Journal "REsistance SOciale" n° 92 - Avril 2011
Mis en ligne le 6 avril 2011

Au sommaire ce mois-ci :

L’édito / Solidarité internationale / Place au débat : écologie et développement humain / Les bras m’en tombent / Actualité sociale / Coup de gueule

L’édito de Marinette Bache :

Des récentes élections cantonales, on retiendra, bien sûr, la victoire globale de la gauche dans sa dimension plurielle mais aussi, et surtout, l’abstention massive et le score élevé du Front National. Ces deux derniers points ne sont pas les fruits du hasard. D’abord, l’abstention. On ne peut la limiter à la difficulté pour nos concitoyens à s’identifier à un canton, même si cela est particulièrement vrai en milieu urbain, ou à percevoir le rôle des conseillers généraux. Elle résulte surtout, à l’évidence, d’une défiance à l’égard des politiques, quels qu’ils soient. De Sarkozy et de ceux qui le suivent ou le servent, bien sûr. Mais aussi de la gauche dans son ensemble, notamment parce que les combats des égos semblent plus importants que la prise en compte des aspirations du peuple. Lequel n’a pas oublié l’absence, voire les déclarations équivoques de quelques leaders lors du grand mouvement social sur les retraites. Il reste encore tout à prouver à la gauche pour qu’elle mérite un vote d’adhésion et autre chose que le rejet de Sarkozy.

Le score du Front National, ensuite. La personnalité de Marine Le Pen, plus moderne que son père, a peut-être joué un rôle dans sa progression. Mais surtout, la propension de Nicolas Sarkozy et de l’UMP à vouloir chasser sur les terres du Front National, que ce soit à travers le débat sur l’identité nationale, à travers le discours sécuritaire de Grenoble ou le débat sur la laïcité et l’islam, ne réussit qu’à en légitimer les thèses. Tout comme l’utilisation d’idées ou de termes directement empruntés au Font National banalise ce vote. Ce qui alimente d’abord le Front National, c’est la politique économique conduite depuis plus de 20 ans et menée, ces dernières années, d’une manière totalement décomplexée, qui contraint bon nombre de Français au chômage et à la précarité.

Personne ne croit plus au rêve européen, surtout quand sont prônées des mesures comme le pacte de compétitivité de Merkel et Sarkozy, qui condamne toute évolution sociale pour de longues années. Et ce n’est pas la nouvelle augmentation du prix du gaz (+ 61% depuis 2005 !) ou celle proposée par EDF dans le prolongement de la loi NOME qui vont réconcilier les Français avec « l’Europe », qui projette la révision du traité de Lisbonne hors de toute consultation populaire. Ni avec la destruction des services publics que poursuit Nicolas Sarkozy. Après EDF et GDF, après La Poste, c’est au tour de l’hôpital public de faire les frais de cette politique. Raison pour laquelle nous avons appelé, avec nombre d’autres organisations, à faire du 2 avril une journée pour la défense de la santé. Il serait cependant utile sur ce sujet de passer à la vitesse supérieure et que les grandes organisations syndicales et politiques s’opposent plus fermement à la casse de notre système de santé.

Tout cela intervient au moment où, à la suite du séisme et du tsunami qui ont secoué le Japon le 11 mars dernier, la catastrophe nucléaire qui s’est déclenchée à Fukushima n’en finit pas de produire ses effets, provoquant peur et révision des programmes énergétiques dans le monde entier. S’il est parfaitement légitime que les Français s’inquiètent de la situation nucléaire dans notre pays, il serait dangereux que cela se fasse dans un contexte où l’obscurantisme oblitère le débat. On soulignera au passage que la catastrophe ne se serait peut-être pas produite si la centrale avait été gérée par la puissance publique, généralement plus soucieuse de la sécurité que les entreprises privées. Le Japon en tire d’ailleurs les conséquences en nationalisant Tepco au moment où, en France, AREVA accélère sa privatisation. Quant à la « sortie » du nucléaire, prônée par d’aucuns, elle pose diverses questions qu’on ne peut évacuer : le prix de l’énergie pour tous, l’indépendance énergétique, la régression de la recherche scientifique et des savoirs en la matière, et surtout la question de la recherche publique : comment remplacer cette énergie, qui ne contribue pas à l’effet de serre, par une autre potentiellement moins dangereuse mais également efficace ?

La France vient aussi de se rendre compte, à l’occasion de cette catastrophe, que la mondialisation n’était pas sans risque et qu’une partie importante de son industrie dépendait du Japon. Les salariés du secteur automobile, en panne de pièces détachées, en savent quelque chose, eux qui sont aujourd’hui contraints à une période de chômage partiel.

Tout cela, aussi, au moment où la révolte des peuples contre la corruption et l’affairisme, pour la démocratie et aussi –et surtout ?– pour une autre répartition des richesses, gronde autour de la Méditerranée et du golfe d’Aden. Après la Tunisie et l’Egypte, c’est au tour de la Libye, de la Syrie, de Bahrein et du Yémen de connaître des soubresauts. S’agissant de la Libye, il ne fait pas de doute que son pétrole n’est pas étranger à l’intervention internationale. De nombreuses questions se posent à propos de celle-ci. Mais, pouvait-on laisser sans réagir la population libyenne hostile à Khadafi se faire massacrer à coup de bombes ? Encore qu’on aimerait que les autres peuples qui se battent soient aussi soutenus par la communauté internationale et ne subissent pas, dans le silence général, la répression saoudienne comme Place de la Perle, à Manama. Quand les puissances occidentales se réunissent à Londres pour décider de l’après-Khadafi, le peuple libyen semble tout aussi singulièrement absent que sur les images télévisuelles. A Tunis, on nationalise les actions du clan Ben Ali et « Orange-Tunis » passe ainsi sous le contrôle de l’Etat ; à Bengazi, on cède le pétrole libyen à une compagnie du Qatar, en remerciement d’avoir servi d’alibi arabe à l’intervention dirigée par l’OTAN. Tout cela laisse une impression de malaise bien peu à la hauteur du Printemps des peuples arabes.

Cette effervescence a lieu au moment où Paris célèbre le 140ème anniversaire de la Commune, dont il faut rappeler le rôle précurseur dans beaucoup de domaines.

Nul doute que cette situation multiple alimentera notre réflexion lors de nos 9èmes Vendémiaires, qui se dérouleront cette année à Paris et le 25 juin. A signaler que le compte rendu des 8èmes Vendémiaires sera très prochainement disponible sur notre site. L’occasion, pour moi, de vous inviter à nouveau, si vous ne l’avez pas déjà fait, à signer l’appel de Tours, rejoignant ainsi beaucoup de militants et responsables de toute la gauche politique, syndicale et associative.

Marinette Bache