« OU RÉDUIRE LE POIDS DE LA DÉPENSE PUBLIQUE ? »
Par Jean-Claude CHAILLEY
Mis en ligne le 26 février 2019

C’est le titre – éloquent - de la note de France Stratégie, organisme dépendant du Premier ministre. Elle fait suite au rapport CAP22 (voir cahier RéSo) définissait le cadre des réformes permettant de faire 3 points de PIB d’économies sur les services publics et la protection sociale, et de supprimer 120 000 postes d’ici 2022, puis encore d’autres après.

I La lettre aux français de Macron ouvre (et surtout ferme) le Grand Débat National. Macron persiste et signe !

Si on lit attentivement la lettre le débat est déjà fermé à triple tour.

1) J’appliquerai mon programme : « j’ai été élu sur un projet, sur de grandes orientations auxquelles je demeure fidèle ».

2) Je persiste et signe dans toutes mes réformes : « Je pense toujours qu’il faut rebâtir une école de la confiance, un système social rénové… ». Aucune réforme passée (ordonnances travail, réforme ferroviaire…) n’est remise en cause. Aucune réforme en cours n’est même stoppée pendant le « Grand Débat » : enseignement, réforme de l’assurance chômage, réforme des retraites, réforme du système de santé, loi anticasseurs, privatisations…

3) Mon « premier sujet porte sur nos impôts, nos dépenses et l’action publique ».

« Nous ne pouvons, quoi qu’il en soit, poursuivre les baisses d’impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique ». France Stratégie y répond : « où baisser les dépenses publiques ? ».

- > Quant à la baisse de « nos » impôts, il s’agit de baisser encore plus les impôts et cotisations sociales des entreprises …et de les augmenter pour les ménages, à l’exception des 0,5 - 1% d’ultra riches protégés par le prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les revenus mobiliers (spéculation financière), CSG et CRDS inclus. Il y a en outre 1001 moyens de faire déclarer de très grosses fortunes comme « outil de travail » et non possession personnelle.

4) J’achèverai notre modèle social issu du Conseil National de la Résistance, et notamment j’éradiquerai la Sécurité Sociale : « Certains le jugent insuffisant (notre modèle social), d’autres trop cher en raison des cotisations qu’ils paient ». La référence aux cotisations vise la Sécurité Sociale qui n’existe plus dans le rapport de France Stratégie.

5) Un grand absent du débat : le MEDEF ! Les 70 Md d’exonération et exemptions de cotisations sociales, les 200 Md d’aides aux entreprises ne font pas partie des « niches » ou de façon homéopathique.

6) Les réformes achevant le CNR, son « nouveau contrat social », c’est son programme pour les européennes, parfaitement libéral sur le plan économique et social – et autoritaire sur le plan des libertés démocratiques -. C’est ce qu’E Macron appelle « un nouveau contrat pour la Nation… mais aussi les positions de la France au niveau européen et international. ». En clair Macron tente de manipuler le « Grand Débat « pour appliquer sa politique et lancer sa campagne des européennes.

II La note de France Stratégie, un modèle d’idéologie libérale, de mensonges, contre les services publics et la protection sociale. France Stratégie part du constat supposé incontournable, répété dans les médias sur tous les tons : « Le montant des dépenses publiques en France a atteint 56,5 points de PIB en 2017, soit le ratio le plus élevé de l’Union européenne ».

Bravo pour la com du libéralisme : plusieurs notions plombées en une seule phrase qui paraît un constat non discutable !

Bien souvent le mouvement social est mis sur la défensive par ce « constat ». Il faut y répondre, approfondir éventuellement si on n’est pas d’accord sur tout, ce qui arrive. C’est le but de cet argu.

- La notion de « dépense publique » est beaucoup moins simple qu’elle a l’air.
- Le chiffre de 56 % de « dépenses publiques » est FAUX.
- Les comparaisons en % du PIB ne sont pas pertinentes.
- France Stratégie exclut la possibilité de financer la Sécu et les services publics à hauteur des besoins, puisqu’il faut « baisser nos impôts », dont les « charges sociales »,
- France Stratégie insinue que la « dépense publique » c’est le mal absolu.

1) La « dépense publique » et les « 56 % du PIB », c’est quoi ?

PIB 2019 : environ 2400 Md € ; dépenses publiques environ 1300 Md € Définition des « dépenses publiques » : Les dépenses publiques sont les dépenses consolidées des administrations publiques (État, collectivités locales, administrations de sécurité sociale et organismes sous leur contrôle qui ont une activité principalement (*) non marchande.

Il s’agit très majoritairement de protection sociale ; voir ci-dessous l’arnaque (*) Auparavant on distinguait le public du privé. Maintenant jusqu’à 49,99 % d’actionnaires, c’est une entreprise dite « publique !

► On a l’impression que le PIB se divise en 56 % public et 44 % privé. C’est FAUX !

Le PIB ne se divise pas en 56 % de « dépenses publiques » et 44 % de dépenses privées. Les dépenses publiques ne sont pas une partie du PIB.

C’est une habitude de faire ces comparaisons qui induisent en erreur. Les économistes Christophe Ramaux et Henri Sterdyniak ont calculé qu’avec le même calcul le privé représente 200 % du PIB.

- Si on considère l’enseignement public, le salaire des enseignants est payé par l’impôt et non par prélèvement sur le compte en banque des parents (qui pour beaucoup ne le pourraient pas, cf les Etats Unis !).

- L’enseignant est un salarié qui produit un travail – éduquer-. Son salaire entre comme composante du PIB.

► Dans « dépense publique » ce n’est pas le montant de la dépense qui fait problème, c’est le terme « publique » qui s’oppose à privé.

- Baisser la dépense publique, c’est privatiser. Toute dépense n’est pas publique. Par exemple si on privatisait tout l’enseignement, la dépense publique baisserait même si la dépense totale explosait comme dans les grandes universités américaines et comme on va le faire en France avec l’ouverture au capital de grandes écoles. Toute privatisation on exclut ceux qui n’ont pas les moyens.

La dénonciation des « dépense publiques », c’est une campagne permanente pour la destruction des services publics et de la Sécu, pour leur privatisation ! Pour la population, c’est au total davantage de dépenses.

- Comble de la provocation : ceux qui dénoncent les « dépenses publiques » les augmentent sans cesse en finançant toujours plus le privé sur fonds publics.

- Par exemple le CICE est une « dépense publique » …qui profite aux actionnaires.

- Il y a 200 Md d’aides aux entreprises, 180 Md de dividendes en 2017 et ça ne leur suffit toujours pas ! M Darmanin se garde bien de réduire ces « niches », au contraire il les augmente sans cesse.

2) Le chiffre de 56 % de » dépenses publiques » est FAUX !

Malgré une politique continue d’exonérations et exemptions de cotisations sociales (officiellement environ 70 Md !), il reste environ 300 Md de cotisations sociales employeurs, soit 12 points de PIB. Ils considèrent que ce sont des dépenses publiques alors que c’est du salaire socialisé et ça n’a rien à voir.

(Pour ceux qui considèrent que la CSG est une cotisation et non un impôt il faut rajouter 125 Md on aurait donc 18 points de cotisations sociales et non 12)

Les « dépenses publiques » sont donc d’environ 44 % (ou 38 %).

- Ce n’est pas une erreur. C’est l’application de la comptabilité européenne qui ne reconnaît pas la cotisation. Pour nos gouvernants, pour le MEDEF, c’est une anticipation de la destruction de la Sécurité Sociale. D’ailleurs la Sécu n’existe déjà plus dans le rapport de France Stratégie.

- Le budget de la Sécurité Sociale est d’environ 500 Md, le budget de la protection sociale de 750 Md. Ce sont prioritairement – mais pas seulement – ces budgets qui sont visés.

3) Les comparaisons internationales en % de PIB ne sont pas pertinentes puisque les dépenses dites publiques ne sont pas une fraction du PIB.

► Il y a dans les statistiques officielles des mesures qui elles plus sont plus pertinentes…et on n’en parle jamais.

Prenons l’exemple des dépenses santé à partir des statistiques 2017 de l’OCDE.

- En % du PIB la France est 3ème avec 11,5 % du PIB. Les USA sont 1ers avec 17,2 %, la Turquie 2ème. On s’en doute c’est ce qui fait les titres des médias « France championne d’Europe des dépenses de santé… »

- En % de dépenses de santé par habitant : la France est 11ème en parité de pouvoir d’achat (c’est-à-dire corrigée du niveau des prix dans chaque pays)

- Quelle est la comparaison pertinente ? Les dépenses par habitant, car ce qu’on soigne c’est des êtres humains !

- L’Allemagne qu’on nous montre tellement en exemple dépense 17 % de plus par habitant. Information soigneusement cachée à la population.

Tromperie volontaire partout !

On retrouve pareil dans les services publics, pareil dans les retraites : la France est dans la moyenne de l’OCDE en taux de remplacement des retraites par rapport au salaire brut et non championne….

- Faut-il participer au concours à la baisse des services publics, de la protection sociale ? C’est ce qui est induit dans ce dénigrement sournois. Derrière ce sont les multinationales, les grandes banques, qui sont à la manœuvre et qui n’ont aucun souci de l’intérêt général, de l’accessibilité pour toutes et tous aux services essentiels.

Si c’était vrai qu’on soit « champions » il faudrait s’en féliciter.

-  Pourquoi ces classements divergent tant ? Parce que le PIB de la France est beaucoup trop faible par rapport aux autres pays européens qui ont pourtant connu les mêmes crises. Les politiques menées depuis la « parenthèse de la rigueur » en 1983, les privatisations, fusions, bradages, provoquent le déclin, notamment industriel, de la France, déclin qui s’accélère.

La dénonciation des « dépense publiques », c’est une campagne permanente pour la destruction des services publics et de la Sécu, pour leur privatisation ! Pour la population, c’est au total davantage de dépenses.

4) Les 3 scénarios de France stratégie (dont le précédent président a largement contribué au programme Macron) « Pour réduire la dépense publique structurelle de 3 points de PIB en 5 ans » (3 points de PIB = environ 75 Md).
- 3 scénarios sont présentés avec « choix « , Grand Débat oblige, du cocktail de coupes sur les dépenses sociales et la fonction publique pour atteindre 3 % de PIB Ils sont totalement cohérents avec la note de Bercy…
- Nous ne les analyserons pas ! Nous refusons d’entrer dans cette logique, nous ne participerons pas à ces « choix » entre la peste et le choléra !
- Référendum éventuel ? C’est probablement à ce type de « choix » qu’E Macron pense pour son référendum.

III Alternative : inverser la politique menée

- La valeur ajoutée des administrations publiques n’est que de 375 Md en 2017 sur un total de 2300 Md (INSEE TEE). On ne peut pas dire qu’il s’agit « d’une économie administrée » ! Bien au contraire il faudrait procéder à un certain nombre de réappropriations publiques.

- Les comparaisons internationales confirment ce que toute la population sait : la France ne dépense plus suffisamment pour les services publics et la Sécurité Sociale.

- Il faut donc lutter contre les réformes en cours qui les détruisent encore plus (retraite, santé, chômage, enseignement…), revenir sur certaines.

- Il faut augmenter les budgets des services publics, de la Sécurité Sociale.
- Plus globalement face à l’effondrement de la France dans tous les domaines, notamment industriel, il faut changer de politique économique et sociale.