LE SEMESTRE EUROPEEN
Par Jean-Claude CHAILLEY
Mis en ligne le 27 mai 2019

Le semestre européen 2020 arrive dans sa phase majeure : les Etats doivent présenter à la Commission européenne (CE) leurs budgets et programmes de réformes pour 2020 – 2022 mi-avril. La Commission européenne « cadre » ce qu’elle attend globalement et de chaque pays, dont la France.

C’est le « Rapport 2019 pour la France comprenant un bilan approfondi des mesures de prévention et de correction des déséquilibres macroéconomiques »

La CE constate : « L’activité économique a ralenti en France » Depuis des années les gouvernements ont empilé les réformes. Les « efforts » devaient être suivis de jours heureux. Hélas : «  La croissance économique devrait diminuer, tout en restant supérieure à la croissance potentielle. Après s’être établi à 2,2 % en 2017, le taux de croissance du PIB a reculé à 1,5 % en 2018 et il est prévu qu’il atteigne 1,3 % en 2019 et 1,5 % en 2020. » Le terme « supérieur à la croissance potentielle » signifie que la croissance risque fort de continuer à baisser… donc le chômage d’augmenter.

D’autant que « Le solde de la balance commerciale qui depuis longtemps se dégrade… s’est encore légèrement détérioré en 2017 » …

-> En résumé, la politique menée depuis les traités de Maastricht, Lisbonne, la merveille annoncée de l’introduction de l’euro… tous approuvés par la droite, par le PS,…n’ont produit que des résultats négatifs.

Le bilan est désastreux, donc on continue…

« Heureusement » dit la CE « l e processus de réformes s’est poursuivi  ». Exact, elles sont toutes plus libérales les unes que les autres, composant un ensemble « CAP 2022 » de réforme - destruction de l’ensemble des services publics, de la fonction publique, démantèlement de la République.

Voir http://www.resistancesociale.fr/IMG/pdf/Bulletin_RESO_septembre_2018.pdf

La CE se félicite… de ce que nous combattons :

-  Les réformes du système d’enseignement « devraient permettre une amélioration des résultats de l’économie française » . L’objectif est clair, d’ailleurs annoncé dans Action Publique 2022 - CAP 22 : il s’agit de mettre l’enseignement au service du patronat. L’arsenal tous azimuts de Blanquer qui va de la maternelle à l’université y pourvoit. Les enseignants soutenus par les parents multiplient grèves et manifestations.

-  « Certains progrès ont été accomplis…(comme) la modération de l’évolution du salaire minimum » et « l’amélioration de l’accès au marché du travail et renforcement de l’égalité des chances ».

-  Les réformes El Khomri, les ordonnances Macron… ne suffisent toujours pas, les salaires, le SMIC, sont toujours trop élevés.

Les « lignes directrices pour l’emploi » de l’UE contre le CDI, les statuts, la Sécu. Les États membres devraient faciliter la création d’emplois de qualité, notamment en réduisant les obstacles à l’embauche, en favorisant l’entrepreneuriat responsable et le véritable travail indépendant… en soutenant la création et la croissance des microentreprises et des petites entreprises. Les Etats membres devraient encourager ces formes de travail innovantes qui créent des possibilités d’emploi de qualité ( !!!). Il convient que la fiscalité pèse moins sur le travail et davantage sur d’autres sources d’imposition moins préjudiciables à l’emploi (c’est-à-dire continuer à diminuer les cotisations sociales « patronales » et les reporter sur les ménages. C’est ce que fait Macron)

-  Réduire les « formalités administratives des entreprises » (référence à plusieurs lois dont la loi Pacte qui va bien au-delà de « formalités », incluant des privatisations, l’extension de fonds de pension, la fusion de la CDC – Caisse Des Dépôts – et de la Poste… en un groupe bancaire sous contrôle de la BCE…)

-  « Des mesures de simplification du système fiscal ont été engagées » Il s’agit des multiples avantages aux entreprises et aux spéculateurs, de la « flat tax », de l’ISF, de la baisse de « charges » sociales… qui ont toutes la faveur de l’Union européenne.

-  «  Dans les domaines de la santé et des retraites, des réformes systémiques ont été annoncées pour 2019  ». Exact, elles sont en cours, fortement encouragées par la CE ; voir https://www.resistancesociale.fr/IMG/pdf/Bulletin_RESO_-_Janvier_2019.pdf :

-  lois et surtout ordonnances Ma santé 2002, réforme à points des retraites, réforme de la dépendance, casse de la Sécurité Sociale. Pour Emmanuel Macron il s’agit de « mettre la protection sociale au service de l’économie » à l’inverse de la Sécurité Sociale d’Ambroise Croizat qui la mettait au service de la population.

Malheureusement pour la CE il y a des domaines avec grave retard… mais c’est en cours
-  « Les économies projetées en matière de dépenses publiques, notamment dans le cadre du nouveau processus de revue des dépenses lancé en octobre 2017 (Action Publique 2022), n’ont pas encore été mises en œuvre ».

Il s’agit de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires et de réaliser 3 points de PIB – 70 milliards - d’économies d’ici 2022 sur les soi-disant « dépenses publiques » http://www.resistancesociale.fr/IMG/pdf/RESO_-_fevrier_2019-2.pdf .

Le projet de loi Dussopt de « transformation de la fonction publique », en cassant le statut veut à la fois s’en donner les moyens et privatiser un maximum de missions.

-  « L es investissements publics et privés doivent cibler de façon prioritaire les actions visant à renforcer la recherche et l’innovation, à faciliter la transition énergétique et climatique, à améliorer les compétences, à lutter contre le chômage et se préparer aux évolutions futures du travail, ainsi qu’à remédier aux inégalités dans le pays.  » Un modèle de double langage habituel. Comment demander au privé d’investir pour « remédier au chômage… aux inégalités du pays » alors qu’on favorise les licenciements, qu’on renforce les inégalités ? La Commission européenne rencontre suffisamment de lobbys pour savoir que le but du privé… c’est uniquement le profit, la « valeur pour l’actionnaire ».

En réalité, il s’agit de demander à l’Etat de financer toujours davantage le privé. On demande d’ailleurs de plus en plus aux organismes publics de recherche, aux universités,… de travailler directement pour le privé, de faire des PPP.

Droit à l’expérimentation territoriale : « Une première depuis… Philippe Le Bel ! » (1268 – 1314) Source : Gazette des communes. Recul inouï vers la balkanisation de la République dans l’Europe des régions.

- «  Des entraves à la concurrence continuent de freiner l’activité dans le secteur des services  ». Après beaucoup d’autres, la réforme ferroviaire est votée, mais il reste encore des secteurs qui échappent à la sacro-sainte « concurrence libre et non faussée », notamment les services publics. La « concurrence » recouvre l’exigence d’étendre le champ de la privatisation à tous les services publics, soit en bloc, soit à la découpe par mutualisations, externalisations,…

-  «  Les taxes à la production demeurent élevées » .Rien ne suffit jamais pour les actionnaires : il y a 200 milliards d’aides diverses, dont 70 milliards d’exonérations et exemptions de cotisations sociales. La CE au nom du patronat, demande de nouvelles baisses d’impôts : non seulement l’impôt sur les sociétés doit descendre en théorie à 25 % (moins en réalité), mais il faudrait aussi baisser la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises)… dite « taxes à la production » qui a déjà énormément baissé. N’est-il pas normal que les entreprises qui bénéficient des infrastructures participent à leur financement ? Faut-il en transférer encore plus sur les ménages ?

-  Et il y en a qui s’étonnent du ras’l bol fiscal a l’origine du mouvement des gilets jaunes !

-  Pauvres actionnaires des banques ! « La rentabilité des banques demeure modeste au regard de leur coût du capital » . S’ils sont trop malheureux il faudrait réfléchir à une réappropriation sociale.

Ceux qui pensaient que le socle européen des droits sociaux adopté le 17 novembre 2017 à l’unanimité des chefs d’Etat, dont Emmanuel Macron, est un progrès pour les salariés et retraités devraient être fixés. Pas sûr qu’ils le soient tous…

Remarques
-  Les recommandations sont parfaitement en phase avec la politique de Macron,
- Constat et solutions Tout n’est pas faux dans le constat de la Commission européenne. La France s’est énormément désindustrialisée. Les privatisations ont entraîné un retard dans tous les secteurs de pointe. Les inégalités sociales et régionales se sont accentuées – le « droit à la différenciation va les aggraver » - , la précarité a explosé, les services publics déjà privatisés ou en voie de privatisation / démantèlement pour beaucoup, ne sont pas ce qu’ils pourraient et devraient être…

Le problème c’est dans les solutions. Pour la Commission européenne pour rétablir l’économie, une meilleure « croissance potentielle », il faudrait réduire les salaires et les retraites de 20 ou 30 %, supprimer 1 million de fonctionnaires, voire davantage, ramener la Sécurité Sociale à un filet de sécurité pour pauvres… En outre, comme on est dans la concurrence « libre et non faussée » il faudrait que les autres pays ne fassent pas de même, sinon on ne gagnerait pas en « compétitivité ». Or, tous les pays européens ont les mêmes recommandations.

- C’est donc la nature de la construction européenne qui est en cause. Nous verrons les propositions des différentes formations politiques. Macron n’a pas encore dévoilé son programme électoral, mais il s’est exprimé à la Sorbonne et au Capitole. Il est totalement en phase avec la CE. Il est même moteur. Pour lui la Commission européenne doit avoir un pouvoir de contrainte plus direct sur les Etats, notamment dans le domaine économique et social.

- Comme les promesses électorales vagues ne suffisent plus à convaincre, les formations politiques devront jouer franc jeu. Elles devront montrer par quels moyens concrets, ou à quelles conditions, elles pourront les tenir. Sinon ce sera perçu comme de nouvelles promesses qui n’engagent que les naïfs de moins en moins nombreux qui y croient, et à la longue ça mine la démocratie.

Déclaration de la CES sur le Semestre européen

« L’élaboration de la politique économique européenne évolue lentement dans la bonne direction, rompant ainsi avec l’importance calamiteuse et exagérée précédemment accordée à l’austérité et à la modération salariale. Il reste cependant du chemin à parcourir à l’UE pour redresser la situation. L’un des principaux obstacles pour y parvenir est le fait que certains gouvernements nationaux échouent à impliquer employeurs et syndicats de manière appropriée dans le processus. »….