Pouvoir d’achat : son évolution depuis 30 ans
Par Mathias WEIDENBERG
Mis en ligne le 21 octobre 2018
Résistance Sociale a organisé le 17 octobre à Paris un café social sur le thème « les Français sont-ils trop payés ? » A cette occasion, il nous semble intéressant de vous faire partager l’analyse qui suit.

D’après les chiffres de l’Insee publiés le 21 septembre 2018, en particulier concernant le revenu disponible brut et le pouvoir d’achat. Entre mai 1968 et la fin 1983, le pouvoir d’achat des Français progresse en moyenne, avec des pics et des bas, de 1% par an. L’année 83 est l’année du “grand frein” suite au “tournant de la rigueur”.

Entre 1984 et le premier trimestre 1993, le pouvoir d’achat ne progresse plus que de 0,48%, soit moitié moins.

Cela explique les difficultés politiques de la période, et, après le coup austéritaire de 1983 sans rattrapage les années suivantes, la première grande vague de départ de l’électorat populaire à l’extrême-droite. Entre le deuxième trimestre 1993 et le début de la restauration conservatrice, et la mi 1997, l’évolution de ce pouvoir d’achat s’effondre en rythme annuel à moins de 0,3%. Juppé en gardera une image déplorable, qui lui coûtera une partie pourtant prometteuse en 2016.

La première partie du quinquennat Jospin voit le pouvoir d’achat progresser de nouveau de 1%. Mais l’image de ce gouvernement sera déterminée dans les classes populaires par l’évolution depuis le premier trimestre 2001 : on repasse sous les 0,5%, avec la perception d’une inégalité d’évolution entre revenus modestes et revenus des salariés les mieux payés. La critique populaire des 35h comme outil profitant aux cadres plutôt qu’aux ouvriers et employés ne sera pas écoutée. L’extrême-droite, en crise quand le pouvoir d’achat avait repris, retrouve le soutien des classes perdantes de la politique menée (merci DSK et Fabius, notamment, cela leur coûtera un vote en 2006).

Entre 2002 et 2012, on assiste à la deuxième restauration conservatrice, avec en 2007-2008 la pire crise du capitalisme financier depuis la seconde guerre mondiale. La période « second trimestre 2002-premier trimestre 2008 » est plus favorable au pouvoir d’achat - +0,53% - que les dernières années Jospin.

C’est ce qui explique la victoire puis la relative résistance de la courbe de popularité de Sarkozy comparée à ses deux successeurs sur ses premiers mois.

Par contre, du deuxième trimestre 2008 à mi 2012, malgré un plan de relance, ce pouvoir d’achat ne progresse plus que de 0,2%, avec là encore une forte inégalité en revenus modestes, en baisse nette, et revenus des 30% du haut qui montent.

Hollande, on s’en souvient, était le candidat de la gauche en mai 2012. Il commence donc très fort : le pouvoir d’achat s’effondre dès ses deux premiers trimestres de -1% !

Il faut attendre le dernier trimestre 2015 pour que le pouvoir d’achat cesse de reculer sur la période. C’est la période la plus longue de recul du pouvoir d’achat sans rattrapage depuis ... les deux trimestres précédant mai 1968 !

Dès lors, rien de ce que ce gouvernement menait ne pouvait être audible. Le problème n’était pas la communication, mais la consommation.

La relance extérieure, provoquée par la chute des prix du pétrole de 2015, permet de corriger la politique déflationniste stupide de ce président et ses différents ministres, de Valls à Ayrault, de Cazeneuve à Hamon, de Macron à Moscovici. Le rebond de 2016 - où Macron a la bonne idée d’arrêter de travailler des avril, avant de démissionner à l’automne- est trop peu, trop tard (+0,35% sur 6 trimestres, soit aussi bien que ... Balladur et Juppé !)

Macron a pu maintenir sa popularité les deux premiers trimestres car le choc de pouvoir d’achat n’était pas encore perceptible - +0,55, que les vieilles moustaches hollandaises ont voulu réclamer pour elles-mêmes.

Depuis le quatrième trimestre, cependant, mêmes causes, mêmes effets : le taux de progression s’effondre à 0,25% et la structure même de cette évolution favorise les plus riches. Et tout indique que le troisième trimestre ne va pas retourner la tendance. D’après l’OFCE, la politique fiscale du gouvernement devrait faire progresser le pouvoir d’achat ... de 0,1%. Comme on le voit, cela nous mettrait donc dans un étiage bas de cette série de long terme - moins pire que Hollande cependant entre mai 2012 et mi 2014.

Alors, quand les Français regardent avec nostalgie en arrière, ce n’est pas vers Hollande qu’ils se tourneront. Paradoxalement, et cela explique sa résistance électorale en 2017 également, les années Fillon sont les plus favorables au pouvoir d’achat depuis ... le début du millénaire.