La rentrée sociale : les jours d’après seront-ils pires que les jours d’avant ?
Par Jean Claude CHAILLEY
Mis en ligne le 3 octobre 2020

Au printemps on a dit « plus jamais ça ». Pourtant la question posée c’est les « jours d’après » seront-ils pires qu’avant ? On aurait pu dire seront-ils meilleurs ? La question est déjà une indication de la situation et de la pente naturelle en cette rentrée.

La crise sociale et la crise sanitaire sont liées. Le libéralisme mondial a une responsabilité dans les 2.

Le monde entier savait qu’il y aurait, qu’il y aura, une pandémie un jour ou l’autre qui pourrait faire des dizaines de millions de morts. Comme l’essentiel de la recherche mondiale a été privatisée, les labos ont refusé de faire la recherche nécessaire car la rentabilité était jugée trop aléatoire. C’est d’ailleurs pareil pour les bactéries résistantes qui tuent aussi par dizaines de milliers chaque année au grand dam de l’OMS.

En 2005 après l’épidémie de H5N1 l’UE a lancé des recherches rapidement abandonnées.

En France un rapport parlementaire a demandé d’avoir des masques qui protègent pour toute la population précisant qu’on dirait que c’est cher mais qu’il fallait relativiser le coût au regard du dégât économique potentiel. Vous connaissez la suite.

S’y ajoute le mépris des « élites » de l’occident vis-à-vis des asiatiques. Nombre de pays asiatiques ont eu pour objectif d’éradiquer d’épidémie et y sont largement parvenus.

En occident Trump et d’autres voulaient laisser la pandémie se développer librement.

Macron a une théorie intermédiaire étrange : tenter de limiter l’épidémie aux capacités hospitalières et non pas l’éliminer.

Bilan : un taux de mortalité parmi les plus élevés du monde et le dégât économique aussi.

La crise Covid a éclaté alors que la crise de 2008 n’était pas surmontée.

Depuis 2008 Les banques centrales ont multiplié les mesures dites non conventionnelles. Pour éviter l’effondrement et relancer l’économie la BCE a injecté 2600 milliards de liquidités, a amené les taux directeurs (qui pilotent les taux de crédit) à 0, voire négatifs. Aberration par rapport au fonctionnement normal d’une économie capitaliste.

L’effondrement a été évité mais pas la relance car en même temps les gouvernements ont procédé à une politique de l’offre tout au service des actionnaires et à une politique d’austérité pour les salariés et retraités. Le résultat a surtout été une hausse du CAC 40, des dividendes, la bulle immobilière dans les grandes villes.

Et encore leur politique a été limitée par les mobilisations, qui même lorsqu’elles ne sont pas victorieuses, freinent néanmoins. Par exemple Sarkozy voulait imposer la 5ème branche perte d’autonomie en 2010. Il a dû l’abandonner devant les mobilisations. On a donc gagné au moins 10 ans puisqu’elle revient avec Macron.

Mêmes recettes mais dans un contexte dégradé en 2020. Au printemps Macron a multiplié les aides Covid. Un plan d’urgence de 460 milliards a été concocté, même si ce ne sont pas toutes des dépenses. Environ 120 milliards de prêts garantis par l’Etat ont déjà été effectués, dont une partie va se transformer en quasi fonds propres et en dons. Les reports de cotisations sociales se sont multipliés, qui risquent de devenir permanents et non compensés à la Sécurité sociale. L’Etat prête en prenant tous les risques à la place des banques et des entreprises.

En cette rentrée on est donc déjà dans le » jour d’après », mais pas celui espéré quand on a dit « plus jamais ça »

Et c’est pire que le « jour d’avant ».

Le PIB est prévu à environ 9 % de baisse par l’INSEE, sous réserve de l’évolution de la pandémie. Des mesures comme le chômage partiel étaient utiles, mais à condition d’éviter les suppressions de postes, ce qui n’a pas été le cas puisqu’il en manque déjà 700 000 et les charrettes c’est tous les jours.

L’argent coule à flot : les banques centrales, dont la BCE, rachètent massivement des dettes d’Etat et des actifs des entreprises. La planche à billets, illégale dans les traités européens, tourne à plein régime, entre autres pour sauver les banques dont les actifs pourris sont estimés à 300 milliards. La Fed abandonne le principe de limiter l’inflation à 2 %. On se prépare je cite à « rincer les petits épargnants » qui sont à la Caisse d’Epargne ou ont un peu d’assurance vie épargnée toute une vie.

La Commission européenne propose d’emprunter 750 milliards sur les marchés à rembourser solidairement d’ici 2058. Les bébés pas encore nés sont déjà dans la galère. 390 milliards de subventions doivent être distribués, sous réserve d’être gagés par des réformes structurelles, des plans d’austérité, dans tous les pays.

Le Pacte budgétaire européen n’est pas annulé. Il est uniquement suspendu conformément aux dispositions du traité. Il faudra donc revenir aux « équilibres ». C’est pourquoi TOUTES les réformes sont maintenues. Les 750 milliards sont un choix FEDERALISTE, dont la France est en plus la grande perdante. La France ne recevra que 40 milliards. Ça représente 10 % des prétendues subventions alors que la France verse 20 % des remboursements. Macron nous fait payer à prix fort le renforcement fédéraliste de l’Europe. Les pays dits frugaux, dont l’Allemagne, ont un rabais sur leur contribution au budget européen. La France de Macron qui joue les riches n’a rien. (Italie 209 milliards dont plus de 87 milliards de subventions)

Macron socialise les pertes, et distribue les aides, y compris aux entreprises qui n’en ont pas besoin. Le plan « France relance », qui n’est pas de 100 milliards, est tout orienté vers les entreprises, les actionnaires français comme étrangers

Macron maintient toutes ses reformes, que ce soit l’assurance chômage, la réforme des retraites, de l’Etat, la destruction de la Sécurité sociale.

Les services publics, la fonction publique et même la République sont dans le collimateur. La loi 3 D (différenciation, déconcentration, décentralisation) est complémentaire du fédéralisme européen, elle va même jusqu’à détruire l’égalité républicaine.

Lors du Ségur Macron a été obligé de lâcher sur les salaires avec une augmentation non négligeable bien qu’insuffisante – il manque 120 € ! - et compensée par la flexibilité. Mais rien pour le SMIC, rien pour les autres salariés. Bien au contraire avec les APC, les Accords de Performance Collective, on peut baisser les salaires. La course à la « compétitivité », c’est de continuer à baisser les salaires, dont les cotisations sociales.

Il n’y a pas plus de jeunes sur le marché du travail cette année que les autres, mais les diverses formules d’embauche des jeunes sont quasi entièrement subventionnées par nos impôts.

Les aides aux entreprises qui atteignaient déjà des montants astronomiques augmentent encore et pour une bonne partie sont permanentes et non liées au Covid. Par exemple les 10 milliards par an « d’impôts de production », la baisse des impôts pour les sociétés.

On parle beaucoup de compensation aux aides. Je vais faire un commentaire technique car j’ai été contrôleur de gestion : c’est souvent impossible. Si une entreprise licencie 500 salariés, elle expliquera que si elle n’avait pas eu d’aides elle en aurait licencié 1000. Il est impossible de prouver l’inverse.

Leur politique de relance ne peut pas fonctionner. Ils demandent aux Français de consommer davantage alors que les charrettes de licenciements sont quotidiennes, que tout le monde sait qu’ils essaieront de nous faire revenir aux équilibres financiers par la hausse des impôts et / ou des taxes sous tous les prétextes, par la baisse des retraites, des prestations sociales.

La Sécu avait un déficit de 52 milliards en juin, ça va encore monter. La CRDS qui devait s’arrêter en 2009, puis 2024 continue jusqu’en 2033, voire 2042. Pareil pour les services publics.

La transition écologique est nécessaire. Elle est déjà très coûteuse pour les particuliers – plusieurs dizaines de milliards de taxes chaque année, d’où les gilets jaunes.

Elle le sera encore plus, même avec les aides. Par exemple j’ai acheté une voiture Diesel parce qu’elle était écologique. Même avec le bonus écologique, comme je me déplace surtout en métro et train, elle n’est pas rentable. Il faut que je la basarde, comme des millions, car elle va être interdite à Paris et un peu partout. Outre le coût c’est un gâchis écologique qu’elle soit détruite à 60 000 kms ou qu’elle poursuive une longue carrière en Roumanie ou en Afrique. Gâchis écologique pour détruire, gâchis écologique pour produire de façon anticipée leurs remplaçantes, des centaines de millions à l’échelle mondiale, qui de surcroît risquent de subir le même sort.

Mon immeuble est chauffé au Diesel. Il va falloir changer la chaudière. Donc il va y avoir des dépenses importantes, et peut-être en plus de la rénovation thermique.

Les tarifs d’électricité …vont continuer d’augmenter comme tous les services publics.

Pour relocaliser Sanofi demande que la Sécurité sociale compense l’augmentation du coût. C’est ce que fait Macron dans son plan de relance, sans pour autant garantir une relocalisation.

Donc les dépenses augmentent, le chômage explose, les salaires stagnent ou baissent, les retraites aussi …

Résultat les Français épargnent comme jamais au lieu de consommer, y compris le décile le plus pauvre tant l’avenir paraît noir. Or l’industrie a besoin de consommateurs finaux.

Les mesures prises mondialement dans la panique, en Europe par la BCE, la CE, les Etats, préparent la prochaine crise.

Et le jour d’après, les alternatives ?

Sur le plan mobilisations, actuellement le Jour d’après ressemble au jour d’avant. Aujourd’hui les gilets jaunes, puis le 17 septembre, considéré comme « une 1ère journée d’action », donc à suivre par d’autres, puis le 26 septembre le climat, puis le 15 octobre la santé, le 17 octobre et bien d’autres déjà dans le paysage. Il y a le 75ème anniversaire de la Sécu, l’initiative de Convergence. Sur le plan programmatique » il y a notamment le Plan de sortie de crise, dont Convergence est signataire, et ses 34 propositions.

Comme ce n’est pas Macron qui le fera voter, comme par exemple l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font du profit, tout le monde a en tête l’élection présidentielle de 2022. Personnellement j’ai été échaudé nombre de fois. Depuis Hollande et « mon ennemi c’est la finance » en additionnant de NPA à EELV, si tant est que l’addition a un sens, on plafonne dans les 30 % de ceux qui votent encore. Donc pour moi se borner à l’objectif de gagner la présidentielle ne suffit pas. Il faut pouvoir gouverner. Juste après la présidentielle il y a des budgets à voter, entre autres le PLFSS, la loi de finance, des réformes progressistes à faire sur la santé, les services publics, la transition écologique, le droit du travail, … Derrière la plupart des 34 propositions du Plan de sortie de crise, il n’y a pas accord sur les priorités, voire pas d’accord du tout permettant de les mettre en oeuvre.

La Sécurité sociale et les services publics ne sont clairement pas la priorité.

Sur beaucoup de sujets des désaccords persistent à des degrés divers.

Exemple la fiscalisation / destruction de la Sécurité sociale, la réforme à points des retraites, les renationalisations. Par exemple les propositions de loi PC et FI sur le médicament ne prévoient pas la nationalisation de Sanofi. Or les nationalisations / appropriation sociale…sont déjà en débat dans de nombreux secteurs.

Le choix fédéraliste européen va avec un anti étatisme qui lui est nécessairement complémentaire. Le revenu de base et ses variantes sont en débat. Le nucléaire fait débat (sauf le nucléaire militaire accepté par EELV…). La transition écologique est nécessaire, mais il est parfois bien difficile de concilier déclarations et vie courante. Par exemple la conciliation de l’opposition à l’extraction de terres dites rares, à l’installation d’antennes, avec la lutte contre la fracture numérique, contre les déserts numériques, avec l’utilisation de smartphones maintenant largement considérés comme des besoins incontournables.

Je ne suis pas capable de trancher, mais il y a des éléments sérieux pour dire que le Diesel, avec les derniers filtres à particules, serait le plus écologique. Vrai ?, Faux ? Qui a les connaissances pour trancher tant les intérêts derrière les choix pour comme contre sont puissants ?

Désaccord également sur croissance / décroissance. Désaccord sur l’Etat, désaccord sur l’Europe, désaccord sur la République, sur la laïcité, …

Idéologiquement et programmatiquement tout est éclaté. A ce jour je ne sais pas s’il peut y avoir un accord électoral pour la présidentielle, de toute évidence ce n’est pas gagné, mais il est certain qu’actuellement il n’y a pas de projet économique et social progressiste partagé.

Lorsqu’on a créé Résistance sociale on ne se parlait pas. Maintenant (presque) tout le monde se parle, peut même aligner les signatures, mais le peuple sent qu’il n’y a pas de projet et s’éloigne.

Donc pour Résistance sociale il faut bien sûr continuer à participer aux luttes sociales, mais il faut aussi autant que faire se peut impulser des débats de fond, contribuer à créer une majorité pour une République sociale, majorité capable de gouverner, majorité ne voulant pas nécessairement dire unanimité, car lorsqu’on gouverne il faut décider et les électeurs ont le droit de savoir, sinon à force d’être trompés ils s’abstiennent ou se tournent vers l’extrême droite.

C’est la contribution que peut apporter RESO précisément parce qu’elle est une association et non pas un parti politique en alliance ou concurrence avec les autres.