Régime spécial de retraite SNCF : quand le Président de la République juge "indigne" la situation… et que la vérité doit (enfin) être dite !
Par Rémy AUFRERE, syndicaliste cheminot
Mis en ligne le 15 septembre 2007

Le Président de la République a déclaré qu’il changerait la situation "indigne" des régimes spéciaux de retraite. "La vérité, c’est qu’il existe des régimes spéciaux de retraite qui ne correspondent pas à des métiers pénibles et qu’il existe des métiers pénibles qui ne correspondent pas à un régime spécial de retraite", a-t-il expliqué. "Je vais changer cette situation parce qu’elle est indigne".

Le terme vise clairement les régimes spéciaux dont celui des cheminots. Ainsi le monde cheminot est quasiment frappé par une "indignité nationale" puisque le mot est porté par le président de tous les français.

Nul doute que cet excès d’indignité, les cheminots ne le méritent pas.

Tout simplement parce que la réalité du régime spécial de retraite cheminot est inconnu pour le chef de l’Etat. Ou peut-être le connait-t-il un peu et alors il utilise, telle une vieille recette de marketing politique, l’insulte pour détourner les citoyens des vrais problèmes qui pénalisent le développement de notre pays : la question de l’Etat-nation, des services publics, du progrès social, du pouvoir d’achat, du plein emploi, de l’environnement et du développement durable.

Briser les moyens de contestation sociale (comme pour la restriction du droit de grève) fut une première étape. Porter l’anathème contre 5% des salariés de notre pays ne semble pas représenter un risque politique (et électoraliste) important.

Sauf si les "insultés" parviennent à faire comprendre qu’après les régimes spéciaux de retraite, c’est bien l’ensemble du régime de retraite qui sera remis en cause avec l’allongement accéléré des modes de calcul et un abaissement des pensions de tous les salariés (secteur privé et secteur public).

A nouveau, rétablissons la vérité :

Le taux de remplacement moyen (pension par rapport au dernier salaire) est de 61% quand il est de 65 à 71-73% pour les salariés du régime général. Et cela à durée de cotisation égale. Que 60% des retraités cheminots perçoivent moins de 1389 euros net mensuels et que prés de 14% touchent 985 euros net pour 25 à 28 années d’activité. Est-ce ceux-là que l’on va qualifier de "privilégiés" ?

La pension cheminote est certes calculée sur les six derniers mois de salaire. Mais cela n’empêche en rien d’obtenir à l’arrivée des pensions inférieures au régime général ! Parce que la pension est aussi calculée (en moyenne) sur 88% de la rémunération, quand elle l’est à 100% pour le régime général. Le seul "bonus", c’est la possibilité de partir en retraite à l’âge de 55 ans pour les sédentaires et 50 ans pour les agents de conduite, sous condition d’avoir au moins cotisé 25 ans. Mais avec une pension faible…

C’est ainsi qu’une modification du mode de calcul de la retraite SNCF (37,5 annuités vers 40 – 41 , des 6 derniers mois aux 10 ou 20 meilleures années…) provoquerait une baisse estimée entre 12 et 30% par rapport aux pensions actuelles !

Quand on connaît la pénibilité des horaires atypiques de certains sédentaires et des agents de conduite, on comprend que des jeunes embauchés quittent la formation dans l’entreprise après avoir compris la pénibilité des métiers cheminots (travail les dimanches, samedis, jours de fêtes, nuits, décalés…). Bien sûr, d’autres corporations connaissent la pénibilité des horaires et mériteraient sans doute une amélioration de leur régime de retraite. Mais est-ce la voie du progrès social que d’enlever le peu aux uns pour abaisser le niveau de tous, fut-ce au prix d’une « équité » bien contraire au principe d’égalité républicaine ?

Quand à l’équilibre financier du régime, les cheminots ne peuvent être tenus pour responsables du formidable dégraissage d’effectifs opéré depuis plus de cinquante ans, dégraissage ordonné par les ministres et gouvernement successifs, et dont le ministre Sarkozy a largement pris sa part.

On remarquera là une nouvelle et formidable contradiction (non assumée) entre la volonté de supprimer des emplois de cheminots (et de fonctionnaires) sans remarquer les difficultés posées au régime par la réduction du nombres d’actifs.

Enfin, la Caisse de retraite de la SNCF comme le C.O.R. (Conseil d’Orientation des Retraites) et des rapports parlementaires ont relevé que, contrairement au régime général, le défi démographique du régime cheminot est derrière lui et que l’équilibre serait proche à horizon 2020-2022 en tenant compte des suppressions d’effectifs, départs en retraite et mortalité des pensionnés cheminots.

Dès lors, et pour toutes ces raisons, les citoyens peuvent comprendre combien les propos présidentiels paraissent comme une insulte grave à l’endroit des cheminots et qu’il s’agit dans cette grande opération de manipulation de procéder à une véritable révolution conservatrice.

Paru dans la rubrique « place au débat » du mensuel de Résistance Sociale n°51, septembre 2007