Le déficit de la Sécurité sociale, un mensonge d’Etat
Par Henry STERDYNIAK, économiste des économistes atterrés - Publié dans le n° 187 du journal Resistance Sociale (décembre 2019)
Mis en ligne le 15 décembre 2019

Selon le Projet de Loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), les comptes de la Sécurité sociale présenteraient un déficit de 5,3 milliards d’euros en 2019, ce qui a permis à la grande presse de titrer : « Le trou de la Sécurité sociale se creuse » ou « La Sécu en rouge après les gilets jaunes ». La Cour des comptes écrit de même : « En 2019, le déficit va fortement s’aggraver ». Ce déficit proviendrait des mesures « gilets jaunes » et de l’explosion des dépenses de maladie et de retraite, qu’il conviendrait donc de réduire au plus vite.

Il s’agit d’un mensonge d’État. La Sécurité sociale est en réalité en excédent de 11,7 milliards d’euros ; elle ne souffre pas d’une hausse de dépenses, mais d’une baisse de recettes.

Dans les comptes des finances publiques publiés dans le Projet de Loi de finances(PLF) 2020, les administrations de Sécurité sociale (ASSO) présentent, en 2019, un excédent de 11,7 milliards.

Pourquoi cette différence ?

C’est que les gouvernements imposent à la Sécurité sociale de rembourser à marche forcée la dette accumulée pendant la crise financière. Donc, en 2019, la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) a remboursé 15,7 milliards, grâce à un versement de 2,1 milliards du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) ; mais surtout grâce aux recettes de la CRDS et de la CSG. Au final, le déficit affiché, loin d’augmenter la dette, s’explique par la réduction rapide de cette dernière. Globalement, la Sécurité sociale (au sens large, y compris la CADES) s’est désendettée de 11,7 milliards en 2019 La Sécurité sociale (au sens large) est d’ailleurs excédentaire depuis 2014. C’est une bonne nouvelle, car, en 2025, quand toute la dette sociale aura été remboursée1, ces 15,7 milliards seront disponibles, pour financer les retraites ou pour améliorer les conditions de vie et de travail dans les EHPAD (ce que l’on pourrait faire plus vite d’ailleurs en ralentissant le rythme de remboursement). De 2012 à 2020, la dette de la Sécurité sociale va ainsi baisser de 10% du PIB à 7,6% ; dans le même temps, celle de l’État va augmenter de 72 % à 83%. L’État fait peser l’effort de désendettement sur la Sécurité sociale et il omet de le compter quand il évalue le solde de la Sécurité sociale.

On ne peut que s’étonner que les soi-disant magistrats de la Cour des comptes ne dénoncent pas ce tour de passe-passe. Au contraire, ceux-ci écrivent : « Un ralentissement des dépenses apparaît ainsi nécessaire afin d’assurer un retour pérenne de la Sécurité sociale à l’équilibre financier, par-delà les effets du cycle économique sur les recettes ».

En fait, la Sécurité sociale enregistre déjà 11,7 milliards d’excédent, alors même qu’il manque environ 2,4 % d’emplois pour retrouver le taux de chômage d’avant la crise, soit une perte de 9 milliards de cotisations et un coût de 7 milliards de cotisations chômage.

Le solde structurel est donc de l’ordre de 28 milliards. Mais la Cour des comptes (comme son satellite le Haut Conseil des finances publiques) et le gouvernement prétendent que la France, en 2019, avec un taux de chômage de 8,5%, est déjà au taux de chômage d’équilibre. En 2019, les dépenses de Sécurité sociale ont augmenté de 2,1%, soit nettement moins que le PIB (2,7%) ou que la masse salariale (3,3 %).

Il n’y a donc pas d’explosion des dépenses sociales. Le problème vient des ressources.

Revenant sur la Loi Veil du 25 juillet 1994, l’Etat a de surcroît décidé de ne plus compenser à la Sécurité sociale les exonérations de cotisations sociales. Ainsi, pour 2019, les exonérations de cotisations sociales sur les heures supplémentaires coûtent-elles 1,9 milliard à la Sécurité sociale, l’exonération de la prime exceptionnelle de 1 000 euros 1,2 milliard, la baisse de la CSG sur les retraités à faible pension 1,5 milliard, enfin, les baisses de forfait social 0,6 milliard. Soit 5,2 milliards au total, la cause du déficit affiché.

L’État fait ainsi le généreux avec l’argent de la Sécurité sociale... Et lui impose en contrepartie de baisser les prestations. Les caisses de Sécurité sociale ne sont plus autonomes. Chaque année, à l’automne, les cabinets du ministre des Finances et du ministre des Affaires sociales organisent les transferts entre les différents régimes pour éviter qu’un régime présente trop d’excédent, ce qui justifierait d’augmenter les prestations. Ainsi, les excédents de la branche famille sont-ils périodiquement transférés à la branche retraite. En contrepartie, les prestations familiales ne suivent jamais l’évolution des salaires et pas toujours celle des prix. En 3 ans, elles ont encore perdu 2% de pouvoir d’achat. Les allocations logement en ont perdu 3%. Les retraites inférieures à 2000 euros par mois ont perdu 2,3 % de pouvoir d’achat, tandis que celles au-dessus en ont perdu 5%.

Le discours sur le déficit de la Sécurité sociale justifie l’érosion des prestations. Pour 2020, le gouvernement prévoit une hausse du PIB de 2,6 % (dont 1,3% de prix et 1,3 % en volume) et de la masse salariale de 2,8%. Mais, les prestations sociales n’augmenteraient que de 2,3% (sur le champ Sécurité sociale stricto sensu), de 2,1% sur le champ large (intégrant l’Unedic, l’AGIRC-ARRCO, ...), de sorte que le solde de l’ensemble passerait à un excédent de 19 milliards.

La progression de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) serait limitée à 2,3% (1% en volume), soit 4,2 milliards d’économie, dont 1 milliard sur les hôpitaux, 1,3 milliard sur le prix des produits de santé, 1,2 milliard sur les actes (biologie, radiologie). Le supplément d’indemnités journalières, dont bénéficiaient les parents de 3 enfants (ou plus), est supprimé (pour une économie de 150 millions). Les EHPAD ne se voient attribuer que 200 millions supplémentaires. La revalorisation des pensions de retraites sera de 1% pour les pensions inférieures à 2000 euros par mois, mais de 0,3 % seulement pour les autres, soit une perte de pouvoir d’achat de 0,7%.

Cette distinction, compliquée à mettre en œuvre, brise la logique des assurances sociales. Les prestations de retraite sont un droit social, acquis par les cotisations, et ne doivent pas servir d’ajustement des finances publiques. Comme en 2019, cette revalorisation de 0,3% s’appliquera aussi au RSA, aux prestations familiales, aux allocations logement. Par contre, l’ASPA (le minimum vieillesse) a été revalorisée de 3,2% en janvier 2019 et devrait l’être de 3,7% en janvier 2020 (à 903 euros par mois) et l’AAH (Allocation adulte handicapé) est revalorisée de 4,65% le 1er novembre 2019 (mais le plafond de ressources pour un couple reste à 1625 euros).

En fait, les économies réalisées par la sous-indexation de certaines prestations (1,5 milliard) sont supérieures aux dépenses de revalorisation de l’ASPA et de l’AAH (450 millions). Le PLFSS présente aussi des prévisions allant jusqu’à 2023.

A cette date, les régimes de retraites présenteraient un déficit de 6,6 milliards. On a entendu des cris d’orfraie : il faudrait d’urgence repousser l’âge de départ à la retraite. En fait, en 2023, selon le PLFSS, les autres régimes de la Sécurité sociale seraient excédentaires de sorte que, globalement, le déficit de la Sécurité sociale (au sens strict) ne serait que de 1,1 milliard. Compte tenu de l’excédent des autres régimes, de l’Unedic et de la CADES, l’ensemble des organismes de Sécurité sociale présenterait un excédent de l’ordre de 23 milliards.

De 2017 à 2023, les dépenses de retraites augmenteraient de 14,5%, soit nettement moins que la masse salariale (17%), puisque les pensions déjà liquidées ne seraient au mieux qu’indexées sur les prix et que l’effet de noria (la hausse de la retraite moyenne liée au fait que les nouveaux retraités ont des pensions plus fortes que les retraités décédés) s’atténue, mais les recettes n’augmenteraient que de 12,3%, en raison de l’hypothèse d’une forte baisse du nombre de fonctionnaires (et donc de leurs cotisations) et de la non compensation des exonérations de cotisations.

Le gouvernement prépare ainsi le terrain pour qu’en 2025, le système de retraite soit en déficit, ce qui justifiera de réduire les pensions plus fortement encore qu’annoncé par le rapport Delevoye.