spéculant, ont alimenté la crise.

Donc, on peut dire que l’organisation et la régulation de l’économie, en particulier par la fiscalité, sont non seulement morales mais également tout à fait indispensables pour que nous ayons un système qui ne soit pas celui qui nous entraîne dans la crise que nous connaissons à l’heure actuelle.

Et ces transferts de richesses ne sont pas une mince affaire ! On estime qu’au sein de l’OCDE, c’est-à-dire au sein des pays les plus riches, (cf courbes) le déplacement de la richesse - c’est-à-dire de la valeur ajoutée- produite par le travail des salariés - puisque la richesse ne provient que du travail-, vers le capital, correspond environ à 10 % du produit intérieur brut (PIB), c’est-à-dire 10% de la totalité des richesses qui sont produites en France. En France, ces 10 % correspondent à deux cent milliards de dollars ! Et ce chiffre vient alourdir les contre-mesures fiscales précédemment évoquées par Vincent Drezet et Michel Fontaine. On nous dit « il n’y a pas d’argent pour les retraites, pas d’argent pour la sécurité sociale, avec toute cette démographie on ne peut pas s’en sortir. ». Mais l’argent existe, puisqu’ils nous ont volé 200 milliards de dollars ! C’est bien là la base du sursaut populaire à mettre en œuvre : dire aux propriétaires du capital et aux décideurs que la politique menée est mauvaise, inefficace et totalement injuste socialement.

Il faut donc une vaste réforme fiscale pour faire en sorte que l’impôt soit une participation citoyenne de financement des services publics. Pourquoi les propriétaires du capital sont-ils tellement attachés à la privatisation des services publics ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’une niche considérable de profits ! Aujourd’hui, au sein de l’Union européenne, on estime à 70 % la part de PIB remplie par des services. Or, une part considérable de ces services est, en France comme dans d’autres pays européens, encore conduite par le public. Donc, c’est autant qui échappe à la captation de l’augmentation des profits.

Il faut donc faire une vaste réforme de la fiscalité dans notre pays, mais il faut aussi imposer cette réforme au plan mondial. Nous proposons de nous servir de l’outil des biens publics mondiaux : on parle à satiété du climat mais c’est vrai pour la santé, l’éducation, la stabilité financière, la paix, etc., autant d’éléments considérables qui déterminent le choix de société, qui dictent notre manière de nous organiser. Mais ce financement nécessite des ressources. Par exemple quand on met en place le système de prévention contre le SIDA : un certain nombre de foyers importants de la maladie qui sont connus historiquement, sont situés précisément dans des pays qui ne peuvent pas faire face à la pandémie, du fait de l’exploitation dont ils ont pâti, et dont ils pâtissent encore aujourd’hui. Cela exige des ressources, qui sont des taxes globales organisées, contrôlées, sous l’égide de l’Organisation des nations unies.

Pour trouver ces ressources, trois directions sont à prendre. L’activité financière, tout d’abord. En effet, entre 800 et 1 000 milliards de dollars par an pourraient être récupérés sur l’activité financière, qui doit être fortement régulée.

Deuxième direction : les transnationales. Il y en a 150 dans le monde. En 2008, les 150 transnationales répertoriées par la CNUCED disposaient d’un total d’actifs équivalent à 130 % du PIB mondial ! Il s’agit évidemment de stock et non de flux, mais ce chiffre met en évidence la puissance d’action de ces sociétés. Il faut donc mettre en place une taxe additionnelle sur leurs profits, et le faire mondialement, précisément pour se mettre à l’abri de la « concurrence fiscale », qui est un dogme du capitalisme…

Troisième axe enfin, des taxes de nature écologique. On ne peut pas continuer à permettre l’émission de gaz à effet de serre comme cela se fait aujourd’hui. Mais ces taxes sont évidemment à appliquer dans un cadre coordonné et qui ne vienne pas peser davantage sur les salariés. Elle ne peut pas avoir comme base la consommation individuelle car sinon elle pèsera sur le salarié : qui a les moyens de se payer le dernier véhicule propre ?

Jacques Cossart a illustré son intervention à l’aide de quelques courbes très parlantes

Fiscalité

Sort de l’imposition nominale (hors les diverses niches fiscales)des rémunérations les plus élevées (Source : « Tendances de la fiscalité européenne » Eurostat 2010)

Sort de l’imposition faciale (hors les diverses exonérations et après prix de transferts) des bénéfices des sociétés (une partie des profits) (Source : « Tendances de la fiscalité européenne » Eurostat 2010)

Part des salaires en France en % de la valeur ajoutée, 1949-2008 (Source : OCDE, Husson)

Part des revenus du travail par groupe de pays (Europe, Japon, Etats-Unis, Autres pays anglo-saxons (Source : FMI, Rapport 2007)

Part des salaires dans la valeur ajoutée brute des sociétés non financières en France (Source : INSEE 2009, Rapport Cotis)

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