Salariés sans papiers : l’autoentreprise utilisée pour contourner la loi
Source : "Les Echos"
Mis en ligne le 22 mars 2010
Nouvelle opération coup de poing de salariés sans-papiers le 17 mars, dans un restaurant. Ils dénonçaient l’utilisation du statut d’autoentrepreneur, dans lequel certains employeurs contraignent leurs salariés à basculer.

Les syndicats n’auraient pas osé en rêver, eux qui dénoncent l’autoentreprise comme moyen de contourner les garanties du salariat. Certains patrons l’ont fait.

Hier, alors que Bercy annonçait encore un record de créations d’autoentreprises en février, une petite centaine de sans-papiers ont investi le restaurant Les jardins de Bagatelle, à l’ouest de Paris. Motif : encore et toujours la régularisation de personnels déclarés qui ne possèdent pas pour autant une carte de séjour valide. En l’occurence, selon la CGT, 11 personnes ; mais avec cette fois-ci une variante de taille puisqu’il s’agissait pour trois d’entre elles d’autoentrepreneurs.

En fin d’après-midi, l’affaire était réglée : la direction avait rempli les formulaires Cerfa de demande de régularisation et signé des CDI aux non-salariés, selon la CGT. Sur France Inter, le directeur d’exploitation, Franck Rigaud, avait expliqué auparavant avoir donné le choix à ces travailleurs étrangers de travailler en « extras » ou comme « autoentrepreneurs », ce qu’a contredit l’un des intéressés.

Le dossier d’un des salariés concernés, que « Les Echos » ont pu consulter, laisse en tout cas à penser qu’il a basculé, sans transition, de salarié en autoentrepreneur à la création de ce statut en janvier 2009, puisque des factures ont succédé aux fiches de paie. Seule différence : auparavant simple plongeur, il était devenu « cleaner » avec, au passage, une économie de cotisations patronales pour l’employeur. L’affaire, qui n’est pas la seule du genre, soulève en tout cas deux problèmes. D’abord, elle montre que le danger d’une substitution entre salariat et autoentrepreneur existe, avec d’ailleurs son lot de manque à gagner pour les régimes sociaux de salariés. « L’analyse juridique d’une relation de travail ne repose pas sur la dénomination qu’en donnent les parties, mais sur la façon réelle dont les relations de travail sont organisées », objecte-t-on au ministère du Travail, en rappelant que les juges requalifient le « faux travail indépendant » en travail dissimulé.

Pas de contrôles spécifiques

Reste qu’en un an d’existence, reconnaît le ministère, le statut d’autoentrepreneur n’a encore donné lieu à aucune jurisprudence de ce type. Encore faut-il, en effet, oser contester son statut, ce qui n’est pas évident pour des publics fragiles, et particulièrement pour les sans-papiers. Pour eux, obtenir une requalification ne permet en rien une régularisation, puisque le travail réalisé comme autoentrepreneur devient du travail illégal. Et si, a contrario, l’autoentreprise permettait à l’employeur d’éviter le risque de fermeture administrative pour emploi de sans-papiers que brandit le gouvernement ? Dans l’entourage de Xavier Darcos, on affirme que ce ne sera pas le cas. Le projet de loi en préparation ne permettra « pas seulement la fermeture administrative en cas d’infraction à l’emploi d’étrangers sans titre de séjour mais pour toutes les formes de travail illégal, dont le travail dissimulé ». Dans celui du ministre de l’Immigration, Eric Besson, on explique qu’il s’agit là d’un « souhait de Xavier Darcos » et que l’on « n’a rien contre », mais on rappelle l’objet du projet de loi qui est la « transposition de la directive sur l’emploi des étrangers sans titre de séjour », ajoutant que ce qui sera visé, c’est le « recours sciemment, directement ou indirectement à des étrangers sans titre de séjour ».

Reste une troisième question, celle des contrôles lors de la procédure pour la création d’une autoentreprise. Le secrétariat d’Etat aux PME et le ministère de l’Immigration récusent tout problème : « Les documents de séjour exigés lors d’une création d’entreprise sont les mêmes pour toutes les formes d’entreprises » et « on n’a pas l’intention d’accroître spécifiquement les contrôles sur les autoentrepreneurs ».

LEÏLA DE COMARMOND, Les Echos

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