A propos de la cause palestinienne
Par Claude NICOLET - Journal RESO n° 203, mai 2021
Mis en ligne le 29 mai 2021

Réso donne ici la parole à Claude Nicolet, ancien président du Réseau de coopération décentralisée pour la Palestine. Il fait entendre une voix posée, argumentée et éclairée sur cette difficile question.

Autant aller à l’essentiel, la cause palestinienne est une cause juste. La question palestinienne fait à nouveau surface…et elle ne cessera de le faire tant qu’elle n’aura pas de solution politique. Sur ce sujet, je reste le même. La cause palestinienne est une cause juste. Il convient sur ce sujet comme sur tous les autres de regarder les choses avec le recul historique nécessaire et la hauteur de vue indispensable pour le bien des Palestiniens, des Israéliens et pour le bien de nous tous.

La Palestine et moi c’est désormais une longue histoire. Des années d’études à l’université « les Chrétiens et la guerre du Golfe », « le Vatican, le Proche-Orient et le nouvel ordre mondial », « Le Vatican et le Proche-Orient, quelle politique étrangère ? Enjeux, continuités, ruptures, une étude comparative entre le pontificat de Paul VI et de Jean-Paul II ». Puis les années politiques avec Michel Delebarre et le jumelage entre la Communauté urbaine de Dunkerque et la ville de Gaza dès 1996, et la présidence du Réseau de Coopération décentralisée pour la Palestine/Cités-Unies France de 2002 à 2015.

Dès le début du processus d’Oslo en 1993 nous avons été, j’ai été associé même modestement à cette incroyable aventure que j’ai pu vivre de l’intérieur avec le ministère des Affaires étrangères, l’Autorité nationale palestinienne, les différentes instances européennes (Commission, Conseil de l’Europe, Parlement européen), un immense tissu associatif, les organisations internationales de collectivités locales au niveau mondial et européen... tant et si bien que François Hollande, président de la République, m’a demandé de l’accompagner lors de son voyage d’État en Israël et en Palestine en 2013. Je pense pouvoir dire que nous avons fait un travail colossal. J’en tire une véritable expérience, d’incroyables souvenirs, des regrets et bien des colères. L’expérience est là, disponible et prête à reprendre du service. Les souvenirs et mes colères m’appartiennent. Mais je tiens à dire quelques mots sur mes regrets.

* Tout d’abord l’échec d’Oslo et de la création d’un État palestinien libre et souverain qui nous aurait permis d’échapper à la situation d’aujourd’hui. Les raisons en sont certes nombreuses et, dès le début, nous pouvions penser que les choses ne partaient pas sur un réel pied d’égalité (reconnaissance de l’État d’Israël par Yasser Arafat et l’OLP, tandis qu’Israël ne reconnaissait qu’une « autorité et une autonomie ». Il y avait quand même par l’État hébreux la reconnaissance de l’existence du peuple palestinien et de son représentant légitime).

* Mais en réalité, le coup de grâce fût donné (si j’ose dire) en 1995 lors de l’assassinat par un militant de l’extrême droite juive et israélienne, de Yitzhak Rabin alors Premier ministre. Le processus d’Oslo ne s’en est jamais remis. Benyamin Netanyahu pris la tête du pays et ne cessa de multiplier les alliances avec l’extrême droite et les partis de colons partisans de la colonisation à outrance.

* Dans le même temps, les divisions politiques internes aux Palestiniens faisaient leurs œuvres. Et l’islamisme militant, là comme ailleurs, progressait inéluctablement dans les esprits et les cœurs face à une autorité palestinienne qui sur le terrain ne pouvait faire progresser l’arrivée d’un Etat symbole de liberté tant attendue.

* J’ai vu et vécu de l’intérieur le « grignotage » par l’islamisme de la « cause palestinienne » qui s’inscrivant à son origine dans la lutte internationale contre le colonialisme et l’oppression des peuples, ancrée dans la volonté émancipatrice des mouvements de libérations nationales et d’auto-détermination des peuples a été gangrénée de l’intérieur par une idéologie concurrente, mortifère et avec laquelle il n’y a pas de compromis possible. C’est de ce point de vue une véritable tragédie que les peuples payent au prix fort et qui reste un abcès de fixation purulent dans l’imaginaire arabe et islamique.

* Il faut dire que nous y avons mis du nôtre pour en arriver là. Entre les promesses non-tenues, les résultats d’élections (faites à notre demande et à nos conditions) non respectés, l’utilisation et la manipulation de la question palestinienne dans le jeu de telle ou telle puissance…

* Voilà plus de 60 ans que le destin des Palestiniens leur échappe en permanence. Alors de temps en temps ils rappellent au monde qu’ils existent.

* Comment également passer sous silence la mainmise de plus en plus forte de l’extrême droite en Israël ? Comment passer sous silence la politique de colonisation qui a connu une véritable explosion ces dix dernières années ? Comment passer sous-silence l’expulsion administrative des habitants arabes de Jérusalem-Est depuis des décennies ? Comment passer sous-silence les conséquences de décennies d’occupation militaire et d’humiliations collectives et individuelles. Comment passer sous silence que les Palestiniens ont le droit eux aussi d’être protégés ?

* Mais comment passer sous silence la nécessité pour Israël de prendre en compte les liens politiques et stratégiques entre le Hamas, le Hezbollah et l’Iran ? Comment passer sous silence l’obligation pour Israël de protéger (comme tout État) ses ressortissants ? Comment passer sous silence que l’environnement géo stratégique dans lequel vit Israël s’est considérablement dégradé depuis 30 ans ?

* Mais comment passer sous silence que les destructions du Liban puis de l’Irak à partir de 1991 puis de 2003, puis de la Libye, de la Syrie, le pourrissement interne de l’Algérie, la montée en puissance de la Turquie… portent une lourde responsabilité dans cette situation.

* Comment passer sous silence que les progrès de l’Islam politique, radical et djihadiste que le salafisme et le wahabisme saoudien a largement financé afin de faire pièce notamment au progressisme arabe et aux mouvements de libérations nationales mais aussi contre l’Iran ont une responsabilité majeure dans cette situation ?

* Le monde musulman est aujourd’hui travaillé par des forces redoutables qui sont à l’œuvre et doivent être combattues. Mais ayons le courage de regarder les choses en face. Nous y avons notre part de responsabilités. Dans ce combat titanesque la France doit y tenir toute sa part, qui est et reste particulière. D’où le fait que nous soyons un ennemi irréductible de l’islamisme avec lequel il ne peut y avoir de compromis. C’est l’une des raisons pour lesquelles il nous frappe si durement, si violemment et que je fais partie de ceux qui considèrent qu’entre lui et nous c’est une lutte existentielle, une lutte à mort. Mais mon histoire et mon expérience m’ont aussi appris que la civilisation musulmane qui se bat à l’heure actuelle contre cette monstruosité ne se résume bien évidemment pas à cette horreur. Là encore, distance et hauteur de vue sont nécessaires.

* Au final, les questions essentielles qui se posaient il y a plus de 60 ans restent les mêmes.

Le peuple palestinien a-t-il droit à l’autodétermination ?

Le peuple palestinien s’il le décide a-t-il le droit de vivre libre et d’avoir la maîtrise de son destin ? Si la réponse est oui, alors incontestablement sa cause est juste et rien n’y fera.

Si la réponse est non alors Israël et la « communauté internationale » doivent décider du sort de ceux qu’on appelle à tort des « Palestiniens ».

Il y a peu de solutions :

a) Procéder à une nouvelle expulsion massive comme celle de 1948, mais cette fois-ci de plusieurs millions de personnes. Qui en prendra la responsabilité politique et l’assumera aux yeux du monde ?

b) Où les expulser ? Qui les accueille ? Dans quelles conditions ? Avec quel statut, réfugié, nationalité pleine et entière du pays d’accueil ?

c) Ils deviennent tous des réfugiés avec le statut de l’ONU dans une Cisjordanie amputée des grands blocs de colonies annexés à Israël qui passent sous gestion internationale ?

d) Ils deviennent citoyens à part entière de l’État d’Israël qui ne peut plus être un État juif mais l’État de tous ses citoyens. Ce qui signifie la fin et l’échec du projet historique du sionisme politique ? Je n’aborde pas la question des réfugiés depuis de 1948 puis de 1967… afin de ne pas alourdir trop la complexité de l’affaire. Résumer la question palestinienne au Hamas, ou Israël à Netanyahu (qui s’appuient mutuellement) c’est regarder les choses par le petit bout de la lorgnette et se donner bonne conscience à peu de prix. C’est également réduire à des considérations de politiques purement internes donc indignes au regard des enjeux, des questions qui ne cessent de s’envenimer. Rien ne se fera sans courage, sans volonté et sans détermination. Rabin et bien d’autres le savent pertinemment.