Pour un grand service public de la perte d’autonomie
Par Jean-Claude Chailley - Journal RESO n° 212 - Mars 2022
Mis en ligne le 12 mars 2022

Le livre reportage du journaliste Victor Castanet « Les fossoyeurs » a suscité une indignation légitime.

Pourtant rien n’est réglé. Ce n’est pas la 1ère fois que la situation indigne de la prise en charge de la perte d’autonomie est dénoncée. Les rapports, de droite comme de gauche, s’empilent depuis des années. Il y a d’innombrables mobilisations syndicales.

Il y a urgence à agir, à changer de politique !

L’innommable loi du 7 aout 2020 contre la Sécurité sociale ET contre la perte d’autonomie doit être abrogée.

L’arme de la dette pour réduire les prestations de la Sécurité sociale

La Sécu était à peu près équilibrée en 2019. Le « quoiqu’il en coute », lui colle près de 100 milliards de déficit en 3 ans. La loi du 7 aout 2020 impose le remboursement total de la dette de la Sécu, de la dette sociale, jusqu’en 2033. 17 / 18 milliards gaspillés par an !

C’est une discrimination contre la Sécurité sociale : la dette sociale ne représente que 5 % de la dette de la France. Or la dette de la France ne sera jamais remboursée, elle « roule » : au fur et à mesure des échéances, on réemprunte. Cette loi organise une offensive durable contre la santé, contre les retraites (65 ans,..), …

► Ce n’est pas à la sécurité sociale de supporter la dette Covid, le « quoiqu’il en coûte ».

La perte d’autonomie est délibérément sortie de la Sécu.

La perte d’autonomie n’a rien de nouveau. La maladie d’Alzheimer s’appelait « gâtisme ». On est dans le champ de la maladie, de la Sécurité sociale « de la naissance à la mort », donc de la branche maladie de la Sécurité sociale.

Le rapport Vachey, septembre 2020, établit clairement que la notion de « 5ème risque est une construction politique artificielle » : L’autonomie, ou la perte d’autonomie, n’est donc au sens strict pas un « 5ème risque. Mais la loi organique du 7 août 2020 fait bien de l’autonomie un risque de sécurité sociale  ».

Cette loi est une loi de démantèlement de la Sécurité sociale. Elle confie la perte d’autonomie à la CNSA, Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, créée par JP Raffarin et F Fillon ; ce n’est pas une 5ème branche de la Sécurité sociale. C’est une caisse autonome hors Sécu.

Dans la logique des différents gouvernements qui ne cessent d’augmenter les exonérations de cotisations sociales « patronales », la branche CNSA est quasi intégralement fiscalisée.

Débat récurrent : la fiscalisation de la Sécu est-elle la solution ? Exemple de la perte d’autonomie. La caisse autonomie CNSA, fiscalisée, est créée en déficit en 2021. Elle est de nouveau en déficit dans le PLFSS 2022, avec un financement très très loin des nécessités.

La perte d’autonomie doit être réintégrée dans la branche maladie de la Sécurité sociale

19 juillet 2021, la « règle d’or » pour verrouiller le tout

La loi du 19 juillet 2021 impose la règle d’or, sur proposition LR, avec accord LAREM. 

Les milliards ont été déversés par dizaines et dizaines. Les dividendes ont battu les records. Sitôt passées les élections, il faudra rembourser par les économies sur les prestations sociales, sur les services publics. D’autant que s’y ajoutera l’onde de choc des sanctions de la guerre en Ukraine.

► Si on veut satisfaire les besoins en protection sociale cet arsenal législatif doit être remis en cause.

Conséquence de la loi du 7 aout 2020 : l’abandon de la loi Grand âge

E Macron avait promis une loi Grand âge comme « marqueur social du quinquennat ». La dette devait être apurée en 2024. Même si c’était fort discutable, il était prévu qu’on continue de verser la CRDS pour financer la perte d’autonomie. Or elle est utilisée pour rembourser la dette. Résultat plus de financement pour la perte d’autonomie, Macron abandonne la loi Grand âge.

Il faut une loi Grand âge, satisfaisant les besoins des personnes âgées comme des personnels.

Une apathie insupportable des gouvernements devant la maltraitance institutionnelle.

La maltraitance, la « non-traitance », institutionnelles, c’est en établissement et à domicile, et depuis longtemps. Les constats s’accumulent depuis des années et des années.

Pascal Meyvaert, cité dans la plateforme de l’AD-PA (Association des Directeurs au service des Personnes Agées) : "Je suis médecin coordonnateur depuis 2003 et j’ai l’impression d’entendre la même chose, les mêmes problématiques depuis maintenant presque 20 ans…

Une aide-soignante citée dans le rapport Libault (17 septembre 2018) : « Moi, j’ai fait de la maison de retraite, c’était limite de l’usine, on passait 5 minutes par patient. Vous vous rendez-vous compte ? On a 12 minutes pour faire une toilette, officiellement, alors qu’il faut 45 minutes pour faire correctement la toilette d’une personne âgée, vu son rythme. 12 minutes c’est pas possible ». AD-PA : « Faute de personnel on pratique la contention ».

Un manque de personnels indiscutable et indiscuté.

Cash investigation, 1er mars : « Au Danemark il y a 12 personnels pour 10 résidents, en France 5 ». On peut dire à peu près pareil de l’Allemagne, de la Belgique… Les manques concernent aussi l’aide à domicile.

Le rapport Libault (17 septembre 2018) : » Même en l’absence de toute réforme, il faudrait vraisemblablement créer entre 150 000 et 200 000 ETP (Equivalents Temps Plein) dans le secteur d’ici 2030 du fait de la seule démographie »

Le rapport El Khomri (29 novembre 2019) demandait « la création de 93 000 postes sur 2020-2025, la formation de 260 000 professionnels sur la même période pour pourvoir les postes vacants »

L’AD-PA exige la création immédiate de 40 00 postes…et plusieurs centaines de milliers d’embauches d’ici 10 ans. La FHF (Fédération hospitalière de France) 20 000 postes/ an jusqu’en 2026.

Des organisations syndicales exigent également 200 000 postes en établissements, 100 000 à domicile, ce qui n’est que la stricte nécessité.

Pourtant le PLFSS 2022 Macron n’en prévoit que 10 000 d’ici 2025, à peine plus d’une embauche par EHPAD, si tant est que le plan soit respecté avec les démissions et les difficultés de recrutement !

► Il faut très rapidement des dizaines de milliers d’embauches !

La perte d’autonomie n’est pas un tsunami.

Les besoins vont croitre : selon la DREES (décembre 2020), à modèle de prise en charge inchangé, il devrait y avoir 108 000 résident-e-s de plus en EHPAD en 2030.

Mais 90 % des plus de 60 ans n’ont aucune prestation spécifique

L’entrée en EHPAD se fait à près de 86 ans et ne dure que 2 ans et 6 mois en moyenne.

Une augmentation de budget très accessible.

En 2016 la France dépensait 1,7 point de PIB, nettement plus faibles que les Pays-Bas (3,7 %), la Suède (3,2 %), le Danemark (2,5 %),

L’AD-PA évalue la création de 200 000 emplois à un investissement de 7 milliards, desquels il faut déduire 2,5 milliards d’économies sur les allocations chômage.

On peut aussi faire des économies massives par la prévention et de bonnes conditions de travail

Il faudrait que nos gouvernants finissent par comprendre que la prévention, le bien être, sont un investissement rentable !

► Au total, avec les investissements, on peut considérer qu’il faudrait dégager de l’ordre de 20 milliards (exonérations de cotisations sociales « patronales » 150 milliards par an)

La privatisation à l’origine de la souffrance des personnels et des personnes en perte d’autonomie, en EHPAD comme à domicile.

IRES N° 91-92 : la privatisation : loi du 24 janvier 1997 (Juppé) :

« La création du statut d’Ehpad permet l’accès de tous les types d’organisations aux financements publics… Les organisations se retrouvent alors en concurrence. La loi HPST renforce ce mouvement par la création d’appels à projets…émis par les ARS (qui) mettent directement en concurrence les organisations… »

« En ce qui concerne l’Aide à domicile, la création du marché des services à la personne (SAP). On assiste ainsi à une banalisation des activités d’aide à domicile, qui deviennent des activités marchandes, au même titre que l’assistance informatique à domicile ou le jardinage »

L’industrialisation du soin : « Une orientation commune des politiques publiques : industrialiser le secteur et rationaliser l’activité pour limiter les dépenses …une recherche d’une standardisation poussée des procédés ». « C’est avec la loi Borloo de développement des services à la personne de 2005 que le référentiel industriel des services d’AD est le plus abouti ».

On peut faire le même constat à l’hôpital avec la T2A, la Tarification A l’Activité.

On est dans la TAYLORISATION du soin. Avec la concurrence les normes du privé pour faire du profit s’imposent au public pour faire des coupes budgétaires.

Dans le cas des services à domicile il y a une multitude de margoulins. J’en ai fait les frais avec mon père. Lorsque j’ai appelé le Conseil départemental pour me plaindre d’un prestataire agrémenté et avertir on m’a répondu : » vous n’êtes pas le premier ». Point final.

Et pourtant la Fédération Nationale de la Mutualité française et France Assureurs exigent une assurance privée pour financer la perte d’autonomie à domicile.

Ça va avec l’aide aux aidant-e-s :

Il est nécessaire d’aider les aidants à pouvoir apporter leur affection à leurs anciens. Mais il faut combattre l’orientation qui consiste à les substituer à des personnels qualifiés pour faire des économies. Le terme « accorder un répit aux aidants » en dit long sur leur souffrance.

CREER UN GRAND SERVICE PUBLIC DE LA PERTE D’AUTONOMIE A DOMICILE ET EN ETABLISSEMENT

► Il faut inverser les priorités : « l’humain d’abord »

► il est urgent de sortir la perte d’autonomie du privé lucratif, de la marchandisation, de créer un grand service public de la perte d’autonomie, à domicile comme en établissement, avec le personnel nécessaire, bien formé et correctement rémunéré. Qu’on ne nous dise pas que c’est une posture idéologique, non réaliste : le Danemark l’a fait.

► Le modèle des EHPAD doit être profondément revu : on doit se sentir « chez soi », intégré à la vie de la cité, quel que soit le domicile.

► Il faut supprimer la barrière d’âge entre handicap et perte d’autonomie.

► La perte d’autonomie doit être prise en charge par la branche maladie de la Sécurité sociale, avec des moyens correspondant aux besoins.