L’Europe devrait se préoccuper du maintien des emplois dans le ferroviaire »
Entretien de Christophe ALIX, journaliste à Libération avec Patrick De Cara
Mis en ligne le 1er avril 2019

Délégué syndical CFDT au siège Social d’Alstom France, Patrick de Cara siège au comité stratégique de la filière ferroviaire. Après l’échec du projet de fusion entre le français Alstom et l’allemand Siemens bloqué mercredi par la Commission européenne, il explique pourquoi à l’instar de ce qui se pratique en Asie ou aux Etats-Unis, l’Europe devrait mieux protéger ses marchés en les réservant en partie à ses propres industriels. Un débat qui relance la question d’un protectionnisme ciblé en Europe, que refuse à ce jour l’UE.

Comment réagissez-vous à la décision de la Commission Européenne de bloquer la fusion entre Alstom et Siemens Mobile ?

A la base, les organisations syndicales d’Alstom (dont la CFDT) étaient opposées au projet d’absorption d’Alstom dans le groupe Siemens tel qu’il était prévu. Pour nous et dans les conditions où ce rapprochement avait été annoncé, il s’agissait d’un projet porteur de risques importants sur l’emploi et l’activité. Le fait que Alstom mette en avant les 470 millions d’euros annuels de synergies annoncées n’était pas de nature à nous rassurer sur la pérennité de l’emploi en France.

Que va-t-il se passer maintenant ?

La configuration d’Alstom en tant qu’acteur « standalone » dans la Filière Ferroviaire va évidemment se poursuivre. La situation économique s’est fortement améliorée depuis plus d’un an et demi, date à laquelle avait été annoncé ce projet de projet de fusion désormais avorté avec Siemens Mobilité. Mais il va falloir quand même rester vigilant. Deux ou trois sites en France vont devoir passer un creux de charge sur leur carnet de commandes pendant deux ans, à partir de 2020. Cumulé avec des problèmes de pyramide des âges assez avancée sur certains métiers, ce ne sera pas simple à gérer.

Quelles conclusions tirez-vous de ce projet d’absorption qui aura occupé les deux entreprises pendant près de dix-huit mois ?

Si je devais retenir une chose, ce serait que ce projet aura au moins permis de mettre sur la table la question de la protection du savoir-faire, de la compétence et de la préservation des emplois de la filière ferroviaire en Europe. C’est une réalité que ce marché ferroviaire est aujourd’hui devenu mondial, ce qui change en partie la donne.

Que voulez-vous dire ?

Que face au marché chinois qui constitue le plus grand marché ferroviaire mondial et dont sont systématiquement exclus toutes les entreprises non-chinoises, il faut à présent s’interroger sur les alternatives que propose l’Europe pour que les entreprises européennes puissent remporter des appels d’offres financées avec de l’argent public. Ce protectionnisme se retrouve en Corée du sud et au Japon et aux Etats-Unis, il faut une garantie que la commande sera produite sur place pour avoir une chance de remporter un marché. Des pratiques qui diffèrent largement de nos règles européennes où en théorie les marchés d’infrastructures ferroviaires ne comportent aucune clause protectrice pour les entreprises européennes. Cela pose au minimum quelques questions...

Vous citez l’exemple américain comme un possible modèle dont pourrait s’inspirer l’Europe ?

Oui, je rappellerai que le fameux « Buy American Act » mis en place par le président Roosevelt lors de la Grande Dépression des années 1930 pour soutenir la production américaine impose au gouvernement fédéral l’achat de biens manufacturiers produits aux Etats Unis. Il existe aussi un « Buy American Act » qui ne concerne, lui, que le secteur des transports publics, dès lors que le financement inclut des subventions du gouvernement fédéral, pour les commandes qui dépassent les 100.000 dollars. Il serait donc temps qu’il y ait un véritable débat en Europe sur une stratégie industrielle qui aurait pour but de préserver les compétences, les emplois et le savoir-faire de l’industrie ferroviaire en Europe