Lycée professionnel et réforme BLANQUER : et si on en parlait ?
par Nathalie Maquoi
Mis en ligne le 18 juin 2019

Aujourd’hui, c’était la première réunion sur la mise en application de la réforme de la voie professionnelle au lycée. Une collègue me fait remarquer que nous sommes accueillis avec le café, le thé, les gâteaux et l’humour, c’est donc qu’on va se faire avoir.

Et on s’est fait avoir.

Qui est ce "on" ?

Nous les profs. Nous les profs d’enseignement général particulièrement. Les élèves. Les élèves de la voie professionnelle. Un jeune sur trois en France. Majoritairement issus des classes populaires, c’est-à-dire dont les parents sont ouvriers, employés, chômeurs, sans emploi. Ceux dont on ne parle pas alors que 80% d’une classe d’âge au bac c’est grâce à eux, grâce à la création du bac professionnel. Un vrai bac qui ouvrait la voie de l’enseignement supérieur : le BTS, la licence, parfois les IUT.

Ceux et celles dont parle si bien Vincent Jarousseau dans son magnifique livre "Les racines de la colère". De Loïc, titulaire d’un CAP cuisine. De Tanguy et son BTS Maintenance industrielle. De Manu et son CAP employée de bureau. De Laëtitia et son BEP Electrotechnique. Son mari Adrien et son BEP Maintenance des systèmes automatisés. Fatima et son BTS commerce. Martine et son CAP à la personne.

Bref, je m’arrête là, vous avez compris le principe.

En ce moment, juste à côté de la loi Blanquer, il y a une réforme de la voie professionnelle dont pas grand monde ne parle, à part les sites dédiés à l’éducation comme le café pédagogique ou l’AEF. Pourtant, ce qui se prépare pour un jeune sur trois, c’est une formation uniquement centrée sur l’acquisition des compétences pour être ouvrier et employé. Et y rester.

Dans cette optique la, plus besoin de beaucoup d’enseignement général. Pas tout à fait une heure par semaine d’histoire géographie en terminale suffira. Autant en français. Les programmes sont en conséquence : vides. Certains diraient qu’il n’y a pas besoin de comprendre le monde ou d’avoir lu Wajdi Mouawad pour changer une chaudière, faire une épilation, vendre un jean chez H&M.

J’alterne la colère et la déprime depuis des mois.

Et puis m’est venu ce matin en écoutant des exemples de co-intervention (ne vous inquiétez pas, si vous suivez ces épisodes, vous saurez tout sur l’accompagnement, la co-intervention, le chef d’oeuvre), c’est que ceux qui avaient pondu cette réforme ne savaient tout simplement pas ce qui se passait dans les lycées pro. Ils n’avaient aucune idée du contenu de ce qu’on faisait, des progressions et des parcours qui s’y construisaient.

Alors je vous propose qu’on commence par là la prochaine fois. Qu’on se fasse un panorama de la voie pro. On se demandera pourquoi il y a des filières qui offrent des emplois mais pourtant ne recrutent pas. On se demandera à quoi ça sert le bac pro et qu’est-ce qu’on y apprend. On parlera stage, pédagogie d’ateliers, bienveillance, accueil. Et toutes les questions que vous vous posez.

Le lycée pro actuel

Commençons par une présentation du lycée pro et voyons quels étaient les dysfonctionnements qui pourraient expliquer la réforme, et si celle-ci permet d’y répondre.

Une première orientation majeure intervient à la fin du collège. Un collégien réfléchit lors de son année de 3ème à ce qu’il a envie de faire plus tard et se renseigne sur la formation à suivre pour y parvenir. Bon, en vrai, les bons élèves réfléchissent à leurs options en seconde générale, les moyens à la filière technique, et les moins bons, les absents, à une filière professionnelle. Ce moment-là est difficile pour beaucoup d’élèves car il est généralement subi, empreint d’une sanction ou d’un sentiment d’échec.

Si tu n’as pas d’assez bonnes notes, tu vas en pro. Ca fait 15 ans, depuis que j’enseigne en lycée pro, que j’entends parler de la "revalorisation de la voie pro". Tant que les notes seront le réel curseur d’orientation, il n’y aura pas de "valorisation de la voie pro". Autrement dit, la voie pro sera rarement un choix assumé de l’élève.

2 grandes options s’offrent à l’enfant et sa famille à la fin du collège :

-  l’apprentissage en CFA  : une partie de la formation, généralement théorique, dispensée en centre de formation la moitié du temps, l’autre partie de la transmission assurée au sein d’une entreprise par un professionnel. L’avantage pour celui ou celle qui n’aime pas l’école, c’est qu’il réduit sa présence à la moitié du temps. L’autre avantage est de percevoir un peu d’argent. Le gros inconvénient (on parle quand même là d’un gosse de 3e de 14-15 ans), c’est que le jeune entre dans la vie active avec un rythme de vie active et non plus scolaire.

-  la formation professionnelle en lycée pro  : la majeure partie de la formation a lieu au lycée, des périodes de stage entre 6 et 8 semaines par an sur le temps scolaire sont le moment de la transmission en entreprise. Dans la voie professionnelle, que ce soit en apprentissage ou en lycée pro, 2 formations sont possibles à la sortie de la 3e. Aujourd’hui, je vous propose qu’on parle du CAP.

-  Le CAP : premier diplôme de niveau 5 (c’est à dire qu’il permet de rentrer dans une grille de salaire et il est qualifiant), il regroupe une grande diversité de formations. Parce que c’est la branche métiers qui lui donne sa valeur. Par exemple, le CAP ébénisterie est très reconnu de la profession. Par exemple, on trouve des profils souvent titulaires d’un bac en CAP photo. Par exemple, le CAP orthopédie est très bien vu et très qualifiant. Le CAP s’obtient en 2 ans, au fur et à mesure d’un contrôle continu qui se déroule au sein de la formation.

Les élèves orientés en CAP sont tous ceux dont l’éducation nationale ne sait plus trop quoi faire :

Les mineurs récemment arrivés en France et qui ne parlent pas encore très bien notre langue (ça ne veut rien dire de leur niveau, ni de leur scolarité dans leur pays d’origine, mais quand on arrive en France à 16 ans par exemple, difficile d’apprendre et de maîtriser notre langue en 6 mois). Les élèves qui ont décroché, ont été exclus de un ou plusieurs établissements, qui ont parfois commencé une formation en bac pro mais l’ont arrêtée. Ceux qui ont souvent la rage de l’école, qui ne s’y sentent pas bien.

Les élèves en situation de handicap, qui ont suivi des parcours en SEGPA, qui choisissent la filière en fonction de ce que leur permet la visite médicale. Ce qui donne des classes très très hétérogènes. Ce qui oblige à une pédagogie individualisée (parce qu’on ne fait pas un cours d’histoire ou de lettres de la même façon à Milena qui est arrivée du Brésil cet été, comme à Sheima qui en est à son 3e lycée mais là s’accroche et est curieuse de tout, qu’à Razaane que son handicap empêche de trop écrire).

Mais on fait du français et de l’histoire géo. Par exemple, cette année, avec une classe de CAP coiffure, on a fait des ateliers d’écriture avec un poète urbain, Félix Jousserand, et on a écrit des poèmes en alexandrins. Tout le monde. Sans exception.

Bon, pour pouvoir faire un atelier d’écriture, faut 2 heures. On ne les aura plus l’année prochaine puisqu’il n’y aura plus qu’une heure de français par semaine...

Mais bien assez pour un futur coiffeur dirait notre ministre....

Une autre option s’offre au collégien réfléchissant à rejoindre le lycée pro : le bac pro.

Le bac pro est le dernier des bacs. Il a été créé en 1985. Il a permis de réaliser la promesse de démocratisation du bac et le chiffre symbolique de 80% d’une classe d’âge au bac. Il permettait au titulaire du CAP ou BEP (selon les métiers) de pouvoir poursuivre ses études pendant 2 ans, et d’obtenir la clé d’entrée dans l’enseignement supérieur (parce qu’un bac est un bac, avec toute la symbolique que lui met la République qui s’est quand même beaucoup construite sur l’école).

Si on regarde un peu finement qui a le bac aujourd’hui par générations, on se rend compte que la proportion de titulaires d’un bac général n’a pas bougé depuis les années 60. Si on peut parler de 80% d’une classe d’âge au bac, c’est grâce au bac pro, c’est en quelque sorte la reconnaissance pour les classes populaires.

Sous la présidence de Sarkozy, il y a eu volonté de "revaloriser la voie professionnelle" (c’est récurrent, le seul qui savait de quoi il parlait de l’avis unanime de tous, c’est Jean-Luc Mélenchon quand il était ministre de l’enseignement professionnel). Pour cela, il a prôné l’alignement de la durée de la formation de 4 ans (CAP ou BEP + bac pro) à 3 ans.

Ca a donné lieu à de très longs débats au sein du lycée pro que je vous résume parce que c’est important pour comprendre les débats d’aujourd’hui sur la réforme Blanquer.

Les partisans disaient qu’aligner le bac pro sur les 2 autres bacs (général et techno) le mettaient à égalité et permettait de communiquer auprès des familles au moment de l’orientation de 3ème de façon égalitaire. Pour chaque élève, 3 options possibles, de la même durée, avec le bac au bout, qui permet tous 3 un accès à l’enseignement supérieur. Des passerelles facilitées entre les 3 bacs car potentiellement après une seconde générale ou technologique, possibilité de rejoindre une 1ère bac pro.

Les sceptiques soulignaient l’année en moins de formation qui compte quand le principal enseignement est lié à la pratique. Pour réussir un damier en ébénisterie, il faut faire le geste 10 fois. Pour réussir une épilation, il faut que la main puisse refaire le geste aussi instinctivement que le vélo. Pour changer une personne âgée en maison de retraite, et parfois la découvrir au seuil de la mort, avoir un peu plus de 15 ans peut aider. Et avec un an de formation en moins, ça fait moins de stage et moins de cours, donc moins de pratique.

Les sceptiques alertaient aussi que certains élèves s’arrêtaient au CAP ou BEP car ils en avaient assez, pouvaient bosser avec ça, et n’avaient pas forcément le niveau pour passer le bac. Et qu’il allait être difficile d’emmener tout le monde au bac. Même pro.

Bref, on est passé au bac pro 3 ans.

Bref, les programmes ont changé (c’était pas mal, franchement, ils dataient) et en lettres on a vu apparaître des sujets d’études hybrides à mi-chemin entre les lettres et la philosophie.

Ah oui ! J’ai oublié de vous dire que le bac pro est le seul bac à ne pas bénéficier de cet enseignement pourtant si nécessaire pour se connaitre soi et réfléchir.

Donc à côté des savoirs pratiques et théoriques de l’enseignement professionnel, l’élève de terminale bac pro était invité, pour son épreuve de français se déroulant le même jour que l’épreuve de philo, à rédiger un texte argumenté à partir d’œuvres et de lectures personnelles ou vues en cours, à des sujets portant sur "Identité et diversité", "La parole en spectacle", "L’homme et son rapport au monde au XXe siècle".

Par exemple, dans "La parole en spectacle", on analysait la parole politique, son pouvoir de manipulation, la nécessité de la décoder. Pour ne pas se faire piéger à des discours faciles. En fait, on abordait de façon différente la rhétorique. Aborder la rhétorique, c’est aborder la question du pouvoir. Du pouvoir des mots qui peut entraîner les foules. Pour le meilleur comme pour le pire.

Mais rassurez-vous. Dans les années à venir, on va revenir aux fondamentaux, nous promet-on dans les programmes. Avec une heure par semaine de lettres en terminale, on va effectivement avoir le temps de n’enseigner que la langue formelle, le sujet-verbe-complément et les accords.

Plus d’argumentation.

Plus de réflexion.

Plus de textes forts.

Mais, les classes populaires en ont-elles besoin pour être des ouvriers ?

La réforme de la voie professionnelle

Maintenant que vous maîtrisez le lycée pro actuel, quels sont les changements à venir, pourquoi ont-ils été décidé et quelles pourraient être leurs conséquences ?

Pour rappel, les deux mots clés des éléments de langage sont : « revaloriser la voie pro » (là, normalement, vous me dîtes que vous avez déjà entendu ça quelque part) et « filière pro d’excellence ». Pour le reste des éléments de langage, je vous renvoie aux vidéos sur le site de l’Education nationale, elles sont très bien faites.

1) Des métiers regroupés par famille

Il y a actuellement beaucoup de bac pro différents, héritages parfois de traditions professionnelles, de spécialités, de moments où le métier recrute plus ou moins (par exemple quand j’ai commencé à enseigner, j’ai découvert les 2 bacs pro du métier de chauffagiste : un en chaud – nos chaudières pour faire vite, un en froid – nos clims). Pour leur donner davantage de lisibilité, ils seront regroupés en 11 familles de métiers. La seconde pro sera indéterminée et permettra de découvrir plusieurs métiers avant la spécialisation en première.

Sur le papier, ça se tient, c’est cohérent, c’est plus lisible pour les familles. Mais souvent, le diable se niche dans les détails, ou pour le dire autrement, dans l’application pratique.

Morgane est en 3e. C’est le moment de son orientation. Elle rêve de faire esthétique. Elle a le choix entre indiquer dans ses vœux « bac pro esthétique » ou bien alors « métiers de la beauté et du bien-être », famille regroupant coiffure et esthétique.

Qu’est-ce que ça change pour Morgane ? On ne sait pas, on n’a pas encore compris pourquoi Morgane avait le choix car en vrai, la seconde ne sera pas différente, ce sera une seconde où elle aura une initiation en coiffure et une initiation en esthétique.

Enfin, pas en septembre parce que ce que Morgane ignore peut-être, c’est que le bac pro coiffure n’existe pas encore, ce sera peut-être à la rentrée 2020, quand le référentiel sera écrit et validé par la profession. En attendant, comme il n’y a pas de référentiel, Morgane va faire une seconde « Métiers de la beauté et du bien être » où on lui a dit qu’elle pourrait se spécialiser en 1ère sans cours de coiffure et sans bac pro créé.

Alors pourquoi, me direz-vous, se précipiter et ne pas prendre le temps d’élaborer une carte de formation professionnelle cohérente ?

Ben parce que le nouveau bac n’a pas tout à fait les mêmes horaires que celui d’avant. Au lieu de 4h par semaine de maths sciences, Morgane n’en aura plus qu’une heure et demi. Au lieu de 7 heures de lettres-histoire, Morgane n’en aura plus que 3. Au lieu de 14 heures d’enseignement professionnel, Morgane n’en aura plus que 11 heures.

Ça fait beaucoup d’heures en moins. Si on multiplie le nombre d’heures en moins par le nombre de bac par le nombre d’établissements, ça fait un paquet d’heures en moins. Un paquet de postes en moins. Un paquet de profs en moins. Je suis sûre que quelqu’un dans un bureau a fait le calcul, il faudrait lui demander.

2) La co-intervention

Le ou la député-e que vous allez interpeller après avoir lu cette série, tout indigné que vous serez, vous répondra peut-être qu’il n’y a pas d’heures en moins ni d’enseignement général en moins, que je n’ai rien compris aux nouveautés : la co intervention, le chef d’œuvre et l’accompagnement renforcé.

Commençons par la co-intervention.

L’idée est que l’enseignement dispensé en général soit adapté au domaine professionnel. Pour cela, 3 heures par semaine, un enseignant professionnel interviendra sur une même heure avec un enseignant général. Pour que ce soit concret, je prends un exemple diffusé sur le twitter officiel de l’Education Nationale :

Donc on se résume : tu es coiffeur, tu écris un texte sur les cheveux (idée comme ça : la liste des prestations en salon de coiffure). Tu es menuisier, tu écris un texte sur le bois (là j’avoue je n’ai pas d’idée). Tu es vendeur, tu écris un panneau d’accueil pour le supermarché.

J’arrête là.

Et donc là, comme vous suivez super bien, vous me dites que c’est contradictoire de mettre 2 profs pour la même classe la même heure. Que c’est pas le plus optimum en gestion d’effectifs.

Sauf s’il n’y a plus de ½ groupes en enseignement général (en plus des heures supprimées) et si l’enseignement professionnel se fait de nouveau en partie en classe entière (genre la théorie comme la biologie appliquée à la peau pour les esthéticiennes. A 30, ça va être super sympa et bien entendu, ça va revaloriser le bac pro). Là, vous avez les heures pour la co intervention. L’apport pour l’élève, pour ses apprentissages, pour le contenu de ce qu’il fait en une heure de cours, je ne l’ai pas encore bien vu.

Surtout que c’est pas comme si on ne faisait pas déjà de l’interdisciplinaire.

Des projets communs. Ça fait longtemps que l’enseignement général s’inspire du professionnel en LP. Par exemple en terme de pédagogie. On enseigne souvent comme à l’atelier : partir de l’exemple, l’observer pour arriver à la théorie ; passer par le faire plutôt que le tout magistral et le théorique. Ca marche très bien pour comprendre l’argumentation. Vous faites observer plusieurs discours argumentatifs, puis vous faites une heure d’éloquence sur un sujet fort qui tient à cœur des élèves. Beaucoup plus efficace que leur apprendre les différentes figures de rhétoriques.

Voyons maintenant la suite des mesures prises pour "revaloriser " le lycée professionnel (vous vous souvenez, le leitmotiv permanent qu’il faut bien décortiquer pour comprendre ce qu’il y a derrière).

Le chef-d’œuvre d’abord. Chaque élève est invité à réaliser un chef-d’œuvre à l’issue de sa formation, croisant les différents savoirs disciplinaires. Je pense que l’idée du chef-d’œuvre s’inspire de certaines formations d’artisans, notamment celle des compagnons, où pour montrer sa maîtrise à l’issue des années de pratique et pouvoir ainsi se lancer dans la vie professionnelle. Alors concrètement, l’élève devra réaliser un projet concret : un blog sur son métier, une fabrication pour les métiers d’artisanat, un plan pour ouvrir une entreprise. Bref, un projet lié à son métier.

Le chef-d’œuvre a eu un ancêtre dans le lycée professionnel : le projet pluridisciplinaire à caractère professionnel (qui pouvait avoir une dimension collective : par exemple une classe entière restaure une voiture ancienne pendant un an). Il a été abandonné il y a quelques années suite à un bilan mitigé. La qualité très inégale des projets. L’adéquation avec le parcours de l’élève : ça pouvait correspondre à certains, mais à d’autres pas du tout. La lourdeur qui ne permettait pas de se concentrer sur l’essentiel : l’acquisition des compétences.

Alors une suggestion, car il parait que le ministre se dit à l’écoute, et si le chef-d’œuvre était une possibilité offerte et non une obligation ? Au niveau des heures, vous commencez à voir où sont passées les heures d’enseignement général supprimées : un peu de co intervention, un peu de chef-d’œuvre.

Et un peu d’accompagnement renforcé. Tout au long de sa scolarité, l’élève bénéficiera de 3 types d’accompagnement :

- un dit de "consolidation" : il s’agit de soutien, essentiellement en maths et en français, essentiellement l’année de seconde. La durée et le nombre d’heures sont laissés au choix des établissements.

- un dit "personnalisé" : il s’agit d’aider l’élève dans l’organisation de son travail, la mémoire, le travail de compétences transversales.

- L’année de terminale, l’élève choisit soit l’aide pour son insertion professionnelle (on l’aide à chercher un travail pour après son bac) soit l’aide à la poursuite d’études.

Mais comment poursuivre ses études à l’heure de parcours sup quand pendant 3 ans on a été dépouillé de l’enseignement général ?

Les objectifs des BTS sont clairs : former des techniciens qui encadreront les équipes. Donc, si on prend par exemple le BTS esthétique, l’accent n’est pas tant mis sur la pratique que sur l’acquisition des compétences permettant de gérer un salon. Car c’est l’intérêt de poursuivre pour une esthéticienne en BTS : avoir ainsi le droit d’ouvrir un salon.

Jusque là, on travaillait la liaison bac pro-BTS car on savait que l’enseignement général serait la difficulté pour nos élèves. Ils galéraient, souvent au début du BTS, parfois le faisaient en 3 ans, mais au bout étaient techniciens. Et pouvaient ainsi accéder à une meilleure insertion professionnelle.

Je pense aussi à Sahar, qui a suivi un bac pro soins et services à la personne. Qui s’est inscrite en fac d’histoire parce que c’était son rêve. Qui est aujourd’hui en master 1 à la Sorbonne, sans avoir redoublé, en ayant eu tous ces examens du premier coup. Et c’est mon ultime rage. L’assignation à résidence sociale de cette réforme. Tu es enfant d’ouvrier. Tu seras ouvrier. Même si tu pouvais faire autrement. Même si déjà avant ta réussite était souvent de l’ordre de la réussite herculéenne. J’enrage contre ceux qui te la rendent encore plus difficile aujourd’hui.

Que faire ?

Non, la réforme de la voie pro ne revalorise pas les formations professionnelles, elle assigne à résidence sociale.

Pire, elle méprise les métiers manuels. J’ai ri hier devant le tweet du ministre de l’éducation appelant charpentiers et tailleurs de pierre pour rebâtir Notre Dame. Des charpentiers et des tailleurs de pierre qui pourront travailler à la reconstruction, mais pas lire Victor Hugo. Des charpentiers et des tailleurs de pierre qui devront faire leur métier sans maths. Comme si, comme tout le monde, ils n’avaient pas besoin d’enseignement général. Quel mépris.

Alors pourquoi cette réforme, puisque ça ne sert pas l’enseignement professionnel ?

Pour économiser des postes.

On ne peut pas en même temps réduire le nombre de fonctionnaires et dédoubler les CP et CE1. Alors, ce sont toujours les mêmes qui trinquent. Les classes populaires. Dans l’indifférence générale.

Que peut-on faire ?

D’abord en parler autour de vous. Lors de votre prochain apéro ou diner, entamez la conversation ainsi : "Tu savais qu’il y a une réforme de la voie pro ?".

On ne sait jamais. Il y a potentiellement un journaliste ou quelqu’un qui connaît un journaliste autour de vous, qui prendra le temps de comprendre. Ensuite, vous pouvez interpeller votre député. En ce moment, il/elle reçoit surtout des éléments de langage sur les écoles. Or, c’est global la loi Blanquer puisque les économies faites sur le dos de la voie pro vont financer le reste. Donc ça aide si la pression monte aussi de ce côté là.

Quant à moi, je vais continuer à faire des lettres, de l’histoire et de la géographie dans les quelques heures qui me resteront. Je vais continuer à partager avec mes élèves Aya Cissoko, Wajdi Mouawad, Victor Hugo. Je vais continuer à utiliser les méthodes de critique et d’analyse d’un document en histoire et en géographie.

Parce qu’un plombier, une esthéticienne, un menuisier, un modiste, un assistant de vie ne sont pas réductibles à leur métier.

Ils sont aussi des êtres humains qui ont le droit d’accéder à ce qui fait grandir et réfléchir