La réforme des retraites, clé de voûte des réformes Macron
Par Jean-Claude CHAILLEY - Bulletin RESO n° 189 - Février 2020
Mis en ligne le 27 février 2020

Les réformes de Macron sont convergentes, complémentaires.

La réforme des retraites n’a pas seulement pour buts de réduire les « dépenses publiques », de travailler de plus en plus vieux pour une pension de plus en plus faible, de développer la capitalisation : nos gouvernements ont amplement montré qu’ils savent le faire par des réformes paramétriques.

La raison de ce conflit majeur est plus profonde : la réforme des retraites non seulement complète l’ensemble des réformes public – privé, mais elle est nécessaire à leur mise en œuvre intégrale.

Les retraites, composante de la baisse des « dépenses publiques »

Les « dépenses publiques » (*) ,1 320 milliards en 2018, représentent 56 % du montant du PIB en France contre 46,8 % dans la zone euro, 45,6 % dans l’UE.

Elles vont de 26 % en Irlande à 56 % en France en passant par 43,9 % en Allemagne (Eurostat)

Les retraites avec 325 milliards représentent le quart des « dépenses publiques ».

Les dépenses publiques ont baissé de 4,4 points depuis 2009 dans l’UE, mais de 1,2 point en France. Elles sont 10 points au-dessus de la moyenne européenne, soit 250 milliards (PIB 2020 : 2 480 milliards)

Deux points de vue opposés :

- Pour le mouvement social :

C’est grâce aux luttes que malgré les contre-réformes la régression n’a pas été encore plus importante.

Aucun peuple ne doit se voir imposer la régression (cf. la Grèce). L’harmonisation européenne ou mondiale, c’est par le haut.

- Pour l’UE, notamment la zone euro, les gouvernements, le MEDEF :
- L’euro, une monnaie unique, ne peut se perpétuer durablement avec de telles inégalités, dont le SMIC qui va de 286 € à 2071 €. Il faut réduire les écarts, « converger », pour l’essentiel à la baisse.

- Il faut achever le marché intérieur : compétitivité, baisse du « cout du travail », privatisations, externalisations, réduction du rôle des Etats vers l’Europe des régions.

- L’égalité républicaine est menacée : réforme du bac, projet de loi 3D (Décentraliser /Différencier / Déconcentrer)…

- Le périmètre de l’État, des services publics, de la Sécu, doit donc être drastiquement réduit. Ils doivent être orientés vers les besoins des entreprises, du « marché », au lieu des besoins fondamentaux de la population.

(*) La notion de « dépense publique » est plombée idéologiquement. Le % du PIB est biaisé.

- Définition Eurostat : les dépenses publiques regroupent les budgets des administrations : centrales, des collectivités locales, de sécurité sociale.

- Les cotisations sociales sont considérées comme une dépense publique.

- Dire que les dépenses publiques sont de 56 % du PIB laisse entendre que les dépenses privées seraient de 44 %. C’est faux ! Elles sont de l’ordre de 200 % du PIB. Raison : les dépenses publiques ne sont PAS un % du PIB, faire la soustraction 100 – 56 n’a pas de sens.

- Le classement en % du PIB est biaisé : la France est 1ère de l’UE rapportée au PIB mais 8ème en montant par usager. Or ce sont les prestations pour usagers qui nous intéressent.

La France est 8ème en taux de remplacement des retraites (pension comparée au dernier salaire)

Raison de l’écart de classement : le PIB est trop faible en France, ce qui renvoie à la politique économique.

- Dans les cris « France championne des dépenses publiques » les 2 termes fâchent les libéraux : « Publiques » car c’est ce qui échappe encore à la privatisation. « Dépenses » car réduire ces dépenses et prestations sociales, permet de baisser les impôts et cotisations sociales des entreprises, donc d’augmenter les profits, les dividendes.

(A contrario les dépenses des clients dans les entreprises privées ne suffisent jamais pour une croissance « à 2 chiffres » des profits)

Les gouvernants français, le MEDEF, s’inscrivent dans cette logique libérale. Les 56 % de dépenses publiques doivent être sévèrement rabotés, dont les 14 % des retraites. Plusieurs axes :

- Baisser le « cout du travail » dans le privé comme le public : les effectifs, les salaires dont les cotisations sociales – même insuffisants - sont une composante importante des budgets.

D’où pour rester dans une actualité récente :

- Dans le privé, au nom de la « compétitivité », les lois El Khomri, les ordonnances Pénicaud,…

- Dans le public, le gel du point d’indice des fonctionnaires, la privatisation – destruction de la SNCF, la loi de transformation de la fonction publique,…

- La mise à mort du SMIC avance discrètement (remplacement du salaire minimum par revenu minimum,…)

De nouveau deux points de vue sur le « cout du travail ».

- Pour les gouvernements et le MEDEF les salaires, les cotisations sociales, le SMIC, sont trop élevés.

- Pour le mouvement social le travail est le seul producteur de richesses. Il faut augmenter les salaires et le SMIC. L’insuffisance des salaires et des effectifs détruit les services publics, la protection sociale. Les étudiants s’en détournent, par exemple dans l’enseignement. Les professionnels démissionnent, par exemple dans l’hôpital public.

- Baisser les « dépenses publiques »

o La réforme des retraites permettrait à l’État de faire des dizaines de milliards d’économies sur les cotisations et pensions des fonctionnaires.

o Coupes dans le budget de la Sécu (branches santé – ONDAM, fermetures de lits,,..-, retraites,…), coupes brutales de l’assurance chômage, …

o La plupart des privatisations de grandes entreprises a déjà eu lieu : Renault, les PTT, Saint-Gobain, Elf Aquitaine, Air France, EDF – GDF, la SNCF, les banques,…

o Maintenant la pression s’accentue sur la fonction publique de plus en plus gérée sur le modèle de la SNCF devenue « société anonyme à capitaux publics » ou La Poste.

- Transferts au privé de missions, services,,.. : lois Bachelot, Touraine, Buzyn, (la majorité des actes chirurgicaux a lieu dans le privé lucratif), loi de transformation de la fonction publique, enseignement privé,…

- 100 % des actes administratifs par Internet, poursuite des fermetures (trésoreries, lignes et gares, guichets SNCF, Postes, centres de Sécu, hôpitaux et maternités, tribunaux,..)

- 120 000 suppressions de postes d’ici 2022 (Macron est en retard sur son plan mais tous les éléments sont en place pour rattraper et poursuivre après 2022, – sauf si… -). Fillon 500 000.

Ce sont les décisions politiques qui déterminent les budgets et non l’inverse.

La lettre dite de compromis d’Édouard Philippe sur les retraites ne nie pas qu’il y a des alternatives pour le financement des retraites. Édouard Philippe ne nie pas qu’on peut faire autrement.

Il est imperméable aux propositions des opposants par décision politique non soumise au débat : maintien de la réforme à points, refus de tout ce qui augmente le « cout du travail ».

Disciples de Kessler, Macron et LRem (+ des soutiens indirects) ont décidé la rupture définitive avec notre modèle social :

Emmanuel Macron et Agnès Buzyn :

- « Le progrès social, c’est celui qu’on se paie soi-même » -> La retraite à points a pour principe la seule capitalisation de ses points. Elle n’a aucune solidarité dans son principe. De même pour les services publics de plus en plus marchandisés : on a les services qu’on peut se payer, sinon on s’en passe.

- « Il faut mettre la protection sociale au service des entreprises » -> l’opposé de la Sécu d’Ambroise Croizat : « Garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature »

- « Un système de santé à bout de souffle, pensé à la sortie de la 2ème guerre mondiale…Nous sommes arrivés au bout ». -> Nous étions classés premiers par l’OMS en 2000. Si on est au bout, c’est d’une destruction inouïe en une vingtaine d’années.

- Agnès Buzyn lors du lancement de la réforme des retraites au Sénat : « la réforme des retraites ce n’est pas un problème technique, c’est un choix de société ». Le projet de loi sur les retraites a pour objectif de « contribuer à la construction de la protection sociale du XXIe siècle ».

- Agnès Buzyn : « Il faut construire autrement notre protection sociale »….« Aller vers un filet de sécurité sociale » -> C’est le modèle Banque mondiale, UE, France, généralisant celui des Etats Unis.

- Gérald Darmanin : « Nous allons interroger en profondeur le périmètre de l’action Publique »

CAP 2022 :

C’est probablement le 1er rapport – programme dont la mise en œuvre est quasi-totale (comparer au cahier Résistance Sociale http://www.resistancesociale.fr/IMG/pdf/Bulletin_RESO_septembre_2018.pdf )

LA REFORME DES RETRAITES CLÉ DE VOUTE DES REFORMES PUBLIC – PRIVE

A) LA RETRAITE A POINTS EST NECESSAIRE A LA PRECARISATION DU SALARIAT PUBLIC ET PRIVE :

La baisse du « cout du travail » est présente dans TOUTES les réformes

Diminution des effectifs, flexibilité, mobilité, externalisations, auto-entrepreneuriat, ubérisation, fin des statuts, fin de la notion de carrière, pour tous les salariés.

La différence public – privé est en voie de disparition.

- La loi El Khomri facilite les licenciements économiques et personnels, la baisse des salaires, et crée le CPA, Compte Personnel d’Activité « supprimant les obstacles à la mobilité »

- Les ordonnances Pénicaud facilitent les CDD, CDI de projet, rupture conventionnelle collective (Près de 75 % des embauches se font en contrat de moins de 3 mois et s’étendent à tous les âges)

- Réforme ferroviaire : changement de statut, ouverture à la concurrence, fin d’embauche sous statut comme à la Poste, possibilité de transfert des personnels aux sociétés concurrentes remportant un « marché »…

- Ma santé 2022 : « Simplifier et adapter les conditions et les motifs de recrutement par contrat », donc hors statut. La fin de la catégorie active dans la réforme des retraites ne pourrait qu’accélérer l’effondrement de notre système de soins

- Loi de transformation de la fonction publique : « les agents publics » auront « les mêmes droits que les salariés du secteur privé » : « harmoniser le temps de travail », « contrat pour emplois permanents – y compris managers » -, « mérite individuel et collectif » ( !), « contrat de projet » (chantier dans le privé), prime de précarité, rupture conventionnelle, portabilité formation public – privé, indemnité vers privé, détachement d’office pour externalisation, … »

On est face à une destruction - uniformisation du droit du travail privé - public. Pour généraliser leur mise en œuvre LA REFORME DES RETRAITES EST INDISPENSABLE.

Le rapport Delevoye :

- Part du principe que ces réformes seront largement appliquées : « Personne ne peut garantir l’avenir de sa profession dans sa pratique, son essence, sa démographie, son statut, son périmètre… diversité croissante des parcours professionnels »

- Il en tire les conséquences : « C’est le fondement du principe selon lequel un euro cotisé ouvre les mêmes droits à retraite… Les règles en matière de retraite …ne seront plus liées à un statut professionnel ».

- Raison : la flexibilité, la mobilité, sont incompatibles avec les 6 derniers mois qui impliquent un statut et une large partie de la carrière dans la fonction publique, et avec les 25 meilleures années dans le privé. Avec la retraites à points « chaque heure travaillée donne des points » (perspective enthousiasmante pour la jeunesse, en particulier les jeunes femmes !).

B) BAISSE DE 3 POINTS DE « DÉPENSES PUBLIQUES », soit 75 milliards

Catherine Perret (CGT) : « C’est un big-bang. L’objectif c’est une chute sans fin des pensions qui représentent 14 points de PIB en France, les exigences de l’Union européenne étant de 11 % ».

- Avant tout vote les 14 % sont déjà abandonnés, 12 milliards de « trou » (fabriqué) sont à trouver.

- L’indexation des retraites : article 11 : « …les modalités d’indexation des retraites resteront fixées sur l’inflation, comme dans le droit actuellement en vigueur ».

1er problème : le « droit en vigueur » n’est pas respecté, comme la loi de 2003 sur les 1000 € / 85 % du SMIC, comme la compensation des exonérations à la Sécurité Sociale, la revalorisation de l’inflation.

2ème problème : Article 11 suite : « Le Conseil d’administration de la Caisse nationale de la retraite universelle pourra toutefois prévoir un autre taux de revalorisation… ».

- Le budget par retraité devant baisser, toute promesse vis-à-vis d’une catégorie d’actifs ou retraités sera soit non respectée, soit déduite des autres. Qui peut encore croire la moindre promesse ?

- Compte tenu des prévisions d’augmentation considérable des retraités dans les décennies à venir il faut au contraire augmenter le budget des retraites.

L’Ugict CGT entre autres a prouvé que c’est possible tout en satisfaisant les revendications des actifs.

C) REFORME DES RETRAITES ET DESTRUCTION DEFINITIVE DE LA SECURITE SOCIALE

Étatisation de la Sécu, de la protection sociale.

La « gouvernance innovante », cœur de la réforme, donnerait tous les pouvoirs à l’État dans le cadre des « semestres européens », de la « règle d’or ».

- Le « pilotage » permettra de revenir sur toutes les promesses : « âge légal, dispositifs de départs anticipés, dispositifs de solidarité (périodes assimilées, droits familiaux, minimum de retraite, etc. ».

Et en plus les syndicats sont chargés de déterminer le cocktail, le faire accepter aux salariés !

- Donc la « gouvernance » avec ses « experts » pourra TOUT remettre en cause, à tout moment.

La solidarité, ADN de la Sécu se transforme en assistance « qui coute un pognon de dingue »

Les dispositifs de solidarité se montent à 80 / 90 milliards, dont 36 milliards de pension de réversion. Ils sont très importants pour tous, en particulier pour les femmes, et notamment les femmes les plus dans la précarité.

Mis à part, totalement fiscalisés, ils se transforment en assistance, toujours trop coûteuse.

Vers la disparition de la Sécu absorbée dans le budget de l’État :

- Le PLFSS 2020 et CAP 2022 : « Rapprocher les différents organismes en charge du recouvrement fiscal d’un côté et social de l’autre (URSSAFF, ACOSS, AGIRC-ARRCO, DGDDI) préalable à une fusion… »

- Monsieur Darmanin refuse de compenser les exonérations de cotisations sociales »gilets jaunes » au motif que « c’est la même poche », ce qui signifie que le budget de la Sécu doit disparaître dans le budget de l’État (En outre la poche des employeurs et celles des salariés, ce n’est pas la même !).

Vers le remplacement de la Sécurité sociale par un « nouveau filet de sécurité sociale »pour pauvres. Les moins pauvres auront les prestations (et les services publics) « qu’ils peuvent se payer » via les complémentaires, la capitalisation, les dépenses personnelles.

La réforme des retraites est la clé de voute de la mise en œuvre intégrale de l’ensemble des contre réformes, public comme privé : salaires, précarité, retraites, Sécurité sociale, services publics, …

En renforçant les pouvoirs verticaux du gouvernement, du patronat, au détriment des syndicats, des associations, des usagers, c’est la démocratie, la République, qu’ils affaiblissent.

D’où le caractère historique de la lutte en cours, contre la régression, pour les reconquêtes.

Macron – Philippe – Buzyn ont raison : la réforme des retraites ce n’est pas un « problème technique », mais « un choix de société » concernant toute la population.

La lutte continue !