Les équations blêmes des HLM...
Source : acteurspublics.com
Mis en ligne le 22 mars 2010
Afin de financer de nouveaux logements sociaux là où les besoins sont les plus criants, le gouvernement veut vendre 1 % du parc chaque année. Une idée qui masque les difficultés du terrain et se heurte aux résistances des acteurs du monde HLM.

Entre le gouvernement et le monde du logement social, les relations se durcissent. Thierry Repentin, sénateur PS de la Savoie et président de l’Union sociale pour l’habitat, n’a toujours pas digéré les propos de début d’année du secrétaire d’État au Logement, Benoist Apparu. “On entend que le logement social serait « mal localisé », « trop aidé », « obsolète » ou encore « inadapté à la demande des Français »… Ces affirmations sont sans fondement !” tonne le parlementaire. Avant d’ajouter qu’il interprète ces propos comme autant de coups de semonce portés contre le mouvement HLM visant à le déstabiliser en jouant les divisions entre sociétés privées et offices publics. “Ces attaques ne sont qu’un moyen de justifier la baisse des crédits de l’État et de masquer le manque d’ambition de la politique du logement dans notre pays”, conclut le sénateur de l’opposition.

À l’origine d’un tel courroux, les annonces faites par Benoist Apparu ces derniers mois et surtout la révélation dans Libération fin janvier d’une note blanche à destination de l’Élysée. Le document de treize pages, dont la paternité revient à André Yché, patron du bailleur français possédant le plus de logements HLM (180 000), ne propose rien de moins que de mettre en vente 10 % du parc du logement social, histoire de récupérer 2 milliards d’euros par an pour construire de nouveaux logements. L’équation est triviale : les 4,5 millions de logements HLM français représentent un patrimoine de 200 milliards d’euros. En en proposant 10 % à la vente, les organismes HLM devraient en vendre environ 1 % par an et toucher les fameux 2 milliards. Une manne qui servirait à construire des logements sociaux dans les villes qui en ont le plus besoin.

Réalisme

Ancien commandant d’escadron et contrôleur général des armées, André Yché, président de la Société nationale immobilière (SNI), met en avant son réalisme. “Une société comme la mienne a participé pleinement à la relance de l’économie française en construisant 34 000 logements entre 2008 et 2010, explique-t-il. Cela a entamé nos fonds propres et je ne vois pas comment les reconstituer sans vendre des logements.”

Le président de la SNI a fait marcher sa calculette. Le résultat est sans appel : pour continuer de construire 5 000 logements chaque année, dont 3 500 HLM, il manquera à sa société de l’ordre de 600 millions d’euros à l’horizon 2013. La solution ? Céder 12 000 logements HLM et non HLM d’ici là. Et, d’après André Yché, le raisonnement vaudrait pour l’ensemble des acteurs du logement social. “Face à la situation des finances publiques, c’est solution mérite d’être explorée, estime-t-il. Ceux qui attendent davantage de subventions publiques s’exposent à des déconvenues.”

Aussi arithmétique soit-elle, la démonstration laisse sceptique nombre d’acteurs du monde HLM. “Simpliste” est le terme qui revient le plus souvent dans leur bouche. Le marché de l’immobilier ne fonctionnerait pas mécaniquement et des ventes massives sont loin d’être assurées. “La vente de logements sociaux est un serpent de mer, ironise un responsable des offices publics de HLM. Mais encore faut-il trouver des acheteurs, ce qui n’est pas toujours facile.” Le calcul financier se révélerait en outre de courte vue. Car si les cessions apportent de l’argent frais aux organismes HLM, ceux-ci perdent la recette régulière des loyers et la source de leur autofinancement. Un argument réfuté par André Yché, qui affirme que si une construction est lancée rapidement, l’organisme touche un an et demi plus tard de nouveaux loyers. Ce à quoi il ajoute que pour un logement vendu, l’organisme HLM aurait les moyens d’en construire deux ou trois, ce qui démultiplierait encore ses capacités financières.

Calculs hasardeux

“Cette formule « avec 1 on finance 2 ou 3 » est erronée, s’emporte Thierry Repentin. On ne voit pas comment une vente qui dégage une recette nette de l’ordre de 30 000 euros pourrait financer une construction de l’ordre de 130 000 à 180 000 euros !” Bien entendu, personne n’imagine que le seul produit de la vente pourrait financer la construction complète. Il s’agit d’augmenter la part apportée par les organismes HLM dans le plan de financement des logements sociaux en espérant que les autres partenaires suivent. Les lancements de chantiers sont en effet financés par quatre partenaires principaux : l’État (3-4 %), les collectivités locales (18-20 %), les prêts de la Caisse des dépôts (60-65 %) et les fonds propres des organismes HLM (15-20 %). Les partenaires financiers suivront-ils des bailleurs sociaux devenus plus riches ? À la SNI, filiale à 100 % de la Caisse des dépôts, la réponse est “oui”.

Ailleurs, pas sûr néanmoins que l’effet de levier fonctionne. Les élus locaux, en particulier, pourraient rechigner à mettre au pot. Pour trois raisons au moins. D’abord, les moyens des collectivités ne sont pas infinis et soumis à quelques incertitudes à l’heure de la suppression de la taxe professionnelle. Puis, les élus voient souvent d’un mauvais œil les cessions des HLM voulues par l’État. Beaucoup souhaitent conserver une offre locative à bas prix sur leur territoire. “Or, étant donné que les aides des collectivités locales se substituent de plus en plus aux aides de l’État, il est impossible de construire sans leur appui”, relève Vincent Lourier, directeur de la Fédération des coopératives HLM. Déjà, des collectivités conditionnent leur aide financière ou leur garantie sur les emprunts des organismes HLM à l’engagement du bailleur de ne pas vendre lesdits logements... Enfin, beaucoup d’élus locaux bloquent tout simplement les constructions de nouveaux logements sociaux. Parce qu’ils ne souhaitent pas attirer ce type de population ou qu’ils estiment que leur ville en compte déjà assez. Sans oublier les difficultés à trouver des surfaces rentabilisables et constructibles à une hauteur suffisante…

Bref, au-delà des querelles d’experts, le nombre de cessions de logements sociaux envisagés par le secrétaire d’État au Logement semble pour le moins ambitieux. Surtout à l’aune des ventes effectivement réalisées au cours des dernières années. Car si près de 40 000 logements sociaux sont mis en vente chaque année, dix fois moins ou presque trouvent preneur. Et, malgré une forte augmentation de l’offre en 2008 (25 000 offres additionnelles), les acquisitions ne décollent pas pour autant, d’après l’Union sociale pour l’habitat.

Avantages fiscaux

Les ventes de logements sociaux demeurent stables, autour de 4 500 par an (4 800 en 2007, 4 500 en 2008 et 3 000 en 2009). En cause, la longueur des délais entre la mise en vente et la disponibilité réelle du logement, ainsi que le manque de moyens des locataires. Quand ces derniers ne décident pas d’acheter ailleurs... “Les petites maisons individuelles se vendent très bien, confie un responsable des offices publics des HLM, mais les logements en immeubles partent moins vite et les organismes n’ont pas envie de brader le prix.”

Les bailleurs sociaux sont en outre assez sourcilleux quant aux conditions de vente. Ils préfèrent vendre un immeuble entier plutôt que de s’embarquer dans des régimes de copropriété avec leurs anciens locataires.

Certains avancent aussi l’argument que l’entretien des bâtiments risquerait de pâtir de cessions massives des HLM. “Ce sont des populations qui ne vont pas vouloir payer les charges nécessaires aux travaux d’entretien”, assure un spécialiste. “Faux, répond le secrétaire d’État au Logement, il y a, en France, des millions de propriétaires avec des ressources faibles, cela n’engendre pas une dégradation généralisée du patrimoine immobilier.” Il n’empêche, encore faudrait-il que l’état des logements sociaux soit déjà satisfaisant avant leur cession. Le mouvement HLM estime que, hors opérations menées par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), les besoins en matière de réhabilitation concernent 90 000 logements chaque année.

Les acteurs du monde HLM ont enfin tendance à pointer du doigt le désengagement de l’État dans le logement social. Entre 2008 et 2010, les subventions directes de l’État à la construction ont fondu de près de la moitié, passant de 785 à 480 millions d’euros (hors plan de relance). Les fonds pour la réhabilitation, dits Palulos, ont quant à eux été supprimés, provoquant la colère des associations de locataires. Serge Incerti-Formentini, président de la confédération nationale du logement, est particulièrement remonté : “Le budget de l’État ne fait que baisser depuis 2007 et les annonces du gouvernement, qui laissent entendre le contraire, s’apparentent à de l’enfumage !”

10 milliards

En février, Benoist Apparu a en effet tenté de tordre le coup à l’idée d’un désengagement de l’État, en soulignant que l’enveloppe totale consacrée au logement social dans le budget 2010 s’élevait à près de 10 milliards d’euros. Pour atteindre une telle somme, le secrétaire d’État a additionné plusieurs crédits : 2 milliards d’euros de manque à gagner via la TVA réduite à 5,5 %, 850 millions de compensation de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties, 1,2 milliard de bonifications des prêts de la Caisse des dépôts et 624 millions de subventions à la construction. Soit 4,7 milliards en tout. Ce à quoi le secrétaire d’État au Logement ajoute les 5,1 milliards d’euros d’allocations logement qui permettraient aux locataires d’HLM de payer tout ou partie de leur loyer. Conclusion de Benoist Apparu : le soutien de l’État ne se résume pas aux aides à la pierre et l’État continue de se montrer généreux.

Autant de calculs qui sont, là encore, largement contestés par la plupart des bailleurs sociaux. L’avantage de TVA est gonflé, affirment certains, car les 2 milliards d’euros concernent des opérations étalées sur plusieurs années. “De plus, si cet avantage n’existait pas, il n’y aurait tout simplement pas de construction de logements sociaux et donc le manque à gagner pour l’État serait encore plus important”, ajoute Vincent Lourier. Un responsable des offices publics d’HLM reste également interdit devant le raisonnement du secrétaire d’État sur les prêts bonifiés : “La Caisse des dépôts accorde un prêt préférentiel aux organismes HLM, mais cela ne représente pas une sortie nette de crédits”. D’autres, enfin, s’alarment que Benoist Apparu intègre les allocations logement dans le décompte. “C’est comme si le ministre du Travail se félicitait de l’explosion des Assedic !” s’exclame Thierry Repentin, sénateur PS de la Savoie et président de l’Union sociale pour l’habitat. “Tant qu’il y est, le secrétaire d’État peut aussi compter le RMI et les salaires des fonctionnaires qui habitent en HLM”, s’amuse Christophe Robert, de la Fondation Abbé-Pierre.

À observer les vives réactions des acteurs du logement social face aux annonces de Benoist Apparu, il est clair que la mise en musique de sa politique ne sera pas chose aisée. Outre la vente de logements, l’idée de mutualiser les fonds propres des bailleurs sociaux pour construire plus de logements sociaux dans les zones les plus tendues se heurte à de multiples résistances. La plupart des organismes HLM sont viscéralement attachés à leur ancrage territorial, estimant que c’est la meilleure manière de répondre à la demande au plus près des besoins. Rares sont ceux qui admettent qu’il existe trop de HLM dans certaines régions de France. Selon eux, les exemples de logements sociaux vides sont anecdotiques et il est extrêmement délicat d’en tirer des conclusions pour la politique à l’échelle nationale. Christophe Robert en est convaincu : “Partout, le « turn-over » des locataires de HLM a baissé, cela prouve bien qu’il y a de la demande”. Nul ne peut cependant nier que les besoins sont plus importants en Île-de-France, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Et l’État pourrait se servir de plus en plus de l’arme des conventions qu’il signe avec les bailleurs sociaux pour les contraindre à ces objectifs.

Plus largement, l’état des finances publiques et la stagnation, voire la réduction, des aides directes de l’État à la construction sociale devraient pousser les acteurs du monde HLM à rassembler leurs moyens. Le secrétaire d’État appelle ainsi à une mutualisation plus importante des fonds propres des organismes HLM afin de favoriser les constructions dans les zones les plus tendues. Une mutualisation plus facile à effectuer dans les sociétés anonymes – qui ont déjà commencé à le faire – que dans les offices publics. Le projet du gouvernement est d’augmenter la part des constructions sociales dans les zones où la demande est la plus forte, en passant de 25 % de la production en zone A (la plus tendue) en 2009 à 35 % en 2011. Des taux qui semblent modestes, même si le mouvement HLM souligne qu’ils sont bien supérieurs à ceux des bailleurs privés. Certains gros bailleurs sociaux se targuent de déjà rentrer dans les clous de la politique gouvernementale, à l’image de la SNI, qui oriente 80 % de sa production dans les zones où la demande est la plus forte. Les demandeurs de logement social – 1 300 000 personnes sur liste d’attente – comptent sur la bonne volonté de tous.

Laurent Fargues

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