Retraites et emploi, deux dimensions inséparables
Analyse de la confédération CGT
Mis en ligne le 8 juin 2008
La retraite n’est pas qu’une question de paramètres ou de tuyauterie. En mettant l’emploi de qualité au centre, nous proposons véritablement un choix de société. C’est ce débat là que doit accepter d’ouvrir le gouvernement à l’occasion du rendez-vous 2008 des retraites

Article paru dans la rubrique « place au débat » du mensuel Résistance Social, n°60, juin 2008

On peut partager beaucoup d’appréciations contenues dans la tribune publiée par Gérard ASCHIERI (Fsu), Jean-Marie HARRIBEY (Attac) et Pierre KHALFA (Sud) dans la page Débat du Monde du 31 mai dernier et notamment le choix global de défendre le système de retraite solidaire. Cependant, l’absence de la problématique du travail et de l’emploi dans cette contribution en restreint la portée. Critiques et propositions restent alors en chemin. C’est le cas sur 3 points importants.

1. Les 3 auteurs ont raison d’insister sur la fragilisation du pacte intergénérationnel. Mais « l’hypocrisie » qu’ils dénoncent justement n’est pas tant dans l’importance accordée à l’emploi des seniors que dans le fait que l’on dit depuis 1993 opérer une série de réformes dans l’intérêt des jeunes et des nouvelles générations. Sur l’emploi des seniors, la position de la Cgt est claire : après tout qu’un salarié veuille rester dans l’emploi jusqu’au moment où il prend sa retraite est légitime. Constatons d’ailleurs statistiquement que le niveau d’emploi des seniors a baissé parallèlement au taux d’emploi des moins de trente ans. Il n’y a donc pas d’effet « vases communicants ». Par contre, quelle va être la conséquence de l’affichage de futurs taux de remplacement du salaire par la retraite en chute libre ? Sinon de lancer le message aux jeunes qu’ils ne toucheront pas demain une retraite convenable. Comment pourra-t-on leur demander de participer à l’effort collectif de financement ? La voie est ouverte aux formes individuelles ou collectives de capitalisation et notre système solidaire va rapidement s’étioler. C’est dans cette promesse de retraites réduites que réside le principal danger de rupture du pacte intergénérationnel. Cgt, Unef et Joc l’ont dit ensemble.

2. Nous partageons bien entendu le questionnement sur les besoins de financement. Mais il est incompréhensible que les 3 auteurs reprennent l’évaluation basse du COR sur les besoins de financement à l’horizon 2050 : 1,7 point de PIB. A cet horizon, le chiffre est ridiculement faible, pratiquement inférieur à l’incertitude statistique. Le problème est que ce chiffre est celui que l’on obtient quand on prolonge la baisse actuelle du niveau des pensions. Il entérine un double processus : – d’une part, le principe de l’allongement de la durée de cotisation au-delà de la décision de passage à 41 ans d’ici 2010 prévu dans la loi Fillon et que le gouvernement veut imposer sans discussion ; – d’autre part, la continuation de la baisse relative du niveau des pensions liée à la double désindexation des salaires, au moment du calcul de la retraite, puis lors des revalorisations ultérieures de la pension. Dans les faits, comme le soulignent de nombreux experts, dont ceux du Conseil d’Analyse Économique, cette baisse du niveau relatif des pensions est intenable. A l’horizon 2050 les retraites perdraient plus d’un tiers de leur valeur par rapport aux salaires. Le coût d’une réindexation sur les salaires représente au bas mot 3 points de PIB, soit au total un besoin de financement de près de 5 points du PIB, c’est-à-dire 100 millions d’euros. Pour notre part, nous chiffrons ce besoin de financement à 6 points de PIB en intégrant nombre d’améliorations indispensables dans la situation des retraités. Ce n’est plus 10% des dividendes des entreprises qu’il faut mobiliser mais l’équivalent de la moitié des sommes qu’elles consacrent à l’investissement. On ne peut donc pas s’en sortir par quelques « bricolages financiers » qui ne sont pas à la hauteur du problème.

3. Reste alors la question du partage de la valeur ajoutée qui n’est pas séparable de l’enjeu de l’emploi. « L’hésitation n’est plus permise » disent les auteurs du texte. Nous sommes d’accord car il y a eu recul de la part des salaires dans la richesse produite. Ce recul a été plus important en France qu’ailleurs. Trouver des recettes supplémentaires pour financer les retraites sera indispensable. Mais la question incontournable est bien celle de l’emploi de qualité. Le recul de la part des salaires dans la valeur ajoutée depuis 25 ans résulte de 3 phénomènes : la baisse du taux d’emploi global, la rationalisation brutale du secteur industriel et la persistance de salaires bas. Avant d’être déstabilisée par le choc démographique, le système de retraite est malade de cette situation dégradée de l’emploi et des salaires. On ne peut pas éluder ce constat.

Il ne s’agit donc pas seulement de chercher quelques recettes additionnelles que ce soit du côté de l’Unedic ou du côté des dividendes (ce qui serait mieux) mais de réformer en profondeur le mode de contribution des entreprises. Est-il normal que les cotisations sociales ne représentent que 9 à 10% de la valeur ajoutée dans les assurances, les banques, les services financiers, contre 15% dans le pétrole, le gaz, les transports, le commerce et 20% dans l’industrie ? Comment ainsi admettre que la moitié des 25 milliards d’exonérations de cotisations aillent à 2 secteurs (la grande distribution et les hôtels, cafés, restaurants) qui, à ce qu’il semble, ne sont pas directement soumis à la contrainte du commerce international ? Comment admettre le développement de « niches sociales » représentant selon la « Cour des comptes » un montant équivalent d’exonérations (dont les fameuses stock-options) ?

C’est pourquoi à nos yeux, il faudra bien envisager une nouvelle cotisation employeur à taux modulable tenant compte de la part des salaires dans la valeur ajoutée, élargie à d’autres éléments notamment aux revenus financiers des entreprises. Cela rendrait les entreprises plus solidaires vis-à-vis de leurs obligations collectives et favoriserait le développement de l’emploi de qualité.

La retraite n’est pas qu’une question de paramètres ou de tuyauterie. En mettant l’emploi de qualité au centre, nous proposons véritablement un choix de société. C’est ce débat là que doit accepter d’ouvrir le gouvernement à l’occasion du rendez-vous 2008 des retraites