En affirmant que c’est la souveraineté qui prime, la Pologne met le doigt là où ça fait très mal.
Par Claude NICOLET
Mis en ligne le 27 octobre 2021
Nous publions ci-dessous un article concernant la décision de la Cour constitutionnelle de Pologne reconnaissant la primauté de la constitution polonaise par rapport aux traités européens. Il ne s’agit en rien pour nous de soutenir le régime polonais ni bien sûr de valider la loi qui a donné lieu à cette décision. Il s’agit pour nous d’une position de principe comme celle que nous avons émise à propos de la décision de la cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe sur le même sujet. Le CA de Réso

En affirmant que c’est la souveraineté qui prime, la Pologne met le doigt là où ça fait très mal. Par Claude NICOLET

J’imagine que toutes celles et ceux qui n’ont pas de mots assez durs contre la Pologne, qui a l’outrecuidance de dire que son droit national inséparable de sa souveraineté est supérieur au "droit européen" sont les mêmes qui hurlèrent lors de la forfaiture du vote souverain du peuple Français du 29 mai 2005... ? Si ce n’est pas le cas pourquoi une telle complaisance vis à vis de l’Allemagne qui n’hésite pas avec le tribunal constitutionnel de Karlsruhe à faire valoir ses intérêts souverains ? Il faut en effet se souvenir que le tribunal constitutionnel de Karlsruhe a statué sur le fait qu’il n’existait pas de peuple européen et qu’en dernière instance il revenait au parlement allemand de vérifier la conformité des droits et que la légitimité démocratique résidait dans le peuple allemand et ses représentants. Cependant il y a une différence majeure dans le cas présent avec la Pologne. En effet, en Allemagne, la procédure a été à l’époque enclenchée par la société civile, notamment des universitaires. En revanche, pour la Pologne, c’est le gouvernement lui-même qui a saisi la Cour suprême, la démarche politique est donc de nature différente. Les Polonais se saisissent en réalité d’un problème de philosophie politique de fond. Le droit peut-il exister en dehors du peuple ? Surtout quand celui-ci est annoncé comme le fondement de l’Etat de droit. Cette question est redoutable car elle interroge ce qu’est devenue la construction européenne dans sa nature même. C’est à l’issue du lancement d’une procédure "pour manquement" lancée par la commission européenne, que la Pologne a "contre-attaqué" par la saisine de sa Cour suprême. Il faut d’ailleurs préciser que cette dernière affaire n’est que la suite d’une liste déjà longue entre la Commission et la Pologne. Il y a là une question redoutable : la Commission n’ayant aucune légitimité démocratique, dont les commissaires ne présentent que peu de garantie d’indépendance (souvenons-nous de Barroso s’exilant chez Goldman Sachs mais également la commissaire à la concurrence, Nelly Kroes, qui avait omis de déclarer ses activité offshore), peut- être regardée par le Traité comme une instance légitime pour imposer, sur le fondement des obligations incombant aux Etats membres, des règles « démocratiques » à commencer par celle de l’indépendance des juges ? La Pologne a donc décidé de "mettre les pieds dans le plat." Quoi qu’il en soit, cette décision met le doigt exactement là où ça fait très mal et participe incontestablement d’une gigantesque redistribution des enjeux politiques au sein de l’union européenne. Il est d’ailleurs frappant de constater à quel point cette question fait désormais débat dans la campagne présidentielle qui s’ouvre en France, l’idée même d’envisager le retour de la primauté du droit national sur le droit européen illustre l’ampleur des changements qui sont à l’oeuvre. La réaction brutale, le coup de menton de la commission européenne rappelant qu’aucun droit national ne peut être supérieur au droit européen, marquent très clairement quels sont désormais les véritables enjeux, les véritables rapports de forces et le véritable objet qu’est devenue l’union européenne. Une gigantesque machine technocratique, bureaucratique et juridique fabriquant de la norme à la chaîne, qu’on veut nous faire prendre pour des "lois", détachée de toute volonté populaire. Machine néolibérale qui dissout tout ce qui est collectif. Depuis longtemps je suis convaincu que la question de la souveraineté est au cœur des véritables enjeux politiques contemporains. Nous en avons aujourd’hui une démonstration éclatante.