Grèce : le fantôme du thatcherisme
Par Jean-Marc Salmon, sociologue
Mis en ligne le 23 mars 2010
Si le moment de votre départ en retraite était retardé de deux ans ? Prendriez-vous votre mal en patience ? Et si leur montant était gelé, augmenteriez-vous votre épargne ? Si en sus on décrétait une amputation d’un tiers de vos treizième et et des deux tiers de votre quatorzième mois ? Adieu les vacances ? Et si la rutilante cerise sur le gâteau de l’austérité était une augmentation de la TVA de 19% à 21% ? Adieu les restos et les concerts ? Imaginez-vous en fonctionnaire, si on ne remplaçait qu’un collègue sur cinq quand ils partiraient en retraite ? Danseriez-vous une nuit du 4 août ? Et si en contrepartie de vos privilèges, on réduisant votre salaire mensuel de plus ou moins 10%, en amputant vos primes ? Vendriez-vous votre voiture ? Si j’en crois les Athéniens qui ont le ressort de manifester, après tant d’annonces en deux mois, vous seriez perdu. Egarés dans vos comptes. A statut égal, les uns calculent qu’ils perdent un mois et demi de salaires et d’autres trois mois...

Inouï : pour la première fois depuis la deuxième guerre mondiale, dans un pays d’Europe occidentale, on ne rogne pas en douce les rémunérations par de l’inflation ou des taxes. On les coupe à la hache.

Bien entendu, tant que la droite était au pouvoir à Athènes, le ministre des finances allemand ne manquait de mots assez fort pour assurer la Grèce de la solidarité de la zone Euro et dissuader, avec succès, les spéculateurs. Un an de cela. A la veille des élections d’octobre 2009, Durao Barroso, le président de la commission, ni une, ni deux prenait, à Bruxelles, l’avion d’Athènes pour se montrer aux côtés des dirigeants de droite.

Le PASOK gagnant haut la main les élections, les yeux des responsables européens se dessillent. La Grèce serait mal gérée. Le nouveau gouvernement nettoie les statistiques que les précédents gouvernements lui ont léguées ? Punissons-le. Pour Durao Barroso, ex-mao devenu libéral, la vérité d’hier est le mensonge d’aujourd’hui. Le nouveau ministre allemand des finances n’a pas de mots assez durs : pas un sou pour les Hellènes. La spéculation internationale entend très vite le message et se rue à nouveau sur l’affaire : c’est à qui pariera au plus vite sur la banqueroute de l’Etat grec si l’on en croit les hausses des Credit Default Swaps et des spreads, les statistiques des marchés. Celles des institutions économiques internationales racontent une autre histoire. Avec une dette de l’Etat qui tourne autour de 123% du PIB, la Grèce est au niveau de l’Italie et en bien meilleure position que le Japon… avec ses 197%. Le déficit public des Hellènes rapporté au PIB est au niveau des Britanniques et un petit 1 % plus haut que celui des Américains. L’indicateur qui compte en dernière instance, c’est l’endettement total d’un pays vis-à-vis de l’étranger : en France, il représente 190% du PIB, en Allemagne 161 % et en Grèce 163%.

Hier, Athènes, aujourd’hui, Madrid. Demain, Rome ? Après-demain, Paris ?

L’agence de notation Merkel a rehaussé, le 5 mars, le rating de la Grèce se félicitant de son « effort énorme et rapide ». Perché sur l’Acropole, le fantôme de Thatcher hante toute la vieille Europe. Récapitulons : le retardement de la retraite se discute à Madrid et à Paris à des niveaux comparables. L’alourdissement de deux points de la TVA dans l’Union européenne serait un secret de polichinelle si l’on a bien entendu Alain Minc, samedi 6 mars, sur France Culture. Les coupes de salaires dans le privé s’opèrent du Pirée à Amiens plus ou moins discrètement sous la menace de licenciements collectifs, Angela Merkel ne désespère pas de couper les allocations chômages malgré la censure constitutionnelle des mesures Hartz IV, etc.

Pour les économistes de renom, l’expansion de la zone OCDE ne retrouvera pas les niveaux antérieurs à la crise de 2008. Une nouvelle fois, comme dans les années 70, diminuer la part des salaires au profit du capital dans le partage de la valeur ajoutée permettrait de maintenir des profits élevés. Que pèse la Grèce ? Peu. Imposé à Athènes, un scénario néothatchérien deviendrait la référence. Des prix Nobel comme Joseph Stiglitz et Paul Krugman espéraient, un an de cela, que la sortie de la crise serait rapide et un triomphe de leurs idéaux néo-keynésiens. Ce n’est pas dans l’Eurozone de 2010 qu’ils trouveront matière à se réjouir. Les salariés non plus.

Le 10 mars 2010

Jean-Marc Salmon