Etats-Unis : une nouvelle génération à l’assaut du parti démocrate
Par Julien Guérin
Mis en ligne le 9 octobre 2018

Fait ancré depuis des décennies dans l’histoire politique américaine, le bipartisme n’a jamais permis l’existence à gauche d’un véritable parti de masse aux États-Unis. Le parti démocrate, notamment depuis sa prise de contrôle par Bill Clinton aux débuts des années 90, campe au centre de l’échiquier politique. Il a tourné le dos à la classe ouvrière en se ralliant au néolibéralisme et à un libre-échange sans entrave. Les huit années de Présidence Obama n’ont pas, au-delà du symbole et de l’espoir soulevé, dérogé à la règle en servant passivement les intérêts du capitalisme américain. Secoué par les ravages économiques et sociaux de la crise de 2008, par l’accès au pouvoir de Trump et la défaite d’Hillary Clinton qui incarnait cette orientation politique centriste, le parti connait cependant de vifs débats internes depuis un an. Une nouvelle génération militante se lève et, investissant les luttes sociales, démocratiques et écologistes, compte se faire entendre politiquement.

Les militants porteurs d’une orientation alternative au libéralisme ont déjà à plusieurs reprises au cours de son histoire investi le parti démocrate pour le transformer en le subvertissant de l’intérieur. Depuis la belle campagne de Bernie Sanders aux primaire de 2016 c’est un véritable vent d’espoir qui s’est levé dans la gauche américaine. Se réclamant ouvertement du socialisme démocratique, inscrivant ses pas dans ceux du mouvement Occupy Wall Street, défendant la gratuité des études universitaires, la mise en place d’une véritable Sécurité sociale, l’augmentation des salaires, l’égalité entre les hommes et les femmes, une meilleure réglementation des armes et la fin des traités de libre-échange, le sénateur progressiste du Vermont soulève l’enthousiasme mais se heurte à l’appareil démocrate. Il est vaincu par Hillary Clinton mais son combat a rallumé l’espoir. Entrant en résonance avec le mouvement profond qui travaille une partie de la société américaine cette campagne connait aujourd’hui des prolongements inédits. C’est cette dynamique qui vient de porter Alexandria Ocasio-Cortez dans un vote interne à New-York pour la désignation des candidats démocrates aux élections de mi-mandat qui se tiendront en novembre 2018. C’est avec plus de 15 points d’avance que cette jeune militante de 28 ans, jamais élue, serveuse dans un bar du Bronx, l’a emporté sur le numéro 4 du parti, cacique parlementaire et homme de l’appareil. Se définisant comme démocrate et socialiste, ancienne membre de l’équipe de campagne de Sanders, son élection constitue un coup de tonnerre.

Elle est le symbole de l’accès des « Millennials » aux responsabilités politiques. Cette génération, née entre 1980 et 2000, urbaine et connectée, est la plus progressiste de l’histoire récente des États-Unis. On la retrouve dans les luttes pour un accès égalitaire à l’Université, dans les récentes manifestations pour un contrôle étroit de l’accès aux armes, dans les combats pour l’avenir de la planète et en solidarité avec les migrants, dans les mobilisations féministes de masse qui ont vu des milliers de manifestants déferler dans les grandes villes du pays. Fer de lance de l’opposition à Trump ces jeunes, qui n’ont pas connu la guerre froide et n’hésitent plus à se réclamer d’idées socialistes, cherchent une issue politique majoritaire et, pour l’heure, surfent sur la dynamique insufflée par Bernie Sanders pour conquérir des positions dans le parti démocrate. C’est en faisant la jonction avec les travailleurs des petites et moyennes villes industrielles écrasées par le libre-échange , avec les précaires et les laissés pour compte du « rêve américain » qu’une majorité sociale et politique pourrait se dégager et s’incarner demain jusque dans le bureau Ovale de la Maison-Blanche.

Une phrase de Bernie Sanders résume bien cette vague progressiste décomplexée qui s’est emparée de la gauche américaine : « Tout ce qui nous effrayait du communisme – perdre nos maisons, nos épargnes et être forcé de travailler pour un salaire minable sans avoir de pouvoir politique – s’est réalisé grâce au capitalisme ».